"Le motif de base de la résistance était l'indignation. Nous vétérans des mouvements de résistance et des forces combattantes de la France libre, nous appelons les jeunes générations à faire vivre, transmettre, l'héritage de la résistance et ses idéaux. Nous leur disons : prenez le relais, indignez-vous ! Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l'ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l'actuelle dictature des marchés financiers qui menacent la paix et la démocratie.

Je vous souhaite à tous, à chacun d'entre vous d'avoir votre motif d'indignation. C'est précieux."

Stéphane Hessel

jeudi 31 mars 2011

«Il n'y aura pas de techniques propres pour exploiter les gaz de schiste»

Martine Billard, députée de Paris et coprésidente du Parti de gauche, est à l'initiative du débat en séance publique qui a eu lieu hier à l'Assemblée nationale sur l'impact environnemental de l'exploitation des gaz et huiles de schiste.

Christian Jacob, le patron des députés UMP, a réaffirmé hier (29 mars 2011) son opposition à l'exploitation des gaz de schiste. Cela vous rassure-t-il?

Pas vraiment. Car lui comme le gouvernement se contentent de dire qu'il faut trouver une méthode qui permettrait de fracturer la roche sans injecter de produits chimiques. Or je note que le rapporteur François-Michel Gonnot a confirmé que le procédé d'extraction utilisé aux Etats-Unis a été inventé par Total il y a quarante ans: il n'était simplement pas utilisé à l'époque pour extraire du gaz mais pour la géothermie et pour les puits horizontaux dans l'offshore pétrolier.

Cela veut dire que l'argumentaire de la ministre Nathalie Kosciusko-Morizet selon lequel il est hors de question d'avoir recours à des procédés sales ne tient pas, car il n'y aura pas d'autres techniques plus propres en France.

Vous n'avez donc pas obtenu les réponses que vous attendiez de la part du gouvernement?

Non. Nathalie Kosciusko-Morizet a juste confirmé le moratoire sur les permis d'exploration octroyés en mars 2010 dans le sud de la France dans l'attente des conclusions de la mission parlementaire, début juin.

En Seine-et-Marne, où la question est plus urgente car les permis d'exploration d'huile de schiste sont plus anciens, aucun forage par fracturation hydraulique n'aura lieu avant cette date. Mais les forages verticaux vont pouvoir continuer car, nous dit la ministre, il n'est pas possible de faire la différence entre les forages traditionnels et ceux qui serviront ensuite à l'exploitation de gaz de schiste.

NKM a expliqué qu'elle ne peut pas annuler les permis de travaux attribués, car il coûterait trop cher d'indemniser les sociétés. Surtout, je regrette qu'elle n'ait pas abandonné l'idée d'exploiter un jour les hydrocarbures non conventionnels. Cela au nom de «l'indépendance énergétique»...

Or outre les produits chimiques nécessaires à l'extraction par fracturation hydraulique, il y a d'autres problèmes, comme l'utilisation d'énormes quantités d'eau, le saccage des paysages ou les fuites de gaz. Sans compter le refus de se poser des questions sur le changement de société nécessaire: exploiter ces gaz et pétroles de schiste, c'est repousser le moment où il faudra passer à une autre civilisation que celle du pétrole. Plus on retarde l'échéance, plus les conséquences seront difficiles à vivre.

Vous demandez la démission de François-Michel Gonnot, le rapporteur UMP de la mission d'information parlementaire sur les gaz des schiste. Pourquoi?

Nous étions tous ahuris hier, y compris mes collègues du PS, qu'il ose intervenir au bazooka. La tradition veut qu'à l'Assemblée nationale les rapporteurs de mission n'interviennent pas dans un tel débat et ne fassent pas de déclaration publique avant que leur rapport ne soit rendu. Ou alors simplement pour poser des questions. Mais surtout pas pour prendre position.

Or hier, François-Michel Gonnot a totalement outrepassé son rôle, en se prononçant explicitement pour l'exploitation des gaz et des huiles de schiste. Cela remet en cause la qualité de sa mission: quelle confiance peut-on lui accorder? Les missions parlementaires sont souvent très intéressantes. Sauf que depuis 2007, elles sont détournées de leur objectif. Parfois, les lois sont passées avant même leurs conclusions, comme cela a été le cas sur la mission sur la nationalité: les articles étaient déjà passés dans la loi Besson.

liberation.fr
photo AFP / Martin Bureau

samedi 26 mars 2011

Pétrole de schiste : les forages démarreront bien le 15 avril !


On a cru à une bonne nouvelle. Le 11 mars dernier, les médias et les listes de diffusions l’annonçaient : le Premier ministre François Fillon rassure les français en annonçant que sur le gaz et les huiles de schiste, rien ne passera avant la mi juin.

Voici les termes de la lettre envoyée par le Premier ministre à Nathalie Kosciusko-Morizet (Ecologie), Claude Guéant (Intérieur) et Christine Lagarde (Economie): « je vous demande de bien vouloir mettre en oeuvre, dans la limite de vos attributions respectives, les procédures administratives nécessaires pour qu’aucune opération de forage non conventionnel ne soit engagée avant que les rapports n’aient été rendus publics. »

Et lorsqu’on décrypte les méandres de la communication de Matignon, la situation en Seine et Marne et dans l’Aisne n’a pas du tout bougé avec la décision et déclaration de François Fillon. Avec ce courrier, le Gouvernement a mis en œuvre un bel exercice de style mais n’a freiné ou arrêté concrètement. Au contraire, il autorise noir sur blanc, dès le 15 avril, des travaux de forages verticaux –dits conventionnels- qui ne sont en fait que la première étape vers de la fracturation hydraulique.

Dans un article paru dans le Parisien Seine et Marne édition du 13 mars, on découvre que Toréador et Hess répondent eux même aux journalistes qu’ils comptent bien débuter leurs opérations de forages dès le 15 avril. Après quelques recherches auprès de sources bien informées, il semble que, malgré l’annonce du premier ministre, les travaux de forage préliminaires débuteront bel et bien sur les premiers permis –comme celui de Doue- dès la mi-avril.

Il ne s’agit bien évidemment pas encore de fracturation hydraulique mais de leurs préliminaires… Les industriels du pétrole n’ont donc pour l’heure rien changé de leurs plans, à peine ont-ils été pour l’heure un peu décalés.

Le gouvernement semble donc naviguer à vue, et beaucoup plus négocier avec les dits industriels qu’écouter l’immense mobilisation qui est monté au sud comme au nord contre les gaz et pétroles de schiste.

Texte et photo : greenpeace.fr

lundi 14 mars 2011

Le déclin des insectes pollinisateurs inquiète fortement les Nations Unies

Dans un rapport du 10 mars, le PNUE revient sur les menaces qui pèsent sur les insectes pollinisateurs au premier rang desquels figure les abeilles. L'ONU craint pour la sécurité alimentaire des populations et en appelle aux gouvernements.

Le Programme des Nations Unies pour l'Environnement a publié le 10 mars un rapport complet sur la pollinisation et surtout le déclin des insectes pollinisateurs. L'étude baptisée "Désordre dans les colonies d'abeilles et autres menaces sur les pollinisateurs", constate une nouvelle fois que le nombre de colonies d'abeilles est en chute libre dans de nombreuses régions du monde. Ce phénomène remonte au milieu des années 1960 en Europe, mais s'est accéléré depuis 1998, notamment en Belgique, en France, en Allemagne, en Italie, aux Pays-Bas, en Espagne et en Royaume-Uni. Dans ce pays, 71% des espèces de papillons ont diminué et 3,4% se sont éteints au cours des 20 dernières années. En France, 300.000 colonies d'abeilles disparaissent en moyenne tous les ans depuis 1995, victimes d'intoxications par des produits phytosanitaires et de pathologies, selon l'Union nationale de l'apiculture française (UNAF).

Un déclin multifactoriel

Pour expliquer ce phénomène, l'agence onusienne met en avant plus d'une douzaine de facteurs déjà évoqués par de nombreuses agences, qui vont de la diminution des espèces de plantes à fleurs aux dommages des insecticides sur la mémoire des insectes, à la propagation d'organismes nuisibles et la pollution atmosphérique. Selon une étude anglo-néerlandaise citée par le PNUE, depuis les années 1980, 70% des fleurs sauvages de la planète sont en régression, dont les plus importantes sont la menthe, les pois et la famille des herbacés vivaces. Et si rien n’est fait en matière de conservation, environ 20.000 espèces de plantes à fleurs dont dépendent de nombreuses espèces d'abeilles pour se nourrir, pourraient être perdues dans les prochaines décennies !

Dans le même temps, le rapport démontre que la pollution de l'air peut aussi interférer avec la capacité des abeilles à trouver ou retrouver des plantes à fleurs et donc de la nourriture, dans la mesure où des odeurs et parfums qui circulaient dans les années 1800 dans un rayon de plus de 800 mètres, ne circulent plus aujourd'hui que dans un périmètre de moins de 200 mètres.

Les pratiques agricoles et notamment l'utilisation de pesticides sont également au premier plan des facteurs de déclin. "Des études en laboratoire montrent que certains insecticides et fongicides, utilisés ensemble, peuvent être 1.000 fois plus toxiques pour les abeilles, affectant leur sens de l'orientation, leur mémoire et le métabolisme de leurs cerveaux", rappelle le PNUE.

Enfin, l'agence place au sommet de tous ces facteurs, le changement climatique qui risque d'aggraver encore la situation d'une multitude de manières, par exemple en modifiant les périodes de floraison des plantes et de précipitations, qui affecteront à leur tour la qualité et la quantité de nectar disponible pour les abeilles.

Le PNUE appelle à l'action immédiate

Pourtant la pollinisation est essentielle pour la production alimentaire. Les rendements de certaines récoltes de fruit ou de graine diminuent de plus de 90% sans ces pollinisateurs. Au total, selon une estimation du CNRS et de l'INRA publiée dans la revue Ecological economics en 2008, le poids économique mondial de la pollinisation serait de 153 milliards d'euros par an. "Sur les cent espèces végétales qui fournissent 90% de la nourriture dans le monde, plus de 70% dépendent des abeilles pour leur pollinisation", insiste le Directeur du PNUE, Achim Steiner.

Dans ce contexte, le rapport appelle à la mise en place immédiate de mesures d'incitation à la restauration des habitats des pollinisateurs et de leur environnement pour les agriculteurs. "Les êtres humains ont fabriqué une illusion, celle consistant à imaginer qu'au 21ème siècle, ils disposeraient des prouesses technologiques leur permettant d'être indépendants de la nature", explique Achim Steiner, avant d'estimer que la situation des abeilles soulignait "une autre réalité" : "dans un monde de près de 7 milliards d'humains, nous sommes plus dépendants de la nature, et pas non l'inverse".

L'Europe promet de se mobiliser

L'Europe s'est saisie de la question récemment avec la présentation en janvier 2011 d'une communication de la Commission européenne. Plusieurs actions sont prévues afin de prévenir la mortalité des abeilles et renforcer les études existantes. Bruxelles entend notamment désigner un laboratoire de référence de l'UE pour la santé des abeilles qui devrait être opérationnel d'ici avril 2011. Un programme pilote de surveillance a aussi été mis en place afin d'estimer l'ampleur de la hausse de la mortalité des abeilles. Les contributions financières dans les programmes nationaux d'apicultures pour la période 2011-2013 devraient en outre augmenter de 25%. Enfin, des mesures de lutte contre la mortalité des abeilles pourraient également être incluses dans une législation sur la santé animale prévue pour début 2012.

Florence Roussel
actu-environnement.com

lundi 7 mars 2011

José Bové : "on ne peut pas faire confiance à l’Etat sur les gaz de schistes"

Alors que la mobilisation s’amplifie contre les gaz de schiste, une nouvelle technique d’extraction du gaz naturel et les permis de prospection accordés en France, José Bové, député européen, explique pourquoi il conteste à la fois l’objectif et la méthode de ces prospections.

Pourquoi cette mobilisation contre les gaz de schistes ?

Aujourd’hui, près d’un dixième du territoire français est concerné par des permis d’exploration de gaz et d’huile de schiste : c’est le cas du sud du pays mais aussi de l’Ile-de-France - notamment en Seine et Marne. En Europe, les compagnies pétrolières visent également une partie de l’Allemagne, de la Pologne et de l’Angleterre.

L’exploitation des gaz de schiste pose un problème écologique car elle utilise des technologies destructrices. Elle menace en particulier les nappes phréatiques qu’elle peut contaminer à cause des nombreux produits chimiques utilisés pour ce qu’on appelle la fracturation hydraulique (*).

Lorsque l’on observe ce qui s’est passé aux USA ou ce qui est en train de se passer au Canada et que l’on évalue le rapport risque-bénéfice, on se rend compte que celui-ci est très défavorable. C’est pourquoi se développe une mobilisation en France et en Europe.

Vous critiquez non seulement les projets mais aussi la manière dont ils sont mis en place

L’exemple français est parfaitement invraisemblable. Les permis d’exploration ont été octroyés sans qu’il n’y ait eu de débat à l’Assemblé nationale ou au Sénat ; très souvent, les maires, les députés, les conseillers généraux ou régionaux ont découvert ces projets parce que nous nous sommes mobilisés et en avons parlé.

Les permis ont été octroyés à des compagnies sans que l’on ne sache rien des appels d’offres, et ce qui a été publié au Journal Officiel concerne presque exclusivement la détermination de la zone concernée. On est dans l’omerta la plus totale : on ne peut pas faire confiance à l’Etat sur la manière dont il a procédé.

L’exemple de l’Ile-de-France défraie la chronique : le permis a été octroyé à une entreprise américaine rapatriée en France, appelée Toreador, et dont l’un des dirigeants principaux s’appelle Julien Balkany, demi-frère du maire de Levallois et ami du président. Une proximité qui invite à se poser des questions.

Quelles actions envisagez-vous ?

Les collectifs qui se sont mis en place ont lancé des recours sur chacun de ces permis devant le ministère de l’Environnement et du développement durable et devant le ministère de l’industrie et de l’énergie. Personnellement, j’ai ainsi demandé le retrait du permis qui couvre le parc national des Cévennes, une partie du Gard, de l’Hérault et de l’Aveyron, soit 4500 km2. Nous avons demandé l’ensemble des documents et des annexes de ces permis et si nous ne les obtenons pas nous irons devant la Commission pour la transparence financière de la vie politique. Nous avons lancé les mêmes recours pour obtenir les documents des appels d’offre.

Est-ce que les gaz de schiste peuvent devenir une question politique ?

J’espère que le gouvernement va comprendre qu’il est de son intérêt d’abroger tous ces permis. Si ce n’est pas le cas d’ici les prochaines élections, chaque parti politique devra se positionner sur la question et dire s’il maintient ou s’il interrompt les prospections. Les élections présidentielles ne se joueront probablement pas sur ce point, mais, dans les territoires concernés, pour les législatives, les politiques auront à répondre à leurs électeurs.

Sous la pression de notre mobilisation, Nathalie Kosciusko-Morizet a annoncé une forme de moratoire qui n’en est pas vraiment un. Et elle a demandé une expertise, mais elle l’a confiée au corps des Mines – celui qui a accordé les permis contesté. Nous demandons une expertise réalisée par des scientifiques indépendants.

Pourquoi insister sur la prospection ?

Le gouvernement a essayé de minimiser le mot prospection en disant qu’il s’agissait juste de recherche, mais ce n’est pas vrai. Le code minier montre que celle-ci s’étend jusqu’à la commercialisation, c'est-à-dire qu’elle inclut l’ensemble des parties dangereuses du procédé, en particulier la fracturation hydraulique.

L’utilisation des gaz de schistes remet-elle en cause notre politique énergétique ?

Il faut être cohérent : l’Europe s’est engagée à diminuer de 20% ses émissions de gaz à effet de serre en 2020 et la commissaire européenne à l’environnement a même déclaré qu’il faudrait passer à -30%. Comment atteindre ces objectifs si on favorise des techniques de production d’énergie qui vont radicalement dans l’autre sens – comme l’utilisation des gaz de schiste ?

On assiste en France à une volteface totale, avec les récentes décisions sur le solaire, par exemple, qui tourne le dos aux engagements du Grenelle et de Copenhague. C’est aussi une absence de vision industrielle lorsque 50 000 emplois sont concernés par la filière solaire en France et que la transformation écologique de l’économie passe par la création et la relocalisation d’emplois.

Lu sur : viti-net.com

vendredi 4 mars 2011

La terre serait-elle plate a l'Institut de France ?

Les professeurs Claude Allègre, Vincent Courtillot, et quelques collègues, ont créé un organisme dont une des missions est d'informer les Français que les activités humaines ne sont qu'une cause mineure du changement climatique. Ils souhaitent que l'Institut de France – qui regroupe cinq Académies, dont l'Académie des sciences – abrite cet organisme, lequel jouit déjà d'appuis significatifs dans certains milieux. Un bref détour par les Etats-Unis aidera à saisir les enjeux.

Il n'y a pas que les membres de la Société de la terre plate (1) qui croient que la terre est plate. Une majorité d'Américains le croient. Si ce n'est pas littéralement, dans un même égarement scientifique, ils croient que l'univers n'a pas beaucoup plus de six mille ans, ou que le trou d'ozone est principalement dû à l'activité des volcans, ou encore que les activités humaines ne sont pas pour grand-chose dans le changement climatique. Ces croyances leur sont inoculées par de puissantes organisations, commerciales ou autres, par des organismes-écran d'apparence scientifique que ces organisations ont créés et financent généreusement, et par des porte-parole (dont certains ont de brillants antécédents scientifiques) adossés à ces organismes.

Il y a d'abord eu la planète tabac. A la base, on trouve ici American Tobacco, Benson and Hedges, Philip Morris, R.J. Reynolds… Ces entreprises ont créé le premier organisme-écran, sous un nom infiniment honorable : Alexis de Tocqueville Institution (François de la Rochefoucauld aurait apprécié l'hommage rendu, une fois de plus, par le vice à la vertu). Quant au porte-parole en chef, c'est un haut gradé de la science, Fred Seitz. Auteur de contributions importantes en physique de l'état solide, il a présidé pendant sept ans la National Academy of Sciences, et ensuite la prestigieuse Rockefeller University.

A sa retraite en 1979, l'industrie du tabac lui a confié, avec de gros moyens financiers, la mission de susciter des recherches et de mener des campagnes d'information visant à jeter le doute sur les résultats des études épidémiologiques qui commençaient à révéler la nocivité du tabac. En exploitant au maximum les effets de ce rideau de fumée scientifique, ainsi que des formes plus traditionnelles de lobbying, l'industrie du tabac est parvenue à repousser jusqu'en 2006 une condamnation de portée nationale, particulièrement infâmante quand elle est venue, il est vrai, car prononcée sur la base du Racketeer Influenced and Corrupt Organization Act.

Après le tabac, il y a eu les dénis des pluies acides, du trou d'ozone et même des dangers de la guerre des étoiles. Et maintenant, paraît-il, les hommes ne sont pas pour grand-chose dans le changement climatique. Nouveaux sponsors : Exxon Mobil, BP, Peabody (première entreprise charbonnière des Etats-Unis), Ford, General Motors, une demi-douzaine de producteurs d'électricité, d'autres encore. Nouveaux organismes-écran, aux noms toujours engageants : National Resources Stewardship Project, Greening Earth Society, The Advancement of Sound Science Coalition… Fred Seitz s'est encore engagé dans ce combat, ainsi qu'un autre physicien de renom à la retraite, Fred Singer, connu pour ses "bons" mots ("Les écologistes sont comme les pastèques, verts à l'extérieur, rouges à l'intérieur") et sa mauvaise foi dévastatrice.

Il y a aussi, notamment, le géographe Tim Ball, connu pour son "bon" sens ("Comment peut-on parler sérieusement du climat dans cinquante ans alors qu'on est incapable de prévoir le temps qu'il fera l'été prochain ?"). Et le maître manipulateur Frank Luntz, qui dans le Straight Talk Memo a rassemblé des consignes de campagne pour les candidats républicains aux élections de 2004, George Bush compris ("Si le public vient à croire que le débat scientifique est clos, ses vues sur le réchauffement global s'ajusteront en conséquence; il faut donc faire de l'absence de certitude scientifique un thème central pour entretenir le débat").

INTÉRÊTS PARTICULIERS

Et c'est bien l'objectif de tout ce monde : se saisir de la part inévitable d'incertitude que comporte une science traitant d'un système complexe (que ce soit le climat, le corps humain, une forêt tropicale, l'océan…), monter en épingle cette part d'incertitude, l'amplifier, la fabriquer le cas échéant, afin de discréditer – notamment au cours de débats médiatiques prétendument "équilibrés" entre "opinions" opposées – des résultats scientifiques qui valident des choix politiques dont ne veulent pas certains acteurs économiques ou politiques bien placés. Le doute est un moteur irremplaçable dans la démarche scientifique, mais manipulé et asservi à des intérêts particuliers, c'est un moteur non moins efficace de confusion dans le public et chez les responsables politiques et économiques. Ce moteur a remarquablement fonctionné : "Les activités humaines sont-elles la cause du réchauffement global ?" (Pew Research Center National Survey on Climate). Réponses : 50 % de oui en juillet 2006, 34 % en octobre 2010.

Jamais cependant les grandes institutions scientifiques américaines, comme la National Academy of Sciences ou l'American Association for the Advancement of Science (éditrice de Science Magazine), n'ont entrepris quoi que ce soit pour légitimer l'un ou l'autre des organismes-écran ou leurs porte-parole. A cet égard, il y a donc encore une marge d'innovation que certains semblent vouloir exploiter en France. Pourquoi ? Et pourquoi des scientifiques connus y poussent-ils ? Pourquoi ont-ils tué en eux la probité scientifique ? Pourquoi détestent-ils à ce point leurs petits-enfants ?

Même aux Etats-Unis, il ne semble pas que l'argent soit la motivation principale. Il ne faut pas sous-estimer la difficulté psychologique pour une certaine génération de scientifiques et d'ingénieurs à accepter l'existence d'un accroc au progrès aussi monumental que le changement climatique. Et, au moins chez ceux qui se sont fait antérieurement une réputation enviable – en général dans des disciplines scientifiques fort éloignées de la climatologie – mais qui ont leur avenir scientifique derrière eux, il y a comme une volonté farouche de survie sous les feux de la rampe, un ego qui ne veut pas s'effacer.

Est-ce le rôle de l'Institut de France de soigner l'ego de quelques scientifiques de cette sorte en accueillant en son sein l'organisme-écran qu'ils s'emploient à développer pour proclamer que les activités humaines ne sont qu'une cause mineure du changement climatique et, pourquoi pas, que la terre est plate ? (Incidemment, comment traduit-on "Exxon-Mobil" ou "Peabody" en français ?)

Claude Henry, professeur à Columbia University, professeur honoraire à l'Ecole polytechnique, membre fondateur de l'Académie des technologies

Le Monde.fr - 4 mars 2011

(1) http://theflatearthsociety.org/cms/