"Le motif de base de la résistance était l'indignation. Nous vétérans des mouvements de résistance et des forces combattantes de la France libre, nous appelons les jeunes générations à faire vivre, transmettre, l'héritage de la résistance et ses idéaux. Nous leur disons : prenez le relais, indignez-vous ! Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l'ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l'actuelle dictature des marchés financiers qui menacent la paix et la démocratie.

Je vous souhaite à tous, à chacun d'entre vous d'avoir votre motif d'indignation. C'est précieux."

Stéphane Hessel

samedi 16 octobre 2010

Echec complet du vidéo-fliquage

Dans la 17e loi sur la sécurité depuis 2002, que l'Assemblée s'apprête à voter, il est question de généraliser la vidéosurveillance. Elle affiche pourtant de bien piètres résultats.

DEVINETTE : qui a écrit en août 2005, peu après les attentats terroristes à Londres, à propos de la vidéosurveillance : « Une politique d'équipement généralisé n 'est pas l'orientation souhaitable pour les années à venir » ? Philippe Melchior, inspecteur général de l'Administration. Mais cela ne l'a pas empêché de devenir par la suite, et jusqu'à cet été, patron du bidule chargé par le ministère de l'Intérieur de vidéo-fliquer la France à marche forcée, le Comité de pilotage stratégique pour le développement de la vidéoprotection. Les arguments de Philippe Melchior, dans ce rapport rendu au ministre de l'Intérieur de l'époque, un certain Sarkozy :
  1. La vidéosurveillance n'est pas follement efficace en dehors des lieux clos, comme les parkings.
  2. Elle s'accorde mal avec le « bon exercice des libertés publiques ».
  3. Elle coûte bonbon : « Financièrement, ce serait une solution extrêmement coûteuse, contraire au bon usage des deniers publics. »
Et celui qui n'était pas encore le Monsieur Vidéosurveillance d'avertir : « La lutte contre le terrorisme ne doit pas être un simple alibi pour équiper des secteurs entiers de l'environnement quotidien sans réflexion approfondie sur l'utilité du dispositif. »

Qu'arriva-t-il ? Exactement l'inverse. Depuis que Sarkozy est à l'Élysée, les caméras se multiplient comme boutons de varicelle et sont présentées comme le truc indispensable pour faire déguerpir les délinquants. Objectif affiché : tripler leur nombre, pour en aligner 60 000 dès l'an prochain. Sauf que, question efficacité, ce n'est pas vraiment ça... Cet été, la chambre régionale des comptes de Rhône-Alpes a sorti un rapport - premier du genre réalisé en France - qui a fait un flop tant il bouscule les préjugés en la matière. On y apprend qu'à Lyon, où pas moins de 7,4 millions d'euros ont été dépensés en sept ans pour truffer la ville de 238 caméras, la délinquance de voie publique a moins baissé qu'à Villeurbanne, qui n'a pas investi un kopeck. Soit entre 2003 et 2008 moins 33 % à Lyon contre moins 48 % chez sa voisine.

D'ailleurs la Grande-Bretagne, le pays le plus vidéofliqué au monde avec 25 millions de caméras, citée à tout bout de champ par Sarkozy, est en train de rétropédaler. Et pour cause, toutes les études menées depuis dix ans par les Britanniques aboutissent au même constat : les caméras n'ont aucun effet dissuasif dans la rue ; zéro impact sur les agressions ; et très peu sur les vols sans violences. Éric Heilmann, enseignant-chercheur à l'Université de Strasbourg et spécialiste de la question, a épluché tous les rapports sur l'efficacité de la vidéosurveillance réalisés à l'étranger. Verdict : « Les caméras, ça ne marche pas en ville. Le seul endroit où ça fonctionne, c'est dans un espace clos, comme le métro.

Cela n'empêche pas Brice Hortefeux de répéter, comme après les émeutes de cet été à Grenoble : «Nous observons que la délinquance diminue deux fois plus vite dans les communes équipées de vidéoprotection. » Refrain repris en chœur par le ban et l'arrière-ban de l'UMP, de Xavier Bertrand au porte-flingue Éric Ciotti. D'où sort cette « observation » ? D'un document, un seul, dont « Le Figaro » a fait ses choux gras en août 2009, sous le titre : « Vidéosurveillance : le rapport qui prouve son efficacité ». Seul hic, non seulement cette étude a été réalisée par les services du ministère de l'Intérieur, juge et partie, mais la lettre de mission fixait noir sur blanc à ses rédacteurs l'objectif suivant : inciter les maires à s'équiper en apportant « des arguments propres à soutenir leur adhésion » ! Deux chercheurs indépendants, Éric Heilmann et Tanguy Le Goff, l'ont examinée à la loupe. Conclusion : l'étude est tellement bourrée d'erreurs méthodologiques qu'elle ne vaut pas un cachou. Exemple, le taux d'élucidation : il serait plus élevé dans les zones dépourvues de caméras : 60,6 % contre 54,4 % !

Pour financer le vidéoflicage à tout-va, Hortefeux siphonne le Fonds interministériel de prévention censé aider les communes à lutter contre la délinquance. Désormais, 60 % de son budget, soit 30 millions d'euros par an, est englouti par les caméras. Du coup les candidats se bousculent au portillon. Déjà1 522 villes sont équipées. Même les villages s'y mettent. A Baudinard-sur-Verdon (Var), on compte 12 caméras pour 156 habitants... «Au début, les maires se frottent les mains d'avoir décroché une subvention de l'État qui, représente grosso modo la moitié du coût de l'installation », explique Laurent Muchielli, directeur de recherches au CNRS et spécialiste des questions de sécurité. Mais, une fois les caméras installées (comptez 30 000 euros l'œilleton), l'entretien et le coût de fonctionnement du bazar sont pour leur pomme. À Lyon, par exemple, la ville dépense chaque année 200 000 euros pour la maintenance et 900 000 euros pour rémunérer les 29 opérateurs scotchés devant les écrans. De quoi payer une centaine de policiers municipaux...

Toujours est-il que, grâce à Sarkozy, la France est devenue l'eldorado des fabricants et installateurs de caméras. « Je mise sur une croissance à trois chiffres », s'extasiait récemment le patron de Tag Technologies, une PME toulousaine (« La Tribune », 19/07). Voilà au moins un secteur qui ne connaît pas la crise. Deux cents sociétés se partagent un gâteau de 1 milliard d'euros par an. Cette année, ce sont des filiales de GDF Suez et de Veolia qui ont raflé le plus gros morceau : 240 millions d'euros pour équiper Paris de 1 200 caméras.

« L'année 2010 a particulièrement bien commencé », se réjouit, sur son site, l'Association nationale des villes vidéosurveillées. Un machin créé par les 70 poids lourds du secteur pour mieux fourguer leur quincaillerie aux élus.

L'hystérie sécuritaire du jour va être bonne pour les affaires...

Jérôme Canard
Le Canard Enchainé,
le 08/09/2010

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