"Le motif de base de la résistance était l'indignation. Nous vétérans des mouvements de résistance et des forces combattantes de la France libre, nous appelons les jeunes générations à faire vivre, transmettre, l'héritage de la résistance et ses idéaux. Nous leur disons : prenez le relais, indignez-vous ! Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l'ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l'actuelle dictature des marchés financiers qui menacent la paix et la démocratie.

Je vous souhaite à tous, à chacun d'entre vous d'avoir votre motif d'indignation. C'est précieux."

Stéphane Hessel

jeudi 30 août 2018

Le futur a déjà eu lieu à Nauru

Peu de gens ont entendu parler de Nauru. Plus rares encore sont ceux capables de situer cette petite île sur une carte. Minuscule État, l’île de Nauru compte un peu plus de 10 000 habitants et 21 km2 de superficie, ce qui en fait le troisième pays le plus petit du monde. Perdue dans le Pacifique Sud, elle semble oubliée du monde moderne. Elle fut, pourtant, durant quelques années, l’un des pays les plus riches du monde, avant de connaître un total effondrement.

La petite île de Nauru est approchée pour la première fois par des Occidentaux en 1798. Ces derniers, impressionnés par la beauté de l’île, nomment celle-ci Pleasant Island. Un siècle plus tard, en 1896, un capitaine de navire rapporte en Australie une étrange pierre trouvée à Nauru. Cette pierre, qui ressemble à du bois pétrifié, traîne sur le sol d’un bureau pendant trois ans, servant à en caler la porte. L’Australie cherche alors à développer son économie agricole, et a grand besoin d’engrais pour augmenter la productivité de ses sols pauvres. Un géologue de la Pacific Island Company, Albert Ellis, cherche ainsi dans tout le Pacifique, sans trop de succès, des gisements de phosphate, composant essentiel des engrais nécessaires au développement de l’agriculture australienne. Ellis, intrigué par l’étrange pierre venant de Nauru, analyse celle-ci en 1899, et se rend alors compte que sa quête est terminée : la pierre se révèle être du phosphate presque pur. À l’orée du XXe siècle, la petite île de Nauru vient de devenir un enjeu minier majeur.

Pleasant Island devient à partir de ce moment une mine à ciel ouvert. Durant des décennies, les compagnies occidentales vont exploiter le phosphate de l’île. Nauru change de mains durant les négociations liées au traité de Versailles en 1919, passant des Allemands aux Anglais, puis des Anglais aux Australiens, en fonction de l’évolution de rapports de force se décidant à des milliers de kilomètres de la petite île. Durant la Seconde Guerre Mondiale, les Nauruans sont occupés, puis intégralement déportés par les Japonais. Durablement traumatisés par cette expérience, les habitants de Nauru décident à partir des années 1950 de prendre le destin de leur île en mains. L’Australie fait cependant tout ce qu’elle peut pour garder la mainmise sur Nauru, allant jusqu’à proposer de relocaliser tous les Nauruans sur l’île Fraser (située au nord de l’État australien du Queensland), cent fois plus grande, mais ne possédant aucune ressource naturelle économiquement stratégique. L’État australien cède finalement sous la pression des Nations unies, habilement manœuvrée par le père de l’indépendance de Nauru et premier président de l’île : Hammer Deroburt. Le 31 janvier 1968, l’État de Nauru devient indépendant, et prend le contrôle de l’exploitation du phosphate. Les habitants de l’île ne le savent pas encore, mais ils viennent de récupérer un incroyable trésor qui, tel celui des Nibelungen, va les mener à leur perte.

Un vrai pays de cocagne

Le nouveau président Hammer Deroburt nationalise l’exploitation du phosphate dans le cadre de la Nauru Phosphate Corporation. Il décide également de reverser une grande partie des revenus de l’exploitation minière aux habitants de l’île. Deroburt crée ainsi un système « collectiviste », où chaque citoyen nauruan jouit d’une aisance financière et matérielle incomparable, assurée directement par l’État. Les Nauruans n’ont ainsi plus besoin de travailler, le travail minier étant essentiellement assuré par des immigrés chinois. L’eau et l’électricité deviennent gratuites pour les habitants de l’île, et ils ne payent évidemment pas d’impôts, les caisses de l’État étant pleines grâce à la manne du phosphate. Nauru se dote aussi d’un hôpital dernier cri, à l’accès entièrement gratuit. Le gouvernement va même jusqu’à payer des femmes de ménage aux Nauruans, qui n’ont ainsi même plus à s’occuper de leur intérieur. De même qu’ils n’ont plus à s’occuper de pêche, activité pourtant traditionnelle à Nauru, puisqu’ils achètent en masse des plats préparés aux nombreux commerçants chinois qui se sont alors installés sur l’île.

Dans les années 1970, chaque foyer nauruan possède six ou sept voitures, que nul sur l’île ne songerait alors à réparer en cas de panne, alors qu’il est si facile de s’en faire expédier une nouvelle. Les Nauruans achètent également en masse des équipements technologiques de pointe, qu’ils n’hésitent également pas à remplacer purement et simplement de façon régulière. La culture traditionnelle de Nauru est alors rapidement victime de l’invention la plus diabolique de l’histoire de l’humanité : la télévision. Toute la vie sociale traditionnelle de l’île disparaît ainsi, du fait de l’omniprésence des cassettes vidéo que les Nauruans regardent seuls chez eux sur leur grand écran importé d’Australie. Mais cela compte alors peu aux yeux des habitants de l’île, Nauru est en effet à ce moment le pays ayant le P.I.B/hab le plus élevé du monde.

Nauru est une véritable « utopie » consumériste, où l’oisiveté et le gaspillage règnent en maîtres. Mais ses ingénieurs ont prévenu le président Deroburt dès la fin des années 1960 : l’exploitation du phosphate ne pourra encore durer qu’une trentaine d’années. Le gouvernement nauruan cherche alors à placer l’argent du phosphate dans des investissements avantageux afin de préparer l’avenir. Hélas, le mélange puissant de corruption, d’incompétence et d’inconséquence régnant au sein du gouvernement nauruan durant des années fera tourner cette initiative clairvoyante à la catastrophe. Nauru se lance dans une série d’investissements désastreux. Citons par exemple une compagnie aérienne, Air Nauru, qui se révèlera être un gouffre sans fond, et des investissements immobiliers démesurés, comme le Nauru House Building (qui sera, lors de son inauguration en 1977, le plus haut gratte-ciel d’Australie avec 190 mètres de hauteur).

La richesse de la petite île, couplée à l’incompétence et à l’absence de scrupules de ses dirigeants, attire également un nouveau genre de requins jusqu’alors inconnu dans ces eaux lointaines du Pacifique : les hommes d’affaires. Ces derniers, rebaptisés « conseillers économiques », feront sciemment perdre des sommes considérables à l’État nauruan, pour mieux les détourner. Le journaliste Luc Folliet rapporte, dans son livre Nauru, l’île dévastée, ces propos d’un avocat australien : « Nauru, c’est une île faite de merde, qui ressemble à une merde, et qui a l’odeur de la merde. Mais si vous êtes bon en affaires, alors vous allez tout de suite vous faire avec ce pays un bon petit paquet d’oseille ». En vingt ans, ce sont ainsi des milliards de dollars que le gouvernement nauruan a gaspillés pour rien.

La fin d’un monde

À partir des années 1990, le ralentissement, puis finalement l’arrêt de l’exploitation du phosphate, va provoquer sur l’île un cataclysme. Privée de ressources, cette société insulaire vivant sous perfusion d’argent facile depuis trop d’années s’effondre totalement. Le gouvernement nauruan est contraint d’emprunter massivement, puis doit chercher de nouvelles ressources afin de rembourser des intérêts exorbitants. L’île monnaye ainsi sa voix à l’O.N.U, votant en faveur de la reprise de la chasse à la baleine en échange de quelques subsides japonais. Le gouvernement nauruan transforme aussi le pays en paradis fiscal, et n’hésite pas à vendre des passeports. Le sommet est atteint lorsque Nauru loue plus de la moitié de son territoire à l’Australie, qui y installe des camps de rétention de migrants. Les Nauruans, appauvris, dépossédés de leur propre île, sont de plus méprisés par la communauté internationale, qui considère l’État nauruan comme un « État voyou ».

Aujourd’hui, l’île, qui avait été surnommée Pleasant Island, demeure dévastée sur le plan écologique par des décennies d’exploitation minière forcenée, et reste parsemée de carcasses de voitures rouillées et de bâtiments en ruines. La culture traditionnelle de Nauru a été totalement oubliée en deux décennies. La société de consommation a ainsi réussi à détruire l’identité culturelle des Nauruans, ce qu’aucun des nombreux colonisateurs de l’île n’avait réussi à faire. L’île cumule de plus les statistiques records : 90% des Nauruans sont au chômage, 80% souffrent d’obésité morbide, et 40% d’un diabète de type II. Le diabète, allié à la vétusté des installations médicales, est ainsi devenu la première cause de mortalité de l’île, allant, aux yeux de certains, jusqu’à hypothéquer la survie du déjà peu nombreux peuple nauruan. D’autres voient dans l’effondrement économique de l’île l’occasion pour ses habitants de renouer avec leur mode de vie traditionnel, espérant guérir de cette façon les terribles effets sanitaires et sociaux engendrés par le mélange d’oisiveté et de surconsommation qui a régné à Nauru durant des années. Mais comment reprendre le fil d’une tradition qui a été rompu par les mirages de l’individualisme et du consumérisme ? Comment renouer avec ce qui a été détruit avec insouciance ?

Une synthèse de la modernité

En quelques années, la petite île de Nauru a réalisé, à une vitesse éclair et de façon particulièrement extrême, l’« utopie » moderne de la « société d’abondance », avant de connaître un effondrement aux conséquences catastrophiques sur les plans humain, sanitaire, social, culturel, économique et écologique. Si la rapacité cupide des affairistes de tout poil et la médiocrité de sa classe politique n’ont évidemment pas aidé l’État nauruan, c’est bien l’épuisement de ses ressources naturelles qui a fini par briser l’île de Nauru.

Lorsque nous nous penchons sur cette trajectoire historique qui fut celle de l’île de Nauru, il est tentant d’y voir une analogie avec nos propres sociétés. Nauru semble en effet avoir parcouru à marche forcée l’histoire séculaire de la modernité occidentale, passant en très peu de temps d’une société traditionnelle à une société de consommation. À partir de cette constatation, nous pouvons nous demander si l’effondrement qu’a connu Nauru n’est pas une image de notre propre avenir. Nous continuons en effet chaque jour à dévaster la planète afin d’en extraire toujours plus de pétrole, de charbon, d’uranium et bien d’autres choses encore. Que se passera-t-il alors lorsque ces ressources non-renouvelables se raréfieront ? Lorsque nous aurons de moins en moins de combustibles disponibles pour faire tourner la grande machine insatiable que sont devenues nos sociétés techno-industrielles ? Lorsque notre système technicien globalisé devra ralentir faute de carburant suffisant ? La catastrophe sera probablement moins brutale, plus étirée dans le temps, que celle qu’a connue Nauru, mais elle n’en sera, à la fin, certainement pas moins dramatique. Elle pourrait même, au contraire, se révéler encore pire. Et ce ne seront alors probablement pas les voitures électriques d’Elon Musk qui nous aideront. L’histoire éminemment tragique de l’île de Nauru nous montre à quel point l’idée d’une croissance infinie dans un monde fini est proprement suicidaire, à quel point le consumérisme est un mirage destructeur pour l’homme et pour le monde, et à quel point le « progrès » mène finalement la civilisation et la culture à l’anéantissement.

mercredi 29 août 2018

Hulot aura essayé, respect M. Hulot.

Hulot a démissionné ! Quel aveu d'échec pour tout le monde, lui-même, d’abord, en n’ayant pas réussi à convaincre, Macron ensuite, qui perd le seul ancrage environnemental qui pouvait le forcer, un tant soit peu, à penser « environnement » et penser que nous pourrions y croire et nous tous qui, à des degrés différents, l’ont défié, ne l’ont pas soutenu alors qu’il avait totalement besoin de nous tous. Quelle mise en lumière du vrai visage du Macronisme. L'illusion est enfin totalement dissipée. Il n'y a pas de place pour l'écologie dans le Macronisme. Avec le départ de Hulot c'est la démonstration imparable que l'écologie n'est pas soluble avec la droite. Hulot aura essayé ! Mais sans une mobilisation populaire, sans aucun soutien de l'opinion, il ne pouvait rien ! Nous étions ses troupes et ses troupes n'étaient pas là. Dès lors, épuisé par les renoncements, les petits pas et les gros arrangements, il a jeté l’éponge.

Ceux qui me connaissent bien savent que depuis très longtemps maintenant, je dis, à qui veut l'entendre, que les petits pas, que les petits gestes, que les petites avancées ne suffisent plus et qu'il faut passer à la vitesse supérieure. Depuis longtemps je compare les avancées environnementales comme la course d'un cycliste avec un motard, les motards étant les pollueurs et autres saccageurs. Alors oui certes nous avançons mais les destructions avancent bien plus vite. "L'état de la planète ne s'accomode pas des petits pas" nous dit Nicolas Hulot. ... heureux de m'entendre donner raison par Nicolas Hulot mais parfaitement triste d'avoir raison.

Tantôt dépressif, tantôt romantique, présenté comme un adepte du "grand soir", Nicolas Hulot n'était, à en croire ses anciens collègues du gouvernement, décidément pas fait pour gouverner car trop fragile, trop idéaliste. Après avoir fustigé ses mauvaises manières, voilà la basse condescendance de ceux qui sont droit dans leurs bottes pour minimiser leurs fautes et amoindrir un geste fort. Finalement pour tous ces sinistres, il n'y aurait que le geste d'un dépressif. Pourquoi pas d'un suicidaire pendant que vous y êtes ? Finalement on fait comme pour les "femmes", les écolos ils ne sont pas sérieux, ils ne sont que dans l'émotion.

Quant à Chevènement il ne trouve rien de mieux à dire que les écologistes "sapent la compétitivité de la France. Celle-ci est le principal problème que nous avons à résoudre, comme en témoigne le déficit (75 milliards d’euros) de notre balance commerciale. Il est temps de se recentrer sur l’essentiel." Et ainsi, pour ce vieillard issu d'un siècle qui nous a entraîné là où nous sommes aujourd'hui, la démission de Nicolas Hulot est une bonne nouvelle car le principal pour un pays c'est ses tunes pas sa durabilité ni celle de l'humanité. La vieillesse est un naufrage.

Ces gens me dégoutent, c'est tellement plus simple de le disqualifier et de se mettre la tête dans le sable.

Hulot a démissionné, pauvre de nous, nous voici seuls, passagers d’un paquebot fou, piloté par d’aveugles dogmatiques aux ordres des lobbies.

Hulot aura essayé, respect M. Hulot.

Ci-après le témoignage touchant d’un de ses compagnons de route, le biologiste et photographe sous-marin montpelliérain, Laurent Ballesta, connu, notamment pour sa participation à Ushuaïa Nature et ses documentaires diffusés sur Arte, qui publie, dans Midi Libre, une tribune émouvante en réaction à la démission de Nicolas Hulot.


"La mer est sublime ce matin, épaisse et limpide à la fois, comme seule la Méditerranée sait l’être. En sortant de l’eau, il n’est pas encore 8h30, la journée s’annonce belle, et puis hélas j’allume la radio. Nicolas Hulot démissionne.



La stupéfaction est aussi grande pour les intervieweurs que pour les auditeurs. Son ton calme et ému, ni rageur, ni vengeur impose le respect et c’est à peine si les journalistes osent l’interrompre. On assiste, presque muet, à un instant de grâce, quand bien même est-il dramatique.

Bien sûr, dans un sursaut d’égo d’animatrice vedette, on lui pose cette question vicieuse pour savoir si ce renoncement ne serait pas l’aveu de son incompétence. Il répond "peut-être" parce que, lui, en a fini depuis longtemps, avec l’orgueil.

Moi je crois savoir que ce boulot il le fait pour de bonnes raisons, pas pour une bonne fonction. Pouvoir d’influence, avantage de la notoriété, Nicolas n’a jamais eu besoin d’être ministre pour posséder ces atouts-là.

Au contraire, en acceptant le poste, il savait qu’il les fragiliserait. Il n’avait rien de personnel à y gagner et il l’a fait quand même, preuve que c’est la cause et les convictions qui l’ont conduit à accepter. Et ce sont ces mêmes convictions qu’il le conduise aujourd’hui à refuser de continuer.

Je l’écoute et mes sentiments sont paradoxaux : je suis rassuré de voir qu’il existe encore des hommes influents avec autant d’intégrité, mais je suis angoissé par ce qui nous attend désormais. Je suis fier d’être l’ami d’un tel homme et déçu qu’il n’ait pas réussi plus longtemps.

J’entends déjà les sarcasmes des cyniques "je l’avais bien dit ! C’était foutu d’avance dans un tel gouvernement". Croyez-vous vraiment que Nicolas Hulot était si naïf ? Il est des causes trop sérieuses pour qu’on les passe au filtre du possible avant de les embrasser.

Je crois que Nicolas ne s’est jamais demandé si les ambitions étaient réalisables, seulement si elles étaient nécessaires. Il aura tout essayé au cours de sa carrière : nous émouvoir avec des films, faire de l’éducation avec sa fondation, du conseil auprès des présidents, du lobbying auprès des plus grandes sociétés, et puis enfin, entrer au gouvernement. On ne peut rien lui reprocher.

Dans ce moment de désespoir, je veux encore croire que le choc de son départ sera le défibrillateur qui va ranimer les consciences des gouvernants et des gouvernés. Il n’y a aucune raison d’être optimiste, mais il n’y aucun intérêt à être pessimiste.

Que l’on dise "ça va s’arranger" ou bien "de toute façon, c’est foutu", ces deux postures sont stériles. Mieux vaut encore se taire et agir. Puisqu’on ne lui permet plus d’agir, il a raison de partir et de se taire. Même si je veux croire à un sursaut futur.

En attendant, demain matin, je retournerai plonger, admirer des petits bouts de notre belle planète, explorer les fonds marins, y prendre du plaisir autant que possible, et même essayer de partager ce plaisir, essayer de profiter sans gaspiller, de jouir sans nuire."