"Le motif de base de la résistance était l'indignation. Nous vétérans des mouvements de résistance et des forces combattantes de la France libre, nous appelons les jeunes générations à faire vivre, transmettre, l'héritage de la résistance et ses idéaux. Nous leur disons : prenez le relais, indignez-vous ! Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l'ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l'actuelle dictature des marchés financiers qui menacent la paix et la démocratie.

Je vous souhaite à tous, à chacun d'entre vous d'avoir votre motif d'indignation. C'est précieux."

Stéphane Hessel

dimanche 28 février 2010

Mixer le bonheur (7/7)

Méthode n° 6 : les antipoisons à usage quotidien

La bienveillance envers soi et les autres est un travail quotidien car, elle aussi, elle est soumise au principe d'impermanence. Pour la maintenir en éveil il peut être utile de recours à certains moyens que j'appelle des antipoisons.

Tout d'abord, nous pouvons tous faire le constat que nous sommes quotidiennement traversés par des sentiments plus ou moins désagréables comme la colère, la jalousie, la rancune, etc. Ces sentiments, il est rare que nous souhaitions les ressentir. Bien souvent nous aimerions les voir disparaître parce qu'ils nous envahissent, faussent notre jugement et occultent notre joie de vivre. Pour cela, j'ai découvert grâce à Matthieu Ricard une méthode simple et relativement efficace qui est la suivante : à chaque fois que vous identifiez un état d'esprit qui vous est pénible accueillez-le puis exprimez volontairement le sentiment opposé. Par exemple, pour contrecarrer le sentiment de jalousie à l'égard d'une personne, réjouissez-vous à haute voix pour celle-ci. Cela peut paraître totalement artificiel, ça l'est d'ailleurs, mais c'est étrangement assez efficace. En effet, si vous en faîtes l'expérience, vous constaterez que bien souvent le sentiment néfaste disparaît, au moins temporairement. Cette reprogrammation volontaire et immédiate de notre état d'esprit a pour intérêt de nous permettre de prendre nos distances avec des sentiments négatifs, et même de nous en libérer.

Ensuite, il est aujourd'hui largement démontré que notre esprit et notre corps ne sont pas deux entités indépendantes. Notre esprit et notre corps sont en interaction permanente et l'un influence l'autre. Il est une influence que personne ne conteste, c'est la douleur. Il suffit de ressentir une douleur quelque part pour avoir rapidement le moral au plus bas. Mais l'on oublie souvent que le plaisir physique produit exactement l'inverse l'inverse. Ainsi peut-on en faire l'expérience tous les jours : faire un câlin, embrasser, tenir la main, caresser les cheveux, etc. tout cela réconforte. Personnellement, je ne boude plus jamais un petit moment de contact physique quand celui-ci se présente, cela me fait toujours le plus grand bien.

Enfin, j'ai lu il y a quelques temps le compte rendu d'une expérience qui a montré que la perception d'un même dessin animé pouvait être différente par le simple fait de tenir différemment un crayon dans sa bouche. Ainsi les gens ayant regardé le film en tenant le crayon serré entre leurs dents à la façon des pirates avec leur couteau l'ont trouvé bien plus amusant que ceux qui devaient tenir avec leurs lèvres le crayon par son extrémité. Cela s'explique probablement par le fait que dans la première situation les personnes adoptaient une expression faciale proche du rire et dans la seconde situation une expression faciale proche de la contrariété. Essayez, vous verrez c'est assez saisissant. Depuis, lorsque je me sens morose, ou encore lorsqu'une situation me contrarie, je me force à sourire, voire même à rire. C'est ainsi que certains matins, pour améliorer mon humeur, je me retrouve face au miroir de ma salle de bain à sourire un peu bêtement (ce qui est en soi déjà clownesque). Mais le mieux est d'essayer (ce qui ne coûte rien, sauf peut être une franche rigolade). Ce n'est d'ailleurs pas pour rien qu'une association appelée le rire médecin envoie des clowns dans les hôpitaux pour enfants ( « J'aime bien quand ils racontent des blagues et jouent de la musique et surtout quand ils se disputent. J'ai le moral pendant qu'ils sont là. Après ça tombe, mais si je pense à eux le soir, je rigole encore. » Thomas, 12 ans). Ce phénomène semble pouvoir s'expliquer par le fait que notre cerveau serait apparemment dans l'incapacité de ressentir en même temps des émotions a priori contradictoires. Vous verrez que le simple fait de sourire, même de façon totalement artificielle, modifiera de façon positive votre perception des événements, vous permettant ainsi de prendre un peu de recul vis à vis d'eux et ainsi les surmonter plus aisément. Ce sourire et son bien-être, lorsqu'ils apparaissent au cœur de la tempête et qu'ils sont vécus en pleine conscience, nous enseignent que nous pouvons être heureux, même de façon fugace, et que donc cette tempête est, comme toute chose, soumise au principe d'impermanence. Nous ne sommes jamais condamnés à être malheureux durablement.

Conclusion temporaire

Voilà en quelques mots que j'ai voulu simples, exposées quelques unes des méthodes de mixage du bonheur que j'utilise quotidiennement. Soumises elles aussi au principe d'impermanence, il y a fort à parier qu'elles évolueront avec le temps, que je vais en abandonner certaines et en développer d'autres. Mais peu importe de savoir lesquelles et quand. Ce qui m'importe ce que celles-ci me permettent d'être heureux ici et maintenant.

Et vous, Cher Lecteur, quelles sont vos méthodes pour être heureux ? Puissent vos découvertes en ce domaine venir nous enrichir.

Bibliographie :
« au cœur de la tourmente, la pleine conscience » de Jon Kabat-Zinn - éd. De Boeck
« l'éveil des sens » de Jon Kabat-Zinn - éd. Les Arènes
« méditer pour ne plus déprimer » de M. Williams, J. Teasdale, Z. Segal, J. Kabat-Zinn - éd. Odile Jacob
« mettez du bouddhisme dans votre vie » de Bernard Baudouin - éd. De Vecchi
« la grande paix de l'esprit » du Dalaï-lama - éd. La Table Ronde
« plaidoyer pour le bonheur » de Matthieu Ricard - éd. Pocket
« l'apprentissage du bonheur » de Tal Ben-Shahar – éd. Belfond
« vivre heureux – psychologie du bonheur » de Christophe André – éd. Odile Jacob
« la philosophie comme manière de vivre » (entretiens) de Pierre Hadot – éd. Le livre de poche

Sites internet :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Thorstein_Veblen
http://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Bourdieu
http://www.cottet.org/girard/index.htm
http://www.leriremedecin.asso.fr/Actions/Temoignages
http://www.ecolederire.com/

mercredi 24 février 2010

Mixer le bonheur (6/7)

Méthode n° 5 : être bienveillant en exprimant sa gratitude et en reconsidérant son rapport aux autres

Exprimer sa gratitude est une méthode très simple mais fortement créatrice de bonheur. Pas besoin de longs discours, pas besoin d'années d'apprentissage, pas besoin de technique particulière. Il suffit, à chaque fois que l'occasion se présente, d'exprimer simplement et sincèrement sa gratitude envers les autres : les remercier pour le service rendu, pour la relecture attentive de ces quelques pages, pour l'accueil, pour leur gentillesse, pour le moment de partage, pour leur humour, pour le repas, pour leur savoir, etc. la liste est sans fin. De même, rien n'interdit d'exprimer de la gratitude envers nous-même lorsque nous sommes bienveillant avec notre propre personne. Enfin, plus largement, nous pouvons parfaitement exprimer notre gratitude envers la vie lorsqu'elle nous procure des moments de bonheur : le hasard d'une rencontre amicale, un doux matin de printemps, le sentiment océanique qui naît de la contemplation de la voûte céleste,...

La seule condition est d'être sincère, le seul piège serait de tomber dans la flagornerie, qui serait alors totalement contreproductive. Mis à part cet écueil, il n'y a aucun risque. Essayer sans tarder ! Ne vous retenez pas ! Pas de fausses pudeurs ! Vous allez voir tout le bien qui va jaillir de cette action si simple. Vous verrez comme l'autre sera heureux d'être considéré et comme son bonheur fera le vôtre.

L'expression de cette gratitude peut aller très loin puisque l'on peut même en savoir gré à son pire ennemi. En effet, celui-ci est sûrement, sans le savoir, notre plus grand maître. C'est sûrement grâce à lui que nous nous améliorons le plus. Comme le disait Nietzsche « ce qui ne te tue pas te renforce » et il est vrai que le bois ne se polit pas avec du papier de soie. En procédant ainsi, vous pourrez constater de façon assez étonnante que l'emprise qu'exerce cette personne s'amenuisera et que vous pourrez reprendre la main, que vous pourrez donner un sens à une situation qui semble pourtant ne pas en avoir. Il est un proverbe chinois qui dit « Si, alors que tu marches, une pierre te fait tomber, cueille la fleur qui se trouve à son coté ».

Mais il peut être compréhensible qu'il n'est pas aisé d'adopter une telle attitude. Pour ce faire, à l'égard des personnes qui peuvent nous causer du tort, nous pouvons utiliser une méthode bouddhiste qui permet d'éviter de tomber dans le jugement, dans le rejet définitif de celles-ci et ralentir, voir empêcher, tout processus d'apaisement et même, pourquoi pas de réconciliation. Pour comprendre cette méthode, il convient de prendre l'image suivante : si l'on vous frappe avec un bâton, vous ne blâmerez pas le bâton, qui pourtant vous fait si mal, mais la main qui le tient. Et bien la personne qui vous cause du tort est telle un bâton dans la main de l'ignorance, c'est son ignorance qui cause vos souffrances, c'est contre elle qu'il faut lutter ; s'il n'était pas ignorant, votre ennemi n'agirait pas ainsi et redeviendrait neutre vis à vis de vous, voire pourrait être votre ami. C'est d'ailleurs ainsi que je comprends les mots de Jésus qui, crucifié, cria « Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu'ils font ». Agir ainsi, c'est une façon efficace de devenir bienveillant à l'égard des autres, et lorsque l'on exprime sa bienveillance il devient dès lors beaucoup plus difficile pour les autres de vouloir continuer à vous nuire.

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Christophe BOMBLED

vendredi 19 février 2010

Mixer le bonheur (5/7)

Méthode n° 4 : vivre l'instant présent : la pleine conscience

Mais pour pouvoir domestiquer ses singes, encore faut-il avoir l'esprit clair, libéré de ses pensées perturbatrices. La pleine conscience peut être un moyen efficace d'y parvenir.

En fait tout part du constat que notre esprit, nos pensées, nos sentiments, nos émotions n'échappent nullement au principe d'impermanence. Avez-vous déjà noté comme il nous est difficile de rester concentré sur une seule tache ou sur une seule idée ? N'avez-vous jamais remarqué que notre esprit a tendance à se mettre rapidement à vagabonder ?

Par exemple, qui n'a jamais fait la vaisselle sans être complètement concentré sur cette activité ? Notre tendance serait plutôt de nous en débarrasser le plus vite possible tout en nous disant que nous aimerions plutôt nous reposer et prendre un bon café. Mais lorsque nous sommes enfin assis, un tasse à la main, nous sommes déjà en train de penser à autre chose (à nos dernières vacances, à passer un coup de fil ou à vérifier nos factures, etc.) si bien que nous buvons notre café sans même nous en apercevoir.

Si vous n'êtes pas convaincus de la nature vagabonde de votre esprit, il vous suffit de faire le petit exercice suivant : concentrez-vous sur votre respiration, à la première inspiration comptez dans votre tête 1 puis à la première expiration comptez 1, à la seconde inspiration comptez 2 puis à la seconde expiration comptez 2, etc. Faite cela jusqu'à 10 puis recommencez. Allez-y, tentez l'expérience maintenant, vous reprendrez votre lecture dans quelques instants.

Honnêtement, jusqu'à combien avez-vous réussi à compter avant de vous perdre dans vos pensées? 5, 6 ?

Notre esprit est ainsi fait qu'il nous emmène facilement, et à notre insu, soit dans le passé, soit dans le futur, nous coupant alors de la richesse de l'instant présent. La nature vagabonde de notre esprit nous empêche, si nous n'y prenons pas garde, de vivre l'instant présent qui est pourtant le seul instant qui nous est donné de vivre (le passé n'existe plus et le futur pas encore). Si nous n'y faisons pas attention, nous risquons de vivre toute notre existence en pilotage automatique, plus ou moins absent de que nous faisons.

Alors comment reprendre contact avec l'instant présent et donc avec notre vie ?

Il existe pour cela une technique qui a été bien décrite par les bouddhistes (même si d'autres mouvements de pensée ont incontestablement dû développer des techniques similaires), il s'agit de la pleine conscience. Rassurez-vous, point n'est besoin d'être bouddhiste pour bénéficier de ses bienfaits. Il s'agit d'une technique très simple : exécuter une activité, quelle qu'elle soit, avec une attention bienveillante, sans jugement et en s'inscrivant dans l'instant. La pleine conscience, c'est porter délibérément attention aux choses qui sont là, telles qu'elles sont, dans l'instant présent, sans les juger.

Pour Larry Rosenberg, professeur de méditation, il existe 5 étapes qu'il énumère, non sans humour, pour pratiquer la pleine conscience pendant la journée :

1 – Chaque fois que c'est possible, ne faire qu'une seule chose à la fois,
2 – Être pleinement attentif à ce que l'on fait,
3 – Quand l'esprit se détourne de l'activité en cours, l'y ramener,
4 – Répéter (avec bienveillance envers soi-même) l'étape n°3 des milliards de fois,
5 – S'interroger sur ses distractions.

Si la technique est simple, sa mise en œuvre est plus compliquée en raison même de la nature vagabonde de notre esprit d'où la nécessité de « répéter l'étape n° 3 des milliards de fois ». Mais rassurez-vous, il ne peut y avoir d'échec en la matière car chaque instant est le meilleur instant pour commencer à vivre en pleine conscience.

Débrancher le pilote automatique nous permet alors de commencer à vivre ici et maintenant, dans l'instant présent, de « sortir de sa tête » et apprendre à expérimenter directement le monde, débarrassé du perpétuel commentaire de la pensée. Cela nous permet de voir que nos pensées sont des événements mentaux qui vont et viennent comme les nuages dans le ciel, de comprendre que celles-ci ne sont donc ni des faits ni la réalité, que nous ne sommes pas nos pensées même si celles-ci font partie de nous, d'éviter la cascade d'événements mentaux qui nous tirent vers le mal-être et parfois vers la dépression. Autrement dit, la pleine conscience nous permet ainsi faire en sorte que notre esprit devienne à la pensée ce qu'est l'oreille est au son.

La pleine conscience, car elle est sans jugement, nous permet de voir les choses telles qu'elle sont dans l'instant présent et des les accueillir ainsi. La pleine conscience nous aide à ne plus comparer ce que nous ressentons avec ce que nous aimerions ressentir, comparaison qui nous rend malheureux. Elle nous permet de comprendre que le mal-être n'est pas un problème en soi, que c'est un élément indissociable de la vie et que ce qui nous empêche d'être heureux ce sont les jugements sévères que nous portons sur nous-même et sur les événements.

La pleine conscience, parce qu'elle est intentionnelle, nous permet de goûter avec beaucoup plus d'intensité et de sincérité les instants de bonheur mais aussi elle nous aide à ne pas nous inquiéter de ne pas les voir perdurer.

La pleine conscience est donc un art qui permet de développer la bienveillance et la compassion à l'égard de nous-même et par extension à l'égard du monde.

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Christophe BOMBLED

dimanche 14 février 2010

Mixer le bonheur (4/7)

Méthode n° 3 : ne pas gérer les singes des autres mais uniquement les siens

Maintenant que nous sommes en mesure de comprendre comment le collectif nous impose des désirs (et donc des souffrances), il peut être intéressant d'examiner comment nos relations directes avec nos proches (conjoint, enfants, parents, collègues, etc.) peuvent être source de souffrances.

Une de mes collègues, avec qui je devisais lors d'un voyage en train, me donna une image concernant les relations humaines qui est la suivante : nous avons tous nos problèmes, nos névroses, nos angoisses, qui tels des singes agités sur notre dos, nous agacent, nous agitent, nous gênent, nous empêchent de jouir paisiblement de la vie. Le petit jeu est alors de vouloir, non pas domestiquer ces singes, mais de nous en débarrasser le plus vite possible en les confiant plus où moins consciemment à nos proches. Et voilà comment nous nous retrouvons à gérer les singes des autres qui, outre le fait qu'il nous est impossible de les domestiquer, nous empêche de nous consacrer au dressage des nôtres.

Pour éviter cela, il s'agit tout bonnement d'identifier ses singes et ceux des autres. Ce faisant, nous éviterons de les confier aux autres et de gérer les leurs. Il y a fort à parier que tout le monde s'en porterait mieux.

Ce n'est nullement de l'indifférence, ce n'est nullement un moyen de fuir. Ce n'est que la suite logique du constat que chacun peut faire, à savoir qu'il nous est impossible de régler les problèmes des autres à leur place, qu'au mieux nous ne pouvons que les aider. J'utilise souvent une autre image pour illustrer mon propos. Nos problèmes sont comme un boulet accroché à notre cheville et dont la clef libératrice se trouve dans notre poche qui est plus ou moins profonde. Les autres ne peuvent au plus que nous expliquer ce qu'est une poche, ce qu'est une clef ou encore nous suggérer de mettre notre main dans la poche pour attraper la clef. Mais personne d'autre que nous ne peut faire le geste de plonger la main dans la poche pour chercher et trouver cette clef.

Passer du temps à chercher cette clef peut aussi, à première vue, sembler être une attitude égoïste, car au lieu de nous tourner vers les autres, nous nous tournons délibérément vers nous même. Mais en réalité, il n'en est rien. Tenter d'aider les autres à régler leurs problèmes sans avoir soi-même vaincu ses démons me semble être une entreprise bien périlleuse voire même dangereuse. Pour être efficace avec les autres, il convient d'être en paix avec soi-même. Comme le dit Matthieu Ricard, il ne peut être fait le reproche à un médecin d'avoir passé plusieurs années à étudier. Avant de savoir soigner, un médecin doit apprendre son art.

Peut-être devrions nous être tel un puits qui commence par se remplir d'eau pour, une fois qu'il est rempli, laisser l'eau déborder et irriguer la terre tout autour ?

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Christophe BOMBLED

mercredi 10 février 2010

Mixer le bonheur (3/7)

Méthode n°2 : essayer de s'extraire du concours de « j'ai la plus grosse... »

Une fois que l'on a réussi à opérer au niveau individuel la distinction entre besoin et désir, il est intéressant de transposer cette grille de lecture au niveau collectif. Pour ce faire, il peut être très utile de reprendre à son compte la pensée de Thorstein Veblen (1857 – 1929), de Pierre Bourdieu (1930 – 2002) et de René Girard (1923) .

Thorstein Veblen, économiste de son état, se pencha sur la partie cachée de l'iceberg économique : les motivations des acheteurs. Considérant la classe à l'abri des besoins matériels immédiats et de la contrainte du travail autre que souhaité (qu'il nomme la classe de loisir), il y trouva essentiellement la vanité et le désir de se démarquer de son voisin. Il note que par sa consommation l'élite gaspille du temps et des biens. Elle fait du gaspillage du temps, soit le loisir, et du gaspillage des biens, soit la consommation ostentatoire, ses priorités.

Par exemple, une de ses pages dans sa Théorie de la classe de loisir (1899) concerne le lustre de l'étoffe, prisée dans les chapeaux car servant à montrer qu'on les change souvent, et considéré défavorablement pour les pantalons parce qu'il montre qu'au contraire on ne l'a pas changé depuis longtemps. Alors qu'il s'agit du même lustre ! Il n'y a donc pas selon lui d'esthétique dans l'affaire, mais simplement une émission de signifiants de puissance qui est la raison d'être de la consommation ostentatoire.

Autrement dit, la consommation est statutaire, elle sert à celui qui en fait un usage ostentatoire à indiquer un statut social. En d'autres mots, quelqu'un qui achète une voiture de luxe peut indiquer à celui qui achète une voiture familiale, "par mon statut, je n'ai pas besoin que ma consommation reflète mes besoins". Quand la haute bourgeoisie états-unienne de la fin du dix-neuvième siècle fait usage de nombreux laquais, elle indique qu'elle est au-dessus de tous les besoins, plus elle a de laquais plus elle affirme la nature non ancrée dans la nécessité de son statut.

Pierre Bourdieu, pour sa part, pense qu’une partie de la lutte entre groupes sociaux prend la forme d’une lutte symbolique. Les individus des groupes sociaux dominés s’efforcent, en effet, d’imiter les pratiques culturelles des groupes sociaux dominants pour se valoriser socialement. Toutefois, les individus des groupes sociaux dominants, sensibles à cette imitation, ont alors tendance à changer de pratiques sociales : ils en cherchent de plus rares, aptes à restaurer leur distinction symbolique. C’est cette dialectique de la divulgation, de l’imitation et de la recherche de la distinction qui est, pour Bourdieu, à l’origine de la transformation des pratiques culturelles.

Cependant, dans ces luttes symboliques, les classes dominées ne peuvent être que perdantes : en imitant les classes dominantes, elles en reconnaissent la distinction culturelle ; sans pouvoir la reproduire jamais. « La prétention part toujours battue puisque, par définition, elle se laisse imposer le but de la course, acceptant, du même coup, le handicap qu’elle s’efforce de combler ».

Il me semble qu'une explication de ce mode de fonctionnement humain et social a été donnée par René Girard. Celui-ci a en effet développé le concept de désir mimétique qui est l'interférence immédiate du désir imitateur et du désir imité. Ce que le désir imite, c'est le désir de l’autre, le désir lui-même. « L'homme désire toujours selon le désir de l'Autre » est le postulat du désir mimétique.

« Le sujet désire, mais il ne sait pas quoi. Dans son errance, il va croiser un être pourvu de quelque chose qui lui fait défaut et qui semble donner à celui-ci une plénitude que lui ne possède pas. Cette apparente plénitude, si proche et si lointaine, va proprement le fasciner. Le désir affamé du sujet semble toujours poser la même question au modèle : "Qu'as-tu de plus que moi ?" (pour paraître si heureux, pour avoir une si jolie femme, pour être le préféré de la direction, etc.).

Fixer son attention admirative sur un modèle, c'est déjà lui reconnaître ou lui accorder un prestige que l'on ne possède pas, ce qui revient à constater sa propre insuffisance d'être. Ce n'est bien évidemment pas une position des plus confortables mais l'homme qui admire, et qui par delà envie l'Autre, est d'abord quelqu'un qui se méprise profondément. Mais si le modèle est si parfait, c'est qu'il doit détenir quelque chose dont le sujet est pour l'instant démuni : objet matériel, attitude, statut, etc. Les variations sont infinies pour un résultat toujours identique : ce qui le différencie de l'Autre justifie, aux yeux du désir du sujet, la réussite et le prestige qu'il lui accorde.

Le désir qu'a le sujet pour l'objet n'est rien d'autre que le désir qu'il a du prestige qu'il prête à celui qui possède l'objet (ou qui s'apprête à désirer en même temps que lui l'objet). C'est ainsi que s'institue la médiation du modèle et une première transfiguration de l'objet. Par exemple, une voiture est plus que cette carcasse d'acier permettant de se déplacer d'un endroit à un autre, sinon n'importe quel modèle ferait l'affaire ; elle est l'instrument qui permettrait au sujet d'être, à l'instar de son modèle, un "tombeur", un cadre supérieur, un chef de bande, etc. Ce que vise le désir n'est bien sûr pas la possession de l'objet-voiture mais ce qu'il croit que cette possession lui donnera, comme à l'Autre, en termes de conquêtes féminines ou d'identification sociale.

Comme le note René Girard, le sujet méconnaîtra toujours cette antériorité du modèle, car ce serait du même coup dévoiler son insuffisance, son infériorité, le fait que son désir est, non pas spontané mais imité. Il aura beau jeu ensuite de dénoncer la présence de l'Autre, médiateur de son désir, comme relevant de la seule envie de ce dernier.

Le modèle n'est pas plus épargné que le sujet. Lui aussi cherche à fixer son désir et il attend qu'on lui désigne quelque chose de désirable. C'est bien ce que fait le sujet de notre triangle qui, de ce point de vue, est bien lui aussi un Autre. Nous savons déjà que ce n'est pas l'objet que va voir à présent le modèle, mais un objet transfiguré par le désir du sujet, qui lui donne une "valeur" tout à fait inattendue.

Le modèle n'a pas un rôle passif dans ce triangle. Il ne se contente pas d'attendre une manifestation du sujet, il fait au contraire tout pour faire naître celle-ci. Comme un objet que personne ne lui disputerait n'aurait aucun intérêt, aucune valeur capable de fixer son propre désir, tout le pousse à exposer au regard des autres sa bonne fortune - qui ne devient avantage en terme d'être que s'il est reconnu comme tel par ces mêmes autres. Le désir du modèle a besoin de sentir d'autres désirs pour pouvoir être conforté. Il tend donc toujours à susciter lui-même la concurrence, c'est-à-dire à provoquer l'émergence d'un rival qu'il lui appartiendra ensuite de supplanter.

L'amoureuse vantant les qualités de son partenaire auprès de ses amies cherche autant à affirmer, vanité ou orgueil, la supériorité de son bonheur qu'à confirmer son propre désir. La meilleure réponse serait que ses amies, envieuses de ce bonheur, se mettent toutes à désirer le-dit partenaire, à l'exclusion de tout autre prétendant. Ceci ne ferait que confirmer l'amoureuse dans sa certitude chancelante qu'elle tient le bon. L'objet n'est déjà plus le petit copain - sans doute très quelconque - de Mlle X., mais il devient peu à peu le garçon quasiment unique que toutes se disputent, c'est-à-dire une illusion née des désirs concurrents. A l'extérieur de cette rivalité, c'est-à-dire à un endroit d'observation non gagné par cette illusion, tous se poseront la question : "Mais qu'est-ce qu'elles lui trouvent ?".

La circularité infernale du désir mimétique est maintenant en place. Aucune recrudescence du désir du modèle pour l'objet n'échappera au sujet, qui y verra la confirmation de son importance et qui redoublera d'efforts pour le posséder. Chacun donc, sujet ou modèle, a contribué à l'émergence de l'autre en tant que rival. » http://www.cottet.org/girard/desir1.htm

Pour résumer de façon plus prosaïque cette pensée et la rendre immédiatement compréhensible par le plus grand nombre, j'ai pour habitude de parler du concours de « j'ai la plus grosse... ». Au delà de l'aspect un peu vulgaire de cette formulation, il suffit de réfléchir cinq minutes pour observer les conséquences du désir mimétique et réaliser que nous participons tous en permanence à ce concours : le concours de la plus grosse voiture, de la plus grande tour (828 m à ce jour), de la plus belle femme, du plus gros salaire, de la plus grande intelligence, du plus grand sens de l'humour, des plus gros attributs sexuels, de la plus grande maison, de la tondeuse la plus performante, des enfants les mieux élevés, du plus beau voyage, du plus beau bronzage, ...

Cette course sans fin, puisque l'on trouvera toujours une personne qui aura « plus » que soi, me semble être à l'origine de nombreuses frustrations chez beaucoup d'entre nous.

Le comprendre, c'est s'autoriser à marquer le pas dans cette course haletante et regarder ce que l'on a plutôt que ce que l'on n'a pas. C'est aussi se permettre de se comparer aux autres, non plus par rapport à ceux qui ont plus, mais par rapport à ceux qui ont moins et s'apercevoir ainsi que bien souvent nous nous trouvons bien lotis.

Le comprendre, c'est déjà commencer à s'extraire de ce mécanisme et donc gagner en liberté : liberté de choisir ce que nous voulons vraiment, liberté de renoncer aussi.

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Christophe BOMBLED

jeudi 4 février 2010

Mixer le bonheur (2/7)

Méthode n°1 : savoir différencier le désir de la nécessité

Dans notre monde riche et ultra-matérialiste nous mélangeons depuis plusieurs décennies désir et nécessité. Il suffit de nous écouter tous parler pour réaliser cette évidence. Combien de fois pouvons nous dire : il me faut ce téléphone ; je dois avoir à tout prix avoir ce vêtement ; je dois passer obligatoirement au moins une semaine au soleil en hiver, sinon je déprime ; etc.

Or lorsque l'on y regarde de plus près, ces besoins n'en sont pas, ces propos ne sont en réalité que l'expression de désirs.

A l'instar d'Epicure, il me semble que le nombre de besoins indispensables est très limité. Il nous est indispensable de boire, de manger, et plus largement de maintenir notre intégrité physique et mentale (essayons de ne pas dormir, de ne pas manger ou encore manger déséquilibré, de vivre sous nos latitudes nus au quotidien, de vivre sans abris, de ne pas nous soigner, de ne pas entretenir de liens sociaux et de vivre dans la violence permanente, de ne pas pouvoir user librement de notre pensée). Je vais sûrement être accusé de pensée radicale, mais je pense que tout ce qui ne participe pas directement au maintien de cette intégrité ne peut être qualifié d'indispensable. Si ce que nous souhaitons posséder n'a pas pour fonction de nous préserver d'une mort certaine, alors sa possession ne répond pas à un besoin mais à un désir.

Vous vous demandez peut-être quel est l'intérêt pour moi d'opérer cette distinction ? C'est en réalité assez simple. Si un besoin est vital, un désir ne l'est pas. Dès lors, il apparaît que la non satisfaction d'un désir ne peut être considérée comme dramatique puisque vous y survivrez. Ceci est d'autant plus vrai dans notre société de surconsommation où nos besoins vitaux et nos principaux désirs sont satisfaits très largement depuis très longtemps puisque, pour grossir le trait, notre grande préoccupation est de savoir s'il faut dès à présent nous offrir le dernier Iphone ou attendre la génération suivante.

Si le nombre des besoins est limité, le nombre des désirs est en revanche illimité. Il est donc par définition impossible de tous les satisfaire.

En outre, la satisfaction d'un désir n'apporte jamais de bonheur durable. Si nous y faisons bien attention, nous pouvons constater qu'après la plus ou moindre grande émotion liée à la satisfaction d'un désir, cette émotion finit toujours par décroître. Ainsi, ce qui nous paraissait hier indispensable est devenu banal et se fond progressivement dans le décor. Au bout de quelques temps cet objet (matériel ou immatériel) de tous les désirs disparaît de notre vue pour ne se rappeler à nous que lorsqu'il devenu obsolète ou poussiéreux et qu'il est grand temps de nous en débarrasser en le remplaçant par quelque chose de plus récent. L'informatique est une caricature de ce phénomène. A peine avez-vous acheté un ordinateur que celui-ci est dépassé et ne vaut déjà plus grand chose.

Prendre conscience de cette distinction entre besoins et désirs est puissamment libératrice. Savoir reconnaître honnêtement que ce à quoi nous aspirons n'est en réalité, la plupart du temps, qu'un désir fugace, peut éviter que nous nous y attachions et que nous nous sentions frustrés en cas d'insatisfaction de ce désir.

Pour ce qui me concerne, conscient que la très grande majorité de mes envies répondent à des désirs, je tâche de juguler ce flot incessant en essayant de différer le passage à l'acte. La plupart du temps, ce désir pressant s'éteint de lui-même et ce qui me semblait tellement indispensable retrouve sa neutralité. Mais rassurez-vous, cette façon de procéder ne m'empêche nullement de jouir de la vie, bien au contraire, elle me permet de le faire en pleine conscience, de faire des choix, d'avoir moins, mais je l'espère, d'avoir mieux.

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Christophe BOMBLED