"Le motif de base de la résistance était l'indignation. Nous vétérans des mouvements de résistance et des forces combattantes de la France libre, nous appelons les jeunes générations à faire vivre, transmettre, l'héritage de la résistance et ses idéaux. Nous leur disons : prenez le relais, indignez-vous ! Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l'ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l'actuelle dictature des marchés financiers qui menacent la paix et la démocratie.

Je vous souhaite à tous, à chacun d'entre vous d'avoir votre motif d'indignation. C'est précieux."

Stéphane Hessel

mardi 23 mai 2017

Huile de palme "durable" : un outil de greenwashing pour berner le consommateur

Produire une huile de palme "durable" est-il possible ? Face à la fronde contre les effets dévastateurs de cette industrie sur l'environnement, certaines marques mettent en avant un label vert, garant d'une huile de palme qui respecterait la biodiversité. Un énorme mensonge, dénonce Laurence Duthu, présidente de l'association L'Huile de palme : NON !


En Europe et plus particulièrement dans deux pays, la France et la Belgique, apparaît la mouvance de l'huile de palme durable. Orchestrée par l'industrie agro-alimentaire et le WWF, elle tente de rendre la culture industrielle de l'huile de palme vertueuse de l'environnement aux yeux des consommateurs. Cette approche est savamment réfléchie et soutenue par grand renfort financier du lobby de l'industrie palmière dont les multinationales sont le chef d'orchestre.

Un écran de fumée pour berner le consommateur

L'huile de palme "durable" est un concept créé en 2004 par la RSPO (Roundtable on sustainable palm oil ou Table ronde pour une huile de palme durable). Les membres fondateurs de cette organisation sont, entre autres, les producteurs (MPOA – Malaysian palm oil association), les multinationales (Unilever qui détient Dove, Cajoline, Carte d'Or, Timotei, Planta Fin, Knorr, etc.), les banques (la banque néerlandaise Rabobank) et le WWF (ONG au célèbre panda créée en 1961 et cotée en bourse).

Leur but, il y a déjà dix ans de ça, était de rendre l'huile de palme conventionnelle – utilisée plus que largement dans leurs produits et qui commençait à être décriée par les ravages qu'elle produisait – "durable" via des règles auto-édictées et auto-contrôlées ! En somme, un écran de fumée afin de tromper le consommateur et n'entachant pas les profits fort rentables pour toute la filière.

Un savant outil de greenwashing

Un fait tout simple permet, en quelques secondes, de comprendre la supercherie qu'est la RSPO. Pour l'année 2012/2103, Unilever, membre fondateur je vous le rappelle, n'utilisait que 3% d'huile de palme durable dont une (grande) partie en certificat GreenPalm.

Ce dernier est un savant outil de greenwashing inventé une fois de plus pour berner le consommateur. Un produit estampillé GreenPalm ne veut pas dire qu’il contient de l’huile de palme "durable" mais que l’industriel a acheté des certificats vendus par un producteur d’huile de palme "durable". Ces certificats sont mis sur une plateforme de vente (système de la Bourse) et il est impossible pour l’acheteur de connaitre la provenance de l’huile qu’il a contractée et la façon dont elle a été produite.

Un détail important est à connaître également : une société peut être membre de la RSPO mais rien ne l'oblige à utiliser de l'huile de palme "durable" portant alors le sigle CSPO. Cette confusion est volontairement entretenue.

Le filon très rentable qu'est la culture industrielle de l'huile de palme, qu'elle soit conventionnelle, durable ou biologique, a balayé dès le départ les deux fondements pourtant indispensables pour que cet oléagineux devienne durable : absence de déforestation et respect des populations autochtones et des petits paysans.

L'huile de palme durable n'empêche pas la déforestation

En effet, selon l'étude de Belinga Margono, la déforestation ne fait que s'accélérer. Entre 2010 et 2012, la forêt indonésienne a perdu plus de 6 millions d'hectares de forêt primaire, soit une surface comparable à l'Irlande. Cette déforestation est le fait même de sociétés membres de la RSPO comme le démontre très régulièrement Chanee via son association Kalaweit ou l'association indonésienne Centre of Orangutans Protection.

De même, cette demande toujours plus importante d'huile de palme et ses dérivés nécessite constamment de nouvelles terres afin de faire pousser de nouveaux palmiers à huile. Ces derniers donnent un rendement satisfaisant pendant 25 ans, après quoi il est abandonné. Seulement, ce palmier ne peut pas être remplacé en lieu et place, le sol étant "vidé" de ces éléments nutritifs et gorgé de pesticides et herbicides, le paraquat notamment (puissant neurotoxique commercialisé par Syngenta membre de la RSPO et interdit en Europe depuis 2007). Il faut donc de nouvelles terres vierges afin d'assurer un bon rendement.

Cette déforestation s'accompagne de rejets très importants de CO2 qui classe l'Indonésie troisième pays émetteur de CO2 au monde. La cause est liée, outre la déforestation massive et les feux de forêt s'accompagnant, à la nature du sol qui est souvent composée de tourbières amplifiant le phénomène de rejets de dioxyde de carbone.

Selon les règles édictées par la RSPO, les palmiers à huile plantés sur d'anciennes parcelles déboisées avant 2005 obtiennent la certification "durable". Sauf que dans les faits, cela est très loin d'être le cas ! En 2014 bien trop de cas ont été recensés.

De plus, cette décision efface le massacre d'une biodiversité perpétré avant cette date, massacre qui englobe la destruction de millions d'hectares de forêts primaires, la mort de centaines de milliers d'espèces animales amenant certaines à l'extinction, le déplacement et l'accaparement des terres de milliers d'autochtones et de petits paysans.

Cette décision de la RSPO n'est qu'une honte, n'ayant jamais empêché de certifier encore et toujours de l'huile de palme qui ne l'a jamais été et ne pourra jamais l'être de toute évidence.

La culture "durable" bafoue les droits de l'Homme

Que cela soit en Asie du Sud-Est, en Afrique ou en Amérique du Sud, la culture industrielle "durable" n'a que faire des populations autochtones.

L'accaparement des terres est une pratique assez répandue et dénoncée à maintes reprises par les ONG humanitaires. Les ouvriers sont payés une misère où les enfants sont aussi de la partie. Ils sont à la merci de des producteurs peu scrupuleux les réduisant malheureusement trop régulièrement en esclaves des temps modernes.

Le bio n'est en pas en reste ! L'essentiel de la production vient de Colombie et est "durable" via sa certification de la RSPO et biologique par ses méthodes de culture certifiées par Ecocert entre autres.

Cependant, derrière se cachent scandales, expropriations, accaparements des terres, déforestation et recours aux paramilitaires. La majorité de la production colombienne vient du groupe Daabon, un empire aux airs de mafia qui se cache derrière un visage d'entreprise familiale. Les membres de cette large famille ont les pieds également en politique facilitant la main mise sur les terres.

Se tourner vers des produits sans huile de palme

Il y a dix, vingt ans de cela, le concept de l'huile de palme durable et sa mise en application plus drastique et indépendante aurait pu peut-être sauver les forêts primaires d'Asie du Sud-Est.

La monoculture industrielle des palmiers à huile va très souvent de pair avec les sociétés sylvicoles qui exploitent les forêts afin de fournir la matière première des industries de l'ameublement et de la pâte à papier. Ces sociétés appartiennent pour beaucoup à de mêmes groupes détenant celles du volant palmiers à huile.

À l'heure actuelle, 80% des forêts tropicales de la partie malaisienne de Bornéo sont exploitées. Rien ne semble empêcher ce rouleau compresseur d'avancer, que cela soit en Asie du Sud-Est, en Afrique ou en Amérique du Sud.

Un espoir subsiste qui se tient dans les mains des consommateurs : le choix de dire non et de se tourner vers des produits sans huile de palme et ses dérivés. Pour se faire, le fait maison avec des produits locaux de saison sera toujours le meilleur allié, la garantie d'une alimentation saine et le respect d'une biodiversité si nécessaire au bien être de tout être vivant.

Laurence Duthu,
19-01-2015, "le plus - L'Obs"



dimanche 14 mai 2017

Notre-Dame-des-Landes : l'impossible compensation écologique de l'aéroport



Les sénateurs ont analysé l'impact environnemental de quatre grands projets d'infrastructure

Peut-on compenser les atteintes faites à la nature lors d'un grand chantier en protégeant ou en réparant ailleurs ce qui y est détruit ? La question anime sans fin les experts de l'écologie. Cette fois, ce sont les sénateurs qui s'en mêlent. Ils ont formé une commission qui a examiné quatre cas concrets : l'autoroute A65 reliant Pau à Langon (Gironde), la ligne à grande vitesse entre Tours et Bordeaux, la réserve d'actifs -naturels de Cossure dans la plaine de la Crau (Bouches-du-Rhône) et... le projet de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique).

Ce dernier dossier n'en finit pas de semer le trouble, jusque dans le rapport que le Sénat a rendu public jeudi 11 mai. Une commission d'enquête de la Chambre haute, mise en place le 29 novembre 2016, s'est penchée sur "la réalité des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructure". Ce travail établit de fait la quasi-impossibilité de compenser les pertes de terres agricoles et de zones humides là où doit être construit le futur aéroport, au nord de Nantes.

Les membres de cette commission se gardent bien de commenter le bien-fondé de cette infrastructure ni d'ailleurs d'aucun des autres cas étudiés. "Donner un avis a tout simplement été impossible à cause des divisions sur le sujet de Notre-Dame-des-Landes, mais notre but était d'abord de définir des mesures compensatoires plus claires et de préciser le cadre d'application de la loi biodiversité - adoptée le 20 juillet 2016 - ", explique Ronan Dantec, sénateur écologiste de Loire-Atlantique et rapporteur de la commission.

Coûts sous-évalués

Pour aboutir à un compromis que M. Dantec juge finalement " ambitieux ", les membres de la commission ont dû éviter les questions sensibles. Ils avancent trente-cinq propositions, sans s'accorder sur le cas du futur aéroport. Mais pour l'élu, aucun doute n'est permis. La conduite du projet actuel ne répond pas au principe " éviter-réduire-compenser ", introduit en droit français par la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature. Ce concept a, depuis, notamment été renforcé par la législation européenne sur la question de l'obligation de résultats. Mais, ainsi que le suggère le rapport, il reste à préciser comment l'appliquer et comment encadrer sur le plan juridique le contenu des mesures à prendre.

Ronan Dantec explique que le projet de Notre-Dame-des-Landes et le choix de sa future implantation, arrêté dans les années 1960, ont été décidés " sans prise en compte de la biodiversité ". La phase dite d'évitement - autrement dit l'étude d'alternatives - n'a pas été menée, comme en ont témoigné les représentants des agriculteurs ainsi que les associations d'opposants auditionnés par la commission. L'étape de la réduction des atteintes à la biodiversité n'a pas été mieux respectée.

Enfin, s'agissant de la compensation, elle serait de fait impossible. Les mesures envisagées par l'Etat et le porteur du projet, Aéroport du Grand Ouest, filiale de Vinci, ont été " surévaluées ", avance-t-il, et les surfaces nécessaires à la compensation tout autant sous-évaluées. De même que le coût, qui pourrait s'élever " en moyenne de 1 à 2 millions d'euros par an, alors que les -maîtres d'ouvrage annoncent 300 000 euros ". Enfin, la réalisation d'une nouvelle ligne ferroviaire Ouest-Bretagne - Pays de la Loire, destinée à améliorer la desserte entre le futur aéroport et les deux régions n'a pas été prise en compte dans la compensation.

Au-delà de ce cas d'espèce, les sénateurs, après plus de soixante-quatre heures d'auditions et des visites sur les quatre sites étudiés, ont retenu plusieurs propositions innovantes. Parmi les plus marquantes, on relève la nécessité de définir dans le code de l'environnement les principes applicables à la mise en oeuvre de l'évitement et de la réduction, comme cela existe pour la compensation.

Sont également avancées la prise en compte des atteintes à la biodiversité " ordinaire ", comme les oiseaux communs ou les pollinisateurs, dans les processus d'autorisation; la nécessité d'appliquer aux travaux eux-mêmes le principe éviter-réduire-compenser, et l'association plus étroite du monde agricole à toutes les étapes de définition et de mise en oeuvre de ces mesures. Les sénateurs soulignent, par ailleurs, la nécessité de davantage de transparence dans les coûts. Ceux-ci sont en effet très rarement déterminés avant la réalisation d'un projet lors de la phase d'étude.

Rémi Barroux

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De son coté, Emmanuel Macron, sur le projet de NDDL, s'est montré ouvert à l'étude d'une modernisation de l'aéroport actuel. « Aujourd'hui, on ne lancerait pas un projet du type de Notre-Dame-des-Landes », a-t-il concédé, tout en disant ne pas vouloir « écarter » le résultat de la consultation publique de l'an dernier, qui a débouché sur un avis favorable au projet. Ainsi dans les six mois suivant son élection à l'Élysée, il a dit vouloir nommer « un médiateur » pour qu'on « regarde en parallèle (...) le projet Nantes-Atlantique », l'actuel aéroport qui pourrait être modernisé. Dans ce dossier, le candidat souhaite « une dernière fois, regarder les choses » en termes « économiques, environnementaux, d'empreinte carbone, de capacité à développer ». Et enfin il a écarté l'idée d'une évacuation des opposants à un nouvel aéroport : « Je ne veux pas d'évacuation (...) il n'y aura pas de brutalité. »

N’étant pas du genre à faire des procès d’intentions, j’attends donc de voir s’il respectera sa parole, et alors, s’il est honnête, je n’ai aucun doute sur le fait qu’il ne pourra que se rendre à l’avis des opposants et reconnaîtra que ce projet se doit d’être abandonné. Mais en attendant on ne lâche rien !!!

samedi 13 mai 2017

L’ONU appelle à renoncer à l’agriculture industrielle

Par : Marine Jobert | Le Journal de l'Environnement | 8 mars 2017

La rapporteuse spéciale sur le droit à l’alimentation de l’ONU, Hilal Elver, dresse un réquisitoire des conséquences délétères des pesticides sur la faune, la flore et l’être humain.

«Être tributaire de pesticides dangereux est une solution à court terme qui porte atteinte au droit à une alimentation suffisante et au droit à la santé des générations actuelles et des générations futures.» Hilal Elver n’a pas la notoriété d’un Olivier De Schutter ou l’aura d’un Jean Ziegler, mais, tout comme ses prédécesseurs au poste de rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, cette juriste turque a la plume acérée. Dans un rapport consacré aux méfaits écologiques, sanitaires et sociaux des pesticides, elle dresse un réquisitoire implacable contre ces substances. Certes, elles ont «sans conteste contribué à permettre à la production agricole de faire face à des hausses sans précédent de la demande alimentaire», mais au prix de désastres sur «la santé humaine et l’environnement». Un procès à charge contre les transnationales, dont certaines activités devraient être pouvoir être encadrées et, le cas échéant, sanctionnées.

Toxiques, mais légaux

200.000. C’est le nombre de personnes qui, chaque année, meurent d’intoxication aigüe, dont 99% surviennent dans les pays en développement, «où les réglementations dans le domaine de la santé, de la sécurité et de l’environnement sont plus souples et appliquées moins rigoureusement». Les preuves des effets à moyen et long terme des pesticides, sur le vivant en général et l’être humain en particulier, sont plus ardues à apporter, d’autant que «l’ampleur des dommages causés par ces produits chimiques est systématiquement contestée [par l’industrie des pesticides et l’industrie agroalimentaire]». Et d’égrener la liste des pathologies, de mieux en mieux connues, imputables aux pesticides: Parkinson, Alzheimer, troubles hormonaux, troubles de la fertilité, etc. Avec quelles conséquences, en termes de politique publique ? Les États du monde entier semblent sur la même ligne: celle de l’inaction. «Bien que les graves risques pour la santé que présentent nombre de pesticides soient clairement établis, ceux-ci sont encore utilisés», constate la rapporteuse.

Droit à une alimentation sans pesticides

Le droit à une alimentation suffisante, reconnue par la Déclaration universelle des droits de l’homme, s’arrête-t-il là où commence la contamination par les pesticides ? Oui, considère le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, «car ce droit englobe le droit à une nourriture exempte de substances nocives». Pour aujourd’hui et pour demain, insistent ces représentants de l’ONU. Or, avec des eaux de ruissellement contaminées, des populations de ravageurs perturbées, des écosystèmes déstabilisés et des sols privés de vie dont les rendements s’effondrent, les générations futures sont lésées. «Les arguments selon lesquels les pesticides seraient indispensables pour préserver le droit à l’alimentation et à la sécurité alimentaire entrent en contradiction avec le droit à la santé, compte tenu des nombreux impacts sanitaires associés à certaines pratiques d’utilisation des pesticides.»

Transnationales dans l’impunité

Derrière les États défaillants se dressent les multinationales toutes-puissantes. «L’industrie des pesticides est dominée par quelques sociétés transnationales qui exercent un pouvoir extraordinaire sur la recherche agrochimique, les initiatives législatives et les orientations en matière de réglementation au niveau mondial, dénonce le rapport. Elles ont aussi des responsabilités en termes de droits de l’homme.» Et c’est là tout le nœud du rapport: comment les rendre comptables et responsables de leurs agissements ?

Des États trop bienveillants

Certes, il existe bien des traités, comme la convention de Stockholm ou celle de Montréal, qui ont débarrassé le monde (au moins sur le papier) d’affreux polluants. Mais pour des centaines de pesticides - très dangereux, mais qui n’entrent pas dans les clous de la réglementation - les étapes cruciales de leur cycle de vie échappent à toute réglementation. Et ces instruments juridiques recèlent quantité de subtilités (clauses d’exemption, règles de vote léonines…) qui permettent à des Etats de laisser sur le marché des produits toxiques, comme le Paraquat par exemple. Quant aux réglementations nationales, outre qu’elles sont fondées sur des études scientifiques discutables, elles sont peu mises en œuvre et peu contrôlées, faute de moyens. Résultat, des pesticides interdits au Nord finissent souvent dans les pays en voie de développement sans que personne n’y trouve à redire.

Renoncer à l’agriculture industrielle

Le 28 février, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) alertait sur l’impossibilité, pour un monde en expansion démographique incontrôlée et aux rendements agricoles stables, de combattre la famine dans les décennies à venir, mais elle ne préconisait pourtant pas de réelles pistes pour tenter de sortir de la crise. Hilal Elver, elle, achève son réquisitoire sur une série de recommandations très fermes en direction des États. Car c’est à eux qu’il appartient de soutenir une agriculture libérée des pesticides dangereux et l’agroécologie, de protéger les femmes enceintes et les enfants de l’exposition à ces produits toxiques, de financer des études indépendantes sur leurs effets potentiels, de cesser de les subventionner et renforcer leur taxation ou de promouvoir une alimentation issue de l’agriculture biologique. Mais interdire et réglementer ne suffit plus: le moyen le plus efficace à long terme de réduire l’exposition à ces produits chimiques toxiques «est de renoncer progressivement à l’agriculture industrielle», conclut la rapporteuse.

lundi 8 mai 2017

Legislatives : Il faut un maximum de candidatures d'union à gauche

J'aime beaucoup le message de Benoît Hamon, que je me permets d'éditer ci-dessous, car je m'y retrouve assez bien, mais je me dis que si le reste de la France est à l'image de la cinquième circonscription de l'Essonne, avec ses candidatures séparées des Socialistes, des communistes, des écologistes et de la France Insoumise, l'espoir d'union est assez mal engagé. Dans l'Essonne la machine à perdre est toujours en fonctionnement.


Je félicite Emmanuel Macron pour son élection à la Présidence de la République. Le sens de l'intérêt général m'invite à souhaiter qu'il réussisse. Je félicite aussi les citoyens français venus nombreux lors des deux tours de cette élection faire vivre notre démocratie et choisir d'utiliser le bulletin de vote portant le nom d'Emmanuel Macron pour écarter un péril majeur pour la République : l'arrivée de l'extrême droite au pouvoir.


Je note cependant le score historique de Madame Le Pen. Cela m'invite à aller à l'essentiel. Si 63% des Français ont voté pour Emmanuel Macron, cette majorité n'existe pas pour démanteler le Code du travail par ordonnance. Elle n'existe pas pour augmenter la CSG et supprimer l'Impôt de Solidarité sur la Fortune. Elle n'existe pas pour diminuer le nombre de fonctionnaires et laisser disparaître les services publics, dégrader l'hôpital et les écoles. Elle n'existe pas pour approuver les traités de libre-échange.

Parce que, ce soir, nous n'avons trouvé de majorité que pour dire non à l'extrême droite, c'est à l'occasion des élections législatives des 11 et 18 juin prochains que vous allez choisir la politique que vous souhaitez pour la France, pour la France en Europe, pour vous-mêmes et vos enfants.

Je veux porter, avec toutes les forces de gauche :

- L'urgence de solidarités nouvelles face aux mutations du travail (à l'ubérisation et la précarisation effrénée des emplois), mais aussi des existences, que nous soyons jeunes ou âgés.

- L'urgence d'améliorer le pouvoir d'achat des salariés, des retraités, des classes populaires et moyennes.

- L'urgence de la transition écologique, absente de manière irresponsable du débat et des projets de Madame Le Pen et Monsieur Macron, et qui représente un formidable gisement d'emplois. Cette urgence est aussi celle de la prise de conscience que nous devons et ne pouvons plus produire et consommer comme si les ressources naturelles étaient inépuisables et la planète invulnérable.

- L'urgence de sortir d'une démocratie intermittente se résumant à un scrutin majeur tous les 5 ans, où les projets s'effacent derrière le vote utile. Il faut passer à la 6ème République.

- L'urgence d'en finir avec l'austérité en Europe sans pour autant jeter l'Europe aux orties.

Ces cinq points, présents dans la plupart des projets des différentes sensibilités de la gauche et des écologistes en France et en Europe, peuvent constituer la base d'une plateforme commune à toute la gauche française pour gouverner dès le 18 juin.

Si la gauche se rassemble, elle peut être majoritaire à l'Assemblée nationale. Soyez en certains.

Nous, hommes et femmes de gauche par conviction, que nos cultures soient socialistes, écologistes, citoyennes, communistes, insoumises, hommes et femmes sincèrement désireux de faire gagner la gauche, il nous appartient de surmonter les antagonismes des partis, les vieilles rancunes, les sectarismes et les stratégies de démolition. Il faut un maximum de candidatures d'union à gauche pour les élections législatives. J'y suis prêt. Dès ce soir. Je soutiendrai par delà les étiquettes les femmes et les hommes sincèrement engagés dans cette démarche de rassemblement, première étape d'une renaissance et d'une reconstruction de la gauche française.

Nous avons fait barrage au pire. À nous de construire le meilleur.

Fidèlement,

Benoît Hamon

dimanche 7 mai 2017

Meadows : « Nous n’avons pas mis fin à la croissance, la nature va s’en charger »


Interview – La croissance perpétuelle est-elle possible dans un monde fini ? Il y a quarante ans déjà, Dennis Meadows et ses acolytes répondaient par la négative. Aujourd’hui, le chercheur lit dans la crise les premiers signes d’un effondrement du système.

En 1972, dans un rapport commandé par le Club de Rome, des chercheurs de l’Institut de technologie du Massachusetts (MIT) publient un rapport intitulé « Les limites de la croissance ». Leur idée est simple : la croissance infinie dans un monde aux ressources limitées est impossible. Aussi, si les hommes ne mettent pas fin à leur quête de croissance eux-mêmes, la nature le fera-t-elle pour eux, sans prendre de gants.

En 2004, le texte est, pour la deuxième fois, remis à jour. Sa version française vient – enfin – d’être publiée aux éditions Rue de l’échiquier. En visite à Paris pour présenter l’ouvrage, Dennis Meadows, l’un des auteurs principaux, revient sur la pertinence de projections vieilles de quarante ans et commente la crise de la zone euro, la raréfaction des ressources et le changement climatique, premiers symptômes, selon lui, d’un effondrement du système.

Terra eco : Vous avez écrit votre premier livre en 1972. Aujourd’hui la troisième édition – parue en 2004 vient d’être traduite en français. Pourquoi, selon vous, votre livre est encore d’actualité ?

Dennis Meadows : A l’époque, on disait qu’on avait encore devant nous quarante ans de croissance globale. C’est ce que montrait notre scénario. Nous disions aussi que si nous ne changions rien, le système allait s’effondrer. Pourtant, dans les années 1970, la plupart des gens estimait que la croissance ne s’arrêterait jamais.C’est aujourd’hui que nous entrons dans cette période d’arrêt de la croissance.

Tous les signes le montrent. Le changement climatique, la dislocation de la zone euro, la pénurie d’essence, les problèmes alimentaires sont les symptômes d’un système qui s’arrête. C’est crucial de comprendre qu’il ne s’agit pas de problèmes mais bien de symptômes.

Si vous avez un cancer, vous pouvez avoir mal à la tête ou de la fièvre mais vous ne vous imaginez pas que si vous prenez de l’aspirine pour éliminer la fièvre, le cancer disparaîtra. Les gens traitent ces questions comme s’il s’agissait de problèmes qu’il suffit de résoudre pour que tout aille bien.

Mais en réalité, si vous résolvez le problème à un endroit, la pression va se déplacer ailleurs. Et le changement ne passera pas par la technologie mais par des modifications sociales et culturelles.

Terra Eco : Comment amorcer ce changement ?

Dennis Meadows : Il faut changer notre manière de mesurer les valeurs. Il faut par exemple distinguer la croissance physique et de la croissance non physique, c’est-à-dire la croissance quantitative et la croissance qualitative. Quand vous avez un enfant, vous vous réjouissez, au départ, qu’il grandisse et se développe physiquement. Mais si à l’âge de 18 ou 20 ans il continuait à grandir, vous vous inquiéteriez et vous le cacheriez.

Quand sa croissance physique est terminée, vous voulez en fait de la croissance qualitative. Vous voulez qu’il se développe intellectuellement, culturellement.Malheureusement, les hommes politiques n’agissent pas comme s’ils comprenaient la différence entre croissance quantitative et qualitative, celle qui passerait par l’amélioration du système éducatif, la création de meilleurs médias, de clubs pour que les gens se rencontrent… Ils poussent automatiquement le bouton de la croissance quantitative. C’est pourtant un mythe de croire que celle-ci va résoudre le problème de la zone euro, de la pauvreté, de l’environnement… La croissance physique ne fait aucune de ces choses-là.

Terra Eco : Pourquoi les hommes politiques s’entêtent-ils dans cette voie ?

Dennis Meadows : Vous buvez du café ? Et pourtant vous savez que ce n’est pas bon pour vous. Mais vous persistez parce que vous avez une addiction au café. Les politiques sont accros à la croissance. L’addiction, c’est faire quelque chose de dommageable mais qui fait apparaître les choses sous un jour meilleur à courte échéance. La croissance, les pesticides, les énergies fossiles, l’énergie bon marché, nous sommes accros à tout cela. Pourtant, nous savons que c’est mauvais, et la plupart des hommes politiques aussi.

Terra Eco : Ils continuent néanmoins à dire que la croissance va résoudre la crise. Vous pensez qu’ils ne croient pas en ce qu’ils disent ?

Dennis Meadows : Prenons l’exemple des actions en Bourse. Auparavant, on achetait des parts dans une compagnie parce qu’on pensait que c’était une bonne entreprise, qu’elle allait grandir et faire du profit. Maintenant, on le fait parce qu’on pense que d’autres personnes vont le penser et qu’on pourra revendre plus tard ces actions et faire une plus-value. Je pense que les politiciens sont un peu comme ça. Ils ne pensent pas vraiment que cette chose appelée croissance va résoudre le problème mais ils croient que le reste des gens le pensent. Les Japonais ont un dicton qui dit : « Si votre seul outil est un marteau, tout ressemble à un clou. » Si vous allez voir un chirurgien avec un problème, il va vous répondre « chirurgie », un psychiatre « psychanalyse », un économiste « croissance ». Ce sont les seuls outils dont ils disposent. Les gens veulent être utiles, ils ont un outil, ils imaginent donc que leur outil est utile.

Terra Eco : Pensez-vous que pour changer ce genre de comportements, utiliser de nouveaux indicateurs de développement est une bonne manière de procéder ?

Dennis Meadows : Oui, ça pourrait être utile. Mais est-ce ça qui résoudra le problème ? Non.

Terra Eco : Mais qu’est-ce qui résoudra le problème alors ?

Dennis Meadows : Rien. La plupart des problèmes, nous ne les résolvons pas. Nous n’avons pas résolu le problème des guerres, nous n’avons pas résolu le problème de la démographie. En revanche, le problème se résoudra de lui-même parce que vous ne pouvez pas avoir une croissance physique infinie sur une planète finie. Donc la croissance va s’arrêter. Les crises et les catastrophes sont des moyens pour la nature de stopper la croissance.

Nous aurions pu l’arrêter avant, nous ne l’avons pas fait donc la nature va s’en charger. Le changement climatique est un bon moyen de stopper la croissance.

La rareté des ressources est un autre bon moyen. La pénurie de nourriture aussi. Quand je dis « bon », je ne veux pas dire bon éthiquement ou moralement mais efficace. Ça marchera.

Terra Eco : Mais y-a-t-il une place pour l’action ? La nature va-t-elle corriger les choses de toute façon ?

Dennis Meadows : En 1972, nous étions en dessous de la capacité maximum de la Terre à supporter nos activités, à 85% environ. Aujourd’hui, nous sommes à 150%. Quand vous êtes en dessous du seuil critique, c’est une chose de stopper les choses. Quand vous êtes au-delà, c’en est une autre de revenir en arrière. Donc oui, la nature va corriger les choses.

Malgré tout, à chaque moment, vous pouvez rendre les choses meilleures qu’elles n’auraient été autrement. Nous n’avons plus la possibilité d’éviter le changement climatique mais nous pouvons l’atténuer en agissant maintenant. En réduisant les émissions de CO2, l’utilisation d’énergie fossile dans le secteur agricole, en créant des voitures plus efficientes… Ces choses ne résoudront pas le problème mais il y a de gros et de petits effondrements. Je préfère les petits.

Terra Eco : Vous parlez souvent de « résilience ». De quoi s’agit-il exactement ?

Dennis Meadows : La résilience est un moyen de construire le système pour que, lorsque les chocs arrivent, vous puissiez continuer à fonctionner, vous ne vous effondriez pas complètement. J’ai déjà pensé à six manières d’améliorer la résilience. La première est de construire « des tampons ». Par exemple, vous faites un stock de nourriture dans votre cave : du riz, du lait en poudre, des bocaux de beurre de cacahuète… En cas de pénurie de nourriture, vous pouvez tenir plusieurs semaines.

A l’échelle d’un pays, c’est par exemple l’Autriche qui construit de plus gros réservoirs au cas où la Russie fermerait l’approvisionnement en gaz. Deuxième chose : l’efficacité. Vous obtenez plus avec moins d’énergie, c’est ce qui se passe avec une voiture hybride par exemple… ou bien vous choisissez de discuter dans un café avec des amis plutôt que de faire une balade en voiture. En terme de quantité de bonheur par gallon d’essence dépensé, c’est plus efficace. Troisième chose : ériger des barrières pour protéger des chocs.

Ce sont les digues à Fukushima par exemple.

Quatrième outil : le « réseautage » qui vous rend moins dépendant des marchés. Au lieu d’employer une baby-sitter, vous demandez à votre voisin de garder vos enfants et en échange vous vous occupez de sa plomberie. Il y a aussi la surveillance qui permet d’avoir une meilleure information sur ce qu’il se passe.

Enfin, la redondance qui consiste à élaborer deux systèmes pour remplir la même fonction, pour être prêt le jour où l’un des deux systèmes aura une faille. Ces six méthodes accroissent la résilience. Mais la résilience coûte de l’argent et ne donne pas de résultats immédiats. C’est pour cela que nous ne le faisons pas.

Terra Eco : Si l’on en croit un schéma de votre livre, nous sommes presque arrivés au point d’effondrement. Et nous entrons aujourd’hui, selon vous, dans une période très périlleuse…

Dennis Meadows : Je pense que nous allons voir plus de changement dans les vingt ans à venir que dans les cent dernières années. Il y aura des changements sociaux, économiques et politiques. Soyons clairs, la démocratie en Europe est menacée. Le chaos de la zone euro a le potentiel de mettre au pouvoir des régimes autoritaires.

Terra Eco : Pourquoi ?

Dennis Meadows : L’humanité obéit à une loi fondamentale : si les gens doivent choisir entre l’ordre et la liberté, ils choisissent l’ordre.

C’est un fait qui n’arrête pas de se répéter dans l’histoire. L’Europe entre dans une période de désordre qui va mécontenter certaines personnes.

Et vous allez avoir des gens qui vont vous dire : « Je peux garantir l’ordre, si vous me donnez le pouvoir. » L’extrémisme est une solution de court terme aux problèmes. Un des grands présidents des Etats-Unis a dit : « Le prix de la liberté est la vigilance éternelle. » Si on ne fait pas attention, si on prend la liberté pour acquise, on la perd.

Les limites de la croissance (dans un monde fini), Donella Meadows, Dennis Meadows, Jorgen Randers, ed. Rue de l’échiquier, 425 pages, 25 euros.

Terra Eco, 29/05/2012