"Le motif de base de la résistance était l'indignation. Nous vétérans des mouvements de résistance et des forces combattantes de la France libre, nous appelons les jeunes générations à faire vivre, transmettre, l'héritage de la résistance et ses idéaux. Nous leur disons : prenez le relais, indignez-vous ! Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l'ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l'actuelle dictature des marchés financiers qui menacent la paix et la démocratie.

Je vous souhaite à tous, à chacun d'entre vous d'avoir votre motif d'indignation. C'est précieux."

Stéphane Hessel

mercredi 25 avril 2012

La mort est dans le pré - le film

Témoignage sur les ravages des pesticides sur la santé des agriculteurs français.

Réalisé par Eric Guéret, ce film de 52 min montre le cynisme de l'agriculture industrielle, l'incroyable combat de ces agriculteurs victimes des pesticides et nous rappelle qu’il est urgent de sortir du modèle agricole industriel actuel.

Ce documentaire débute par le témoignage de l’agricultrice Caroline Chenet, veuve depuis un an à la suite du décès de son mari, mort d’une leucémie, empoisonné par les produits chimiques. Elle est aussi la voix off du documentaire. S’en suivent des témoignages, tous plus édifiants les uns que les autres, d’agriculteurs, rendus malades à cause des pesticides.

"Ce système (Ndt. : de l'agrochimie), très cohérent, est fait pour que rien ne change. Il y a une espèce d'ensemble, de connivences entre tous ses acteurs qui s'arrangent pour que les pratiques n'évoluent pas. Et au milieu de cela, il y a les agriculteurs qui sont pris en otage de ce système qui n'ont, en général, pas le choix car ils sont tenus par les crédits, parce qu'ils ont oublié les pratiques. C'est à dire qu'en 50 ans on a réussit à effacer des milliers d'années de transmission des pratiques agricoles et aujourd'hui on se retrouve avec une communication (Ndt. : des firmes et des politiques) qui nous explique qu'il n'y a qu'un seul modèle possible, qui est celui de l'agriculture chimique et de l'agriculture intensive. Les agriculteurs en sont, eux-mêmes, pour la plupart convaincus. Ils ont beau en crever, ils sont incapables d'en sortir. Voilà, c'est ce que, globalement, dénonce le film" Eric Guéret


Saluons le courage et l'action de ces agriculteurs qui osent témoigner, 
rappelons, avec eux, l’urgence de sortir du modèle agricole industriel actuel.
« Il est urgent de sortir de l’agriculture industrielle qui contamine gravement l’environnement et particulièrement l’eau, et qui est un échec tant sur le plan de l’emploi que de la vitalité des territoires – avec une perte de 25% des emplois agricoles en 10 ans dans l’UE – , qui écrase les producteurs, qui amène des substances nocives jusque dans nos assiettes et, comble du cynisme, empoisonne les agriculteurs. On se demande bien à qui cette agriculture profite ? Certainement pas à la très grande majorité de nos agriculteurs, ni de nos concitoyens », constate Isabelle Autissier, Présidente du WWF France.

mardi 24 avril 2012

Les forçats du caoutchouc

Au Liberia se trouve la plus vaste plantation d'hévéa du monde aux conditions de travail exténuantes pour récupérer le latex qui entrera dans la composition des pneus de nos voitures :
  • Lever à 4h30 tous les jours,
  • 750 arbres incisés par jour et par personne,
  • produits toxiques inhalés,
  • 70 kg de latex à transporter, plusieurs fois par jour, sur les épaules et à ne surtout pas renverser,
  • 18 tonnes à récolter par mois ...
Et aux conditions de vie proche de ce que vivait les populations noires du sud des États-Unis avant l'abolition de l'esclavage :
  • Cases moisies fournies par Fireston, sans eau ni d'électricité,
  • Paye de 10 € la tonne alors qu'elle se négocie à 220 € sur le marché,
  • Représentants syndicaux non élus mais désignés par la direction de Firestone ...
Sans parler, une fois de plus, de la pollution visible et invisible, du fleuve, qui atteint la santé des habitants qui boivent l'eau, pêchent et vivent avec le fleuve.

Le Liberia fut fondé par d'anciens esclaves affranchis aux États-Unis et reconduis en Afrique sur la terre de leurs ancêtres. Alors qu'une entreprise américaine soit accusée d'esclavagisme au Liberia c'est comme si l'histoire se répétait ... comme si les anciens maîtres n'avaient pas changé.

Première partie :



Seconde partie :



Troisième partie :


lundi 23 avril 2012

Delta du Niger, la guerre du brut

En France, quand nous faisons notre plein, 10 % provient du delta du Niger ...

... sans vouloir savoir que depuis 25 ans c'est l'équivalent d'un Exxon Valdez (40 000 tonnes de pétrole brut) qui se déverse dans ce delta tous les ans, entrainant, pour les populations, eaux toxiques, agriculture détruite, ressources naturelles disparues, poissons exterminés, maladies et misère.

Au Nigeria l'espérance de vie ne dépasse pas 48 ans, celle des bouilleurs de brut est réduite de plusieurs années encore.

A ceux qui parlent développement économique et investissements dans les pays du sud, créations d'emplois, les nigérians répondent que l'argent du pétrole ne bénéficie qu'à 1 voir 2 % de la population.




Plus largement
Total donne 60% de ses bénéfices à la Norvège
lorsqu'il puise sur son territoire,
mais seulement 3% quand il s'agit du Mali


La baisse de la production mondiale devrait arriver vers 2015-2020 ... La sortie du pétrole, n'étant pas anticipée, sera donc subie de manière chaotique et aura des conséquences économiques et humaines désastreuses, à l'image de la crise des subprimes. Les inégalités augmentant entre le nord, qui cherchera à capter les dernières goutes d'or noir et le sud, qui subira, tant socialement qu'environnementalement, entraineront des conflits armés comme le craignent nombres d'intellectuels visionnaires. Les fondements de la démocratie et la paix pourraient donc être menacés

Et dans les faits, Aujourd'hui il y a l'Irak, le Niger ... la guerre du pétrole ne fait que commencer.

Les compagnies pétrolières réagissent aujourd'hui, en synergie avec les gouvernements corrompus, devant les ONG ou les journalistes trop fouineurs, en états dans les états, afin de museler la parole, instaurant, par là-même, états policiers et terreur... prélude du nouvel ordre mondial où les pays du nord, effrayés par la pénurie cherchent, aujourd'hui, à pressurer leurs territoires afin de retirer les dernières réserves (Huile de Schiste, sable bitumineux ...), et demain, s'accapareront, par la force, ce qui ne leur appartient pas, pour le plus grand malheur des populations locales.

Bruno BOMBLED

lundi 16 avril 2012

L’artificialisation des sols en France, un ravage méconnu

L’artificialisation résulte de l’urbanisation et de l’expansion des infrastructures. Gagnées sur des espaces naturels ou cultivés, ces surfaces artificielles regroupent l’habitat et les espaces verts associés, les zones industrielles et commerciales, les équipements sportifs ou de loisirs, ou encore les routes et parkings. Le processus d’artificialisation est le plus souvent irréversible.

L’artificialisation, c’est un changement complet et souvent irréversible de l’usage des sols. La France, très touchée par ce phénomène, fait face à deux enjeux existentiels : la perte de capacité agricole et la perte de biodiversité.

La disparition des champs entraîne la diminution des capacités du pays à subvenir à ses besoins alimentaires. C’est une perte d’autonomie considérable et paradoxale car qui dit « augmentation de population » dit « augmentation des besoins alimentaires ».

Le deuxième enjeu, c’est la variété des espèces, le patrimoine génétique de la planète. L’Homme ne prend pas assez en considération les services que lui rend la nature. La terre et les océans produisent sa nourriture, le sous-sol renferme la quasi totalité des ressources énergétiques et des minerais dont l’humanité dépend. Enfin, le système climatique et le cycle de l’eau, sensibles aux pollutions, sont essentiels à toute forme de vie.

Pour freiner l’artificialisation, il est urgent de modifier la vision qu’a l’Homme de la terre, créditée trop souvent d’une simple valeur foncière ou de dent creuse. Cela se traduit actuellement par des lois qui légalisent et systématisent l’étalement urbain.

Le béton, toujours plus vite et plus loin

En 2009, les terres agricoles représentaient encore 54 % du territoire et les forêts 24 %. Mais l’artificialisation était déjà passée de 4,8 % du territoire en 2000, à 9 % en 2010, presque le double. L’artificialisation s’est faite à 90 % aux dépens des terres agricoles mais les sols boisés ne sont pas non plus épargnés.

La réalité est toutefois plus inquiétante que ne le laissent paraître les chiffres car l’artificialisation est très dispersée. L’espace urbain global est donc bien plus important, c’est le mitage. les surfaces agricoles ont diminué de 82 000 hectares par an entre 2006 et 2010, plus que le bâti ce sont surtout les sols revêtus ou stabilisés et les sols enherbés artificialisés qui grignotent les sols agricoles. Verdure ne rime pas avec nature.

L'urgence est donc
  • d’arrêter d'opposer habitat et nourriture,
  • d'interdire les constructions au-delà des limites actuelles des agglomérations pour créer des « ceintures vertes »,
  • de densifier et de trouver des solutions sur les terrains déjà artificialisés,
  • de développer les transports en commun et
  • d'interdire les constructions en zone inondable, des inondations plus fréquentes étant attendues avec le réchauffement.

D'après Christofer Jauneau (natura-sciences.com)

vendredi 6 avril 2012

Mobiliser la société face au pic pétrolier

Après plus d'un siècle d'augmentation importante de la production et de la consommation de pétrole, la Terre s'essouffle et la notion de "pic de production", autrefois ignorée, s'impose comme une réalité inéluctable. Cette tension se manifeste d'ores et déjà à travers le déploiement de techniques d'extraction demandant toujours plus d'investissements, d'énergie et de matériaux. En effet, lorsque des réserves sont limitées, le rythme de leur exploitation suit une courbe croissante, puis elle plafonne à son maximum en formant un plateau, avant de décroître. C'est le cas du pétrole facilement accessible et bon marché dont la plupart des experts, y compris, désormais, l'Agence internationale de l'énergie, admettent qu'il a atteint son pic de production mondial il y a quelques années.

Malgré les découvertes de gisements récemment médiatisées, le monde continue de consommer beaucoup plus de pétrole qu'il n'en trouve par l'exploration. L'extraction du pétrole difficile, appelé non-conventionnel (sables asphaltiques, pétrole de roche-mère, grands fonds marins...) sera beaucoup plus coûteuse et surtout beaucoup plus lente. Elle ne permettra donc pas d'éviter la baisse de la production mondiale après un plateau qui ne devrait durer que jusqu'en 2015-2020. Les énergies alternatives, même si elles sont développées à un rythme soutenu, ne pourront pas compenser le déclin de la production de pétrole, que ce soit en quantité ou en coût de production. Aucune solution de substitution aux carburants liquides n'est disponible à l'échelle de la demande, actuelle ou future.

A l'avenir, nous disposerons fatalement de moins d'énergie et de ressources alors que nous sommes de plus en plus nombreux sur Terre et que les pays émergents sont en phase d'industrialisation rapide. Par ailleurs, les pays exportateurs consomment une part toujours plus importante de leur production pour alimenter leur développement.

Or force est de constater que le fonctionnement de notre société dépend aujourd'hui d'une croissance économique soutenue qui va de pair avec une consommation toujours plus importante d'énergie et de ressources. L'urgence apparaît donc d'anticiper une inexorable descente énergétique. Les limites physiques devraient déclencher une réelle transition de la société vers une diminution majeure de notre dépendance aux ressources non renouvelables, par un changement profond des comportements, de l'organisation du territoire et de notre économie. Si cette transition n'est pas anticipée, elle sera subie de manière chaotique et provoquera des conséquences économiques désastreuses, à l'image de la crise des subprimes. Les fondements de la démocratie et la paix pourraient donc être menacés.

Dans ce contexte, il est indispensable que les responsables politiques, mais aussi l'ensemble des acteurs sociaux et économiques ainsi que les citoyens français, prennent conscience de cet enjeu et fassent preuve d'anticipation, car nous sommes face à un péril réel pour la cohésion sociale et le fonctionnement de l'ensemble des secteurs vitaux de notre collectivité. Les signataires de cet appel invitent tous les candidats à l'élection présidentielle à tenir compte de cette situation urgente. Ils leur demandent de prendre position sur cette question, dans le cadre de débats et de propositions politiques concrètes. Celles-ci devront être compatibles avec la réalité physique de l'extraction des ressources et permettre de faire face à la décrue énergétique de notre société.

Signé de :

Pierre René Bauquis, ancien directeur de la stratégie et la planification du groupe Total ;

Yves Cochet, député européen, ancien ministre de l'environnement ;

Jean-Marc Jancovici, ingénieur consultant, président de The Shift Project ;

Jean Laherrère, président d' ASPO France (Association pour l'étude du pic pétrolier et gazier), ancien patron des techniques d'exploration du groupe Total ;

Yves Mathieu, ancien chef du projet ressources pétrolières mondiales à l'Institut français du pétrole, auteur du livre Le dernier siècle du pétrole : la vérité sur les réserves mondiales (Editions Technip, 2010).

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JM.Jancovici
colloque Assemblée Nationale sur le pic pétrolier
Janvier 2011

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Les différents pics (peaks)

D'après le groupe indépendant allemand "Energy Watch Group".

Le Pic pétrolier (Peak Oil) : Selon les spécialistes indépendants, le pic a déjà été atteint, et nous sommes dans la phase de plateau qui précède la chute. La production mondiale plafonne à 82 millions de barils par jour. On a commencé à taper dans les stocks pour faire descendre un prix qui a repris le chemin inexorable de la hausse. Le pétrole le plus facile à pomper l’a déjà été. En 2030, la production mondiale devrait avoir diminué de moitié…

Le pic gazier (Peak Gas) : Le gaz, ressource fossile non renouvelable, a vu sa consommation mondiale de gaz doubler depuis 30 ans, et la courbe reste résolument à la hausse. Aujourd’hui, les estimations de la date du Peak gas sont entre 2020 et 2030.

Le pic de charbon (Peak Coal) : Là c’est la surprise. On croyait en avoir encore pour 100 ou 200 ans, mais selon l’Energy Watch Group, c’est vers 2025 que l’extraction de charbon atteindra son pic, 30 % au-dessus de la situation actuelle…

Le pic d’uranium (Peak Uranium) : Selon le Energy Watch Group le pic d’uranium est prévu vers 2035.

Le Pic métallique (Peak Metal) : La « croissance » implique une consommation toujours plus forte de métaux. On croit qu’il s’agit là de ressources infinies. Comme pour le pétrole, on a commencé par extraire ce qui était le plus facile. La teneur en métal du minerai diminue irrémédiablement. Et pour bon nombre d’entre eux — y compris parmi les plus usuels (cuivre,nickel, zinc, plomb, étain…) — le pic est tout proche : vingt, trente ans. Demain, quoi.

Le pic électrique (Peak Electricity) : C’est tout simplement la conséquence des pics précédents. L’électricité n’est pas une énergie primaire, et il faut la produire. Or, les quatre principaux moyens de production actuels (charbon, gaz, pétrole, uranium) vont commencer à manquer. Même si, un jour peut-être on arrivera à produire suffisamment d’électricité avec d’autres sources, cela prendra un temps énorme, et le mal sera fait.

Le pic du sol (Peak Dirt) : On observe tous les jours avec effarement l’avancée de l’urbanisme stupide. On nous parle de récession, de chômage, mais de nouvelles surfaces commerciales continuent à s’installer à un rythme démentiel. Sans négliger les lotissements. Saturés d’engrais, de pesticides, les sols s’appauvrissent. Sans un réveille massif, on ne s’en sortira pas ... Certains pays riches on déjà sentis l'affaire et achètent des terres à l’étranger, notamment en Afrique, où l’on crève pourtant déjà de faim.

D'après SuperNo sur marianne2.fr

jeudi 5 avril 2012

Climat : les marchands de doute exigent des certitudes

Historienne des sciences et professeur à l'université de San Diego en Californie, Naomi Oreskes décrit, dans une enquête fascinante, comment l'incertitude propre à la recherche scientifique a été instrumentalisée par les climato-sceptiques.

"Imaginez un gigantesque banquet. Des centaines de millions de personnes sont attablées. Elles boivent et mangent à satiété – savourant une nourriture meilleure et plus abondante qu'aux plus fines tables de l'Athènes ou de la Rome antiques, meilleure même que celle qu'on servait dans les palais de l'Europe médiévale. Un jour, apparaît un homme vêtu d'une veste blanche. Il dit qu'il apporte la note. Évidemment, les convives sont surpris. Certains nient qu'il s'agit de leur note. D'autres contestent qu'il y ait une note. D'autres encore prétendent qu'ils n'ont rien mangé. Un des convives suggère que l'homme n'est pas, en vérité, un serveur, qu'il cherche seulement à attirer l'attention sur lui ou à récupérer de l'argent pour ses propres affaires. Finalement, le groupe conclut que si on l'ignore, il s'en ira", écrit Naomi Oreskes dans "Les Marchands de doute".

Voilà où nous en sommes sur le changement climatique. Aujourd'hui, la société industrielle se voit présenter la note. Et cherche à éviter de payer la facture, en y opposant une fin de non recevoir. Les États-Unis sont un cas d'école de cette dérobade. Pour ce faire, ils se sont appuyés sur le doute inhérent à la science. Le serveur qui vient présenter la note ne serait pas un serveur. La facture serait falsifiée, au nom d'intérêts particuliers. Le GIEC serait un lobby. Malgré les recoupements de milliers de données qui ont permis aux scientifiques de cette autorité mondiale sur le climat de parvenir, au terme du quatrième Rapport d'évaluation (2007), à l'affirmation que le changement climatique est "sans équivoque", beaucoup d'Américains demeurent sceptiques. Pourquoi ?

L'incertitude instrumentalisée

Contrairement aux idées reçues, la science ne délivre pas de certitudes, analyse Naomi Oreskes. Et une poignée de "faucons" ont réussi à exploiter ce doute inhérent à la connaissance scientifique qu'ils parviennent à dévoyer en scepticisme. Parmi eux, les physiciens Frederick Seitz, Fred Singer, William Nieremberg et Robert Jastrow sont ces "marchands de doute", qui ont consacré leur vie à instrumentaliser l'incertitude sur les impacts à long terme des activités des sociétés industrielles. Ils se joignent à des "think tanks" financés par l'industrie du tabac et du pétrole. On les retrouve aussi bien dans la défense des armements nucléaires qu'au service de l'industrie du tabac, dans le déni des pluies acides, puis dans une offensive visant à saper les résultats des recherches sur la couche d'ozone. Ces personnages cristallisent une époque marquée par la Guerre froide, la peur du communisme, puis, après la chute du mur de Berlin, par la défense libertarienne de la dérégulation des années Reagan et Bush. Cette époque coïncide avec l'accélération de la crise environnementale, qui entre dans le champ politique. Et qui pose la question des limites de certaines formes de liberté, comme la liberté de polluer.

Dès les années 60, les scientifiques américains commencent à avertir les dirigeants du pays sur la dérive de l'effet de serre. En 1977, un panel scientifique prestigieux sollicité par le Département américain de l'énergie, le comité Jason, élabore un modèle climatique qui montre qu'un doublement de la concentration atmosphérique du dioxyde de carbone par rapport à sa valeur préindustrielle provoquerait une augmentation moyenne de la température de surface de 2,4°C. Une évaluation de l'étude des Jason, le rapport Charney, commandée par le président Carter, confirme ces résultats en 1979. Certains, comme le président des États-Unis Lyndon Johnson, entendent le message. Malgré ces alertes précoces, les États-Unis s'avèrent incapables d'engager des mesures.

Une guerre des mondes

Le politique a besoin de savoir à quelle échelle de temps il faut agir. C'est là que les choses se compliquent. L'administration Carter sollicite l'Académie des sciences afin d'obtenir l'estimation des échéances de changements mesurables et de l'origine anthropique des phénomènes relevés. Un comité pour l'évaluation du dioxyde de carbone se met en place en 1980, présidé par William Nieremberg, qui cherche à contrebalancer les recherches du comité Charney et met l'accent, dans les chapitres rédigés par des économistes tels que William Nordhaus, sur "l'incertitude énorme" au-delà de 2000 sur les impacts sociaux et économiques des émissions futures. Les économistes en question supposent que les changements annoncés sont si lointains qu'on peut les ignorer. Malgré les critiques suscitées par ce rapport, il fut utilisé par la Maison Blanche pour contrecarrer le travail de l'Agence de protection de l'environnement (EPA). Le rapport Nieremberg avait procuré à l'administration ce qu'elle voulait entendre.

L'argument de l'activité solaire est brandi par l'Institut Marshall, qui n'a que faire de la réfutation que le GIEC lui oppose dès 1990. Créé par Robert Jastrow dans le contexte de la Guerre froide pour défendre l'initiative de défense stratégique, l'Institut Marshall s'emploie, à partir des années 80, à mettre en cause la réalité de la déplétion de la couche d'ozone et à cibler le modélisateur du climat James Hansen et les "alarmistes" environnementaux. L'offensive des climatosceptiques s'intensifie dès lors que des scientifiques tels que Benjamin Santer, coordinateur d'un chapitre du deuxième rapport d'évaluation du GIEC en 1994, s'attèlent à prouver que les activités humaines sont la cause du changement climatique. Benjamin Santer est accusé de fraude par Fred Singer et Fred Seitz, qui n'ont pourtant pas de légitimité particulière en matière climatologique, mais suscitent l'attention de l'administration Bush et des publications dans le Wall Street Journal.

L'histoire du négationnisme environnemental semble sans fin. Elle s'enracine dans ce que Naomi Oreskes désigne comme le fondamentalisme du marché : pointer les dérives environnementales, c'est interroger les limites du modèle du laisser faire libéral. Comme le souligne Bruno Latour dans l'ouvrage Controverses climatiques, sciences et politiques, paru aux Presses de Sciences Po, il s'agit d'une "guerre des mondes".

Agnès Sinaï
http://www.actu-environnement.com

dimanche 1 avril 2012

Comment la France est devenue moche

En descendant vers le sud, sur l'autoroute du soleil, la semaine dernière pour une semaine de mer, sur le navire océanographique du CNRS "Tethys 2", en Méditerranée, j'ai repensé à cet article de Télérama (ci-après) qui montrait combien nos aménagements, cupides et consuméristes, avaient défiguré notre pays. Le long de l'autoroute ce n'est plus que succession de hangars et de projets de hangars, destructions de terres agricoles au profits de lotissements ... en une opposition imbécile entre logement et nourriture. Après la désindustrialisation du pays qu'ils (UMP comme PS) ont accompagné en ne remettant pas en cause le libéralisme et qui leur fait oser dire, aujourd'hui, à ceux qui préconisent la relocalisation des emplois en France, que cela n'est pas possible et que l'on est condamné à importer, il vont nous faire le même coup avec l'agriculture et détruiront notre autonomie alimentaire. La nature n'est plus que défis, pour nos politiques, de supprimer, en une haine de ce qui est un tant-soit-peu naturel, ces dents creuses qui jonchent leurs territoires. La France n'est plus que mochetés qui succèdent aux mochetés pour une vision bétonnée d'une vie artificialisée. La France sans autonomie énergétique, sans autonomie alimentaire et sans production devient un pauvre pays sous perfusion. Décidément les irresponsables ne sont pas ceux que l'on croit ...

Bruno

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Échangeurs, lotissements, zones commerciales, alignements de ronds-points… Depuis les années 60, la ville s’est mise à dévorer la campagne. Une fatalité ? Non : le résultat de choix politiques et économiques. Historique illustré de ces métastases pé­riurbaines.

Un gros bourg et des fermes perdues dans le bocage, des murs de granit, des toits d'ardoise, des tas de foin, des vaches... Et pour rejoindre Brest, à quelques kilomètres au sud, une bonne route départementale goudronnée. C'était ça, Gouesnou, pendant des décennies, un paysage quasi immuable. Jean-Marc voit le jour dans la ferme de ses parents en 1963. Il a 5 ans lorsqu'un gars de Brest, Jean Cam, a l'idée bizarre d'installer en plein champ un drôle de magasin en parpaing et en tôle qu'il appelle Rallye. Quatre ans plus tard, les élus créent un peu plus au nord, à Kergaradec, un proto­­type, une ZAC, « zone d'aménagement concerté » : les hangars y poussent un par un. Un hypermarché Leclerc s'installe au bout de la nouvelle voie express qui se cons­truit par tronçons entre Brest et Rennes. Puis viennent La Hutte, Conforama et les meubles Jean Richou... 300 hectares de terre fertile disparaissent sous le bitume des parkings et des rocades. Quelques maisons se retrouvent enclavées çà et là. La départementale devient une belle quatre-voies sur laquelle filent à vive allure R16, 504 et Ami 8. Un quartier chic voit le jour, toujours en pleine nature, qui porte un nom de rêve : la Vallée verte...

C'est à ce moment-là que ça s'est compliqué pour les parents de Jean-Marc. Avec l'élargissement de la départementale, ils sont expropriés d'un bon bout de terrain et ne peuvent plus emmener leurs vaches de l'autre côté de la quatre-voies. Ils s'adaptent tant bien que mal, confectionnent des produits laitiers pour le centre Leclerc, avant de se reconvertir : la jolie ferme Quentel est au­jourd'hui une des salles de réception les plus courues de Bretagne. Les fermes voisines deviennent gîte rural ou centre équestre. La Vallée verte, elle, se retrouve cernée de rangées de pavillons moins chics : « Nous, on a eu de la chance, grâce à la proximité de l'aéroport, les terres tout autour de la ferme sont restées inconstructibles. » Aujourd'hui, quand il quitte son bout de verdure préservé pour aller à Brest, Jean-Marc contourne juste la zone de Kergaradec, tellement il trouve ça moche : « C'est à qui fera le plus grand panneau, rajoutera le plus de fanions. Comme si tout le monde hurlait en même temps ses messages publicitaires. »

Ça s'est passé près de chez Jean-Marc, à Brest, mais aussi près de chez nous, près de chez vous, à Marseille, Toulouse, Lyon, Metz ou Lille, puis aux abords des villes moyennes, et désormais des plus petites. Avec un formidable coup d'accélérateur depuis les années 1982-1983 et les lois de décentralisation Defferre. Partout, la même trilogie – infrastructures routières, zones commerciales, lotissements – concourt à l'étalement urbain le plus spectaculaire d'Europe : tous les dix ans, l'équivalent d'un département français disparaît sous le béton, le bitume, les panneaux, la tôle.

Il n'y a rien à comprendre, a-t-on jugé pendant des années, juste à prendre acte de la modernité à l'œuvre, une sorte de chaos naturel et spontané, prix à payer pour la « croissance » de notre bien-être matériel. Les élites intellectuelles de ce pays oscillent entre répulsion (« c'est moche, les entrées de ville »), fascination (« vive le chaos, ça fait Wim Wenders ! ») et indifférence : elles habitent en centre-ville... Rien à comprendre, vraiment ? En 2003, l'architecte urbaniste David Man­gin prend le temps d'y réfléchir quelques mois et sort un an plus tard son formidable bouquin, La Ville franchisée, qui reste l'analyse la plus pertinente des métastases pé­riurbaines. Il faut en finir, dit Mangin, avec l'idée que ce « chaos sort de terre tout seul ». Il résulte au contraire « de rapports de forces politiques, de visions idéologiques, de cultures techniques ».

Lorsque apparaissent les premiers supermarchés, au début des années 60, la France ne compte que 200 kilomètres d'autoroutes, un morceau de périphérique parisien, aucune autre rocade, pas le moin­dre rond-point... et un architecte-urbaniste visionnaire, Le Corbusier ! Celui-ci a compris très tôt l'hégémonie à venir de la voiture, à laquelle il est favorable. Dès 1933, avec des confrères qu'il a réunis à Athènes, il a imaginé de découper les villes de fa­çon rationnelle, en quatre zones cor­respondant à quatre « fonctions » : la vie, le travail, les loisirs et les infrastructures routières. L'Etat s'empare de l'idée, on entre dans l'ère des « zones », ZUP, ZAC, etc. (1) Et puis il faut « rattraper » l'Allemagne et son insolent réseau d'autoroutes ! Du pain bénit pour notre illustre corps d'ingénieurs des Ponts et Chaussées. La France inscrit dans la loi (loi Pasqua, 1998) que tout citoyen doit se trouver à moins de quarante-cinq minutes d'une entrée ou d'une sortie d'autoroute ! Des itinéraires de contournement des villes sont construits, le territoire se couvre d'échangeurs, de bre­telles et de rocades. Vingt ans plus tard, les enfilades de ronds-points à l'anglaise, trop nombreux et trop grands, parachèvent le travail : ils jouent, constate Mangin, « le rôle de diffuseurs de l'étalement dans le nouveau Meccano urbain qui se met en place ».

L'empire du hangar

Ceux qui ont vite compris le potentiel que leur offrait ce quadrillage de bitume – foncier pas cher et abondant, accessibilité et visibilité formidables –, ce sont les nouveaux opérateurs du commerce. Ils s'appellent Leclerc en Bretagne, Auchan dans le Nord, Casino dans la région stéphanoise. Leur stratégie : se faire connaître sur leur terroir d'origine, saturer un territoire pour étouffer la concurrence, puis s'étendre à d'autres régions. « Localisations et accès sont repérés et négociés en amont, explique Mangin, auprès des propriétaires privés, des élus, des aménageurs de ZAC et des directions départemen­tales de l'Equipement. » Conçus à l'américaine – « no parking, no business » –, les hypermarchés raisonnent en termes de « flux » de voitures et de « zones de chalandise » : ils com­mencent par aspirer les consommateurs des centres-villes en attendant que les lotissements viennent boucher les trous du maillage routier... Aujourd'hui, la France, championne mondiale de la grande distribution – elle exporte son glorieux modèle jusqu'en Chine – compte 1 400 hypermarchés (de plus de 2 500 mètres carrés) et 8 000 supermarchés... Et pour quel bilan ! « En cassant les prix sur quelques rares mais symbo­liques produits, les grandes surfaces se sont enrichies en ruinant les pompes à essence, les commerces de bouche, les drogueries, les quincailleries, des milliers de commerces indépendants spécialisés ou de proximité, des milliers d'artisans, et même des milliers de producteurs et fournisseurs. Les résultats sont objectivement inacceptables. Avec, en plus, des prix supérieurs à ceux de nos voisins eu­ropéens ! » Ce n'est pas un dangereux contestataire qui dresse ce constat, mais Jean-Paul Charié, député UMP du Loiret (hélas décédé en novembre dernier), dans un rapport sur l'urbanisme commercial rédigé en mars 2009. La logique des grandes surfaces a vidé les centres-villes de leurs commerces, a favorisé la malbouffe, contraint de nombreuses entrepri­ses à délocaliser. Elle a fabriqué des emplois précaires et des chômeurs. C'est une spécificité très française – 70 % du chiffre d'affaires commercial est réalisé en périphérie des villes, contre 30 % en Allemagne.

L'homme le plus riche de France ? Gérard Mulliez, fondateur du groupe familial Auchan. Une nébuleuse d'entreprises dont le poids estimé en fait le premier annonceur publicitaire et le troisième employeur du pays. Difficile de résister à son influence, ou à celle des Leclerc, Carrefour, Intermarché, aménageurs en chef de l'Hexagone. Jusqu'à la loi de modernisation de l'économie votée en 2008, l'implantation des grandes surfaces n'était d'ailleurs pas soumise au droit de l'urbanisme, mais au seul droit commercial. Aucune règle n'était édictée quant à la forme ou à l'aspect des bâtiments, seule la surface comptait, donnant lieu à des marchandages peu re­luisants avec les élus : laisse-moi construire mon supermarché, je financerai ton club sportif... « L'aménagement du territoire soumis aux puissances financières débouche toujours sur des effets pervers, poursuit le rapport Charié. Comment un élu peut-il facilement refuser un projet parasite si c'est par ailleurs une source de financement pour le budget communal ? » A fortiori s'il est maire d'une petite ville, désormais en première ligne. Car l'hypermarché de première génération s'est « fractionné ». Decathlon, Norauto, Leroy-Merlin, Kiabi, Cultura... c'est aussi le groupe Auchan ! Autant de MSS (moyennes surfaces spécialisées) qui investissent de nouvelles petites ZAC, où McDonald's côtoie désormais Biocoop... Pas un bourg qui n'accueille le visiteur par un bazar bariolé : « C'est partout le même alignement de cubes et de parallélé­pipèdes en tôle ondulée, le même pullulement de pancartes et d'enseignes », se désole Jean-Pierre Sueur, sénateur socialiste du même Loiret, qui a déposé une proposition de loi à l'automne dernier. Son objectif : que « tous les documents d'urbanisme assurent la qualité urbaine, architecturale et paysagère des entrées de ville ». Plein de bonnes idées, le texte a été adopté il y a deux mois par la majorité sénatoriale UMP, qui l'a vidé de sa substance – plus aucune mesure contraignante.

Le rêve pavillonnaire

Tandis que nos compatriotes s'accoutumaient à naviguer le week-end d'un parking à l'autre, les quartiers pavillonnaires ont fleuri. Il faut dire qu'ils n'ont pas vraiment eu d'autre choix, les Français, face à une crise du logement qui sévit depuis la Seconde Guerre mondiale. Alors que la population du pays était stable depuis le milieu du XIXe siècle – 40 millions d'habitants –, le baby-boom, l'accélération de l'exode rural, le recours à l'immigration puis l'arrivée des rapatriés d'Algérie changent la donne : il faut construire, vite, pour éradiquer les taudis urbains. Ce sera, pendant vingt ans, la politique des grands ensembles, à laquelle la circulaire Guichard de 1973 met brutalement fin. Place au rêve pavillonnaire ! Certes, dans les années 20, les débuts de l'exode rural avaient donné naissance aux premiers lotissements – les fameux pavillons Loucheur des faubourgs parisiens. Mais cette fois, on change d'échelle. Rêve de tous les Français, le pavillon ? C'est ce que serinent, depuis Valéry Giscard d'Estaing, tous les gouvernements, qui appuient leur politique sur le rejet des grands ensembles et sur « notre mémoire rurale » – souvenons-nous de l'affiche bucolique de François Mitterrand en 1981, la force tranquille du clocher.

« Pourtant, le pavillon, c'est avant tout un choix contraint », constate David Mangin. Les centres-villes étant devenus inabordables, les familles pas très riches – elles sont la grande majorité – sont condamnées à l'exil périurbain. Et elles le resteront tant que manquera une bonne offre résidentielle collective. Alors, comme l'a observé l'urbaniste Bruno Fortier, « on tartine du lotissement au kilomètre », c'est facile et pas cher. Conçue par un promoteur-constructeur, la maison est un « produit », à commander sur catalogue. Où que l'on aille, le marché ne sait fournir que des lotissements avec des rues « en raquette », des parcelles de même taille, des maisons posées sur leur sous-sol de béton ; tant pis pour le raccord visuel avec la ville ancienne. Les plantes des jardins sont achetées en promotion à la jardinerie du coin ; tant pis pour la flore locale et le paysage. La puissance publique y met du sien : incapable d'assurer la con­tinuité urbaine, elle croit compenser en imposant les règles draconiennes des Plans locaux d'urbanisme (PLU). Les Directions départementales de l'Equipement (DDE) imposent leurs normes, et les architectes des Bâtiments de France (ABF) homogénéisent à coups de pastiches régionalistes. Allez essayer de construire une maison en bois ou un peu personnalisée dans un lotissement ! « Les gens qui essaient se font flinguer, dit David Mangin. Ils doivent s'expliquer avec le maire, déposer trois permis, il y a des recours... Ils sont découragés. »

Les dégâts de la décentralisation

« Pendant très longtemps l'urbanisme a été une affaire d'Etat en France », rappelle Thierry Paquot, philosophe de l'urbain et éditeur de la revue Urbanisme. Mais, à partir des années 80, les gouvernements, de droite ou de gauche, ont délégué à d'autres la fabrication de la ville. L'Etat s'est mis au service du privé : « Le meilleur exemple, c'est Laurent Fabius, qui "offre" à Eurodisney une ligne de RER que les habitants de Marne-la-Vallée réclamaient sans succès depuis des années ! » En 1983, les lois de décentralisation donnent tout pouvoir aux maires en matière de permis de construire « et la catastrophe commence, estime Thierry Paquot. La plupart des élus sont totalement incompétents en matière d'urbanisme, et de plus ont un goût exécrable ». Ils se reposent sur les promoteurs pour produire du clés en main. « L'habitat se banalise et conduit à cette France moche qui nie totalement l'esprit des lieux. » Frédéric Bonnet, architecte-conseil de l'Etat en Haute-Vienne, confirme : « Dans un rayon de 40 kilomètres autour de Limoges, tous les villages ont construit dix, quinze, vingt maisons pour des habitants qui ne se rendent jamais dans le centre-bourg, puisqu'ils travaillent tous... à Limoges. » Le mécanisme est simple : pour lutter contre l'exode rural, pour éviter la fermeture de l'école, la commune fait construire un lotissement, qui amène de nouveaux arrivants. Mais les enfants scolarisés grandissent et s'en vont. Il faut créer un second lotissement pour attirer de nouvelles familles. C'est la fuite en avant. Le mitage du paysage est renforcé par la spéculation foncière. Difficile pour le maire d'une petite commune de refuser à des voisins agri­culteurs la constructibilité sachant que le prix du terrain à lotir est alors multiplié par dix ou vingt. Et voilà comment la France consomme pour son « urbanisation » deux fois plus de terres agricoles que l'Allemagne : « Il faut en finir avec la politique urbaine coordonnée au niveau de la commune, ce n'est pas la bonne échelle », conclut Frédéric Bonnet.

Un développement pas durable

L'urbanisme raconte ce que nous sommes. Le Moyen Age a eu ses villes fortifiées et ses cathédrales, le XIXe siècle ses boulevards et ses lycées. Nous avons nos hangars commerciaux et nos lotissements. Les pare-brise de nos voitures sont des écrans de télévision, et nos villes ressemblent à une soirée sur TF1 : un long tunnel de publicité (la zone commerciale et ses pancartes) suivi d'une émission guimauve (le centre muséifié). Cette périurbanisation vorace s'opère en silence – les revues d'architecture l'ignorent. Elle a été peu visitée par le roman, le documentaire ou la fiction. Aux Etats-Unis, des films comme American Beauty, la série Desperate Housewives ont raconté l'ennui qui suinte des quartiers pavillonnaires. En France, il manque un Balzac contemporain pour décrire la comédie urbaine. « La ville n'est pas objet de débat, analyse Annie Fourcaut, historienne de la vie citadine. On débat de l'école, pas de la ville, sans voir que la secon­de conditionne la première. Peut-être parce que les Français ne sont pas un peuple urbain. Il a fallu attendre 1931 pour que la population des villes égale celle des campagnes, des décennies après les Anglais et les Allemands. » Alors, il n'y aurait pas d'autre modèle de vie que celui qui consiste à prendre sa voiture tous les matins pour faire des kilomètres jusqu'à son travail, par des routes saturées et des ronds-points engorgés, pour revenir le soir dans sa maison après être allé faire le plein chez Carrefour ? « L'inflexion, sur le plan des idées, a commencé, se réjouit Bruno Fortier. Depuis trois ou quatre ans, tout le monde dit : on arrête les conneries, on se calme, on redensi­fie, on réurbanise intelligemment, on cesse de dévorer les terrains agri­coles... Mais fabriquer un urbanisme plus évolué, avec un rapport à la nature plus riche, comme ce que l'on voit aux Pays-Bas, au Danemark ou en Allemagne, ça va coûter un peu plus cher ! »

L'impératif écologique supplantera-t-il l'impéritie politique ? Durant l'été 2008, quand le prix de l'essence s'est envolé, le chiffre d'affaires de certaines zones commerciales s'est effondré. Affolés, les habitants des lotissements ont réclamé des lignes de bus à leur maire. « Depuis la fin des grands ensembles, la France n'avait plus de projet urbain collectif, rappelle Annie Fourcaut. Le développement durable pourrait en cons­tituer un. » Alors rêvons un instant à ce que pourrait être une « ville passante », comme l'appelle David Mangin, une ville désintoxiquée de la voiture, désenclavée, oublieuse des artères qui segmentent et des zones privatisées et sécurisées, une ville de faubourgs dont les fonctions – habitat, travail, commerce, loisirs – seraient à nouveau mélangées, une ville hybride, métissée, où chacun mettrait un peu du sien... Trop tard ?

Xavier de Jarcy et Vincent Remy
Télérama n° 3135 - Février 2010