"Le motif de base de la résistance était l'indignation. Nous vétérans des mouvements de résistance et des forces combattantes de la France libre, nous appelons les jeunes générations à faire vivre, transmettre, l'héritage de la résistance et ses idéaux. Nous leur disons : prenez le relais, indignez-vous ! Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l'ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l'actuelle dictature des marchés financiers qui menacent la paix et la démocratie.

Je vous souhaite à tous, à chacun d'entre vous d'avoir votre motif d'indignation. C'est précieux."

Stéphane Hessel

vendredi 23 juin 2023

Les quatre Titanic

Jacques Attali dit, dans une plus belle langue que moi et avec plus de talents, ce que je dis. Lui, moi et plein d'autres personnes avons été frappés par ce que dit vraiment de nous le naufrage du sous-marin Titan. 

La métaphore est si évidente qu’on hésite à l’utiliser : voir un petit sous-marin touristique ironiquement nommé « Titan », se fourvoyer dans le voisinage de l’épave du Titanic, dans un voyage d’observation obscène, comme si on espérait y apercevoir les restes de ceux qui y sont morts noyés ; le voir ensuite disparaître, comme celui qu’il allait observer ; se rendre compte que ceux qui s’y trouvent sont trois audacieux touristes milliardaires, l’organisateur de ce voyage et un guide ultra compétent ; observer les médias du monde entier s’intéresser à ce fait divers, et en parler ad nauseum ; voir les armées et les entreprises les plus puissantes mettre en scène une opération de sauvetage qui leur sert surtout à faire la publicité de leurs propres machines. Tous les travers de notre époque s’y trouvent rassemblés : la fascination pour le spectacle de la mort, le gout illimité des plus riches pour la consommation la plus luxueuse et pour les sensations fortes, la panne d’une machine à qui on a trop demandé, la passion des médias pour la vie des riches, la folie dispendieuse des puissants faisant tout pour sauver leurs proches, l’usage de tout, même du pire, pour créer des sources de spectacle et de profit. Comme un nouveau Titanic refaisant les mêmes erreurs mortelles que le précèdent. Et dont certains se préparent déjà, d’ailleurs, sans doute à faire des films. 

 Mais il y a plus encore, car il y a aussi au moins deux autres Titanic. 

Les bateaux de réfugiés d’abord, qui coulent, dans l’indifférence générale, en Méditerranée et ailleurs. Et, pour ne parler que de l’un d’entre eux, qui n’est pas tout à fait passé inaperçu, en route vers l’Italie, repoussé au large, et oublié quand il a commencé à couler ; sans qu’on ne consacre, pour sauver 750 enfants, femmes et hommes, le millionième des moyens qu’on a consacré à tenter de secourir cinq personnes. (Qui a cherché à entendre des cognements dans la carcasse de ce misérable bateau de pêche, où on savait qu’avaient été enfermés des centaines de femmes et d’enfants ?). Cela dit, tant de ce qu’est notre monde, où l’aveuglement des puissants, la concentration des richesses et l’oubli des plus pauvres sont devenus la règle. 

 Et enfin, un quatrième Titanic, si énorme qu’on ne le voit pas : notre humanité. Nous sommes tous, comme sur le Titanic, emportés vers l’avenir sans vraiment choisir une destination, fascinés par nos moyens, aveuglés par notre puissance, inconscients des dangers, oublieux des misères des gens qui sont dans la soute. Et, une fois de plus, tardant à utiliser les moyens dont nous disposons pour nous sauver. Le sort des trois autres Titanic nous démontre que ni les plus riches, ni les plus pauvres, ne sont sortis vivants de l’aventure. 

Nous n’avons pas encore coulé. Ni comme le Titanic, ni comme le Titan, ni comme ce bateau de pêche anonyme. Nous ne sommes pourtant pas loin de la catastrophe. C’est une affaire de deux décennies, c’est-à-dire rien. Nous avons encore le temps de faire ce que je nomme « le Grand Virage ». Nous ne sommes absolument pas en train de le faire. On se contente de rassurer les vivants d’aujourd’hui avec quelques mesures de façades qui n’empêcheront pas le monde de devenir, à tres court tres terme, un enfer invivable. Il faut l’assumer. Comme avec les trois autres Titanic, sans une action très rapide et considérable, nous serons les fossoyeurs, sinon les assassins de nos petits-enfants. 

 N’oublions pas d’ailleurs que le nom du Titanic fut justement choisi en référence orgueilleuse aux Titans, nom générique des fils de Gaia et d’Ouranos, dont Chronos qui fut combattu par le seul de ses fils qu’il n’avait pas dévorés ; Zeus qui finit par vaincre son père et le noyer, avec ses oncles (sauf Océan, Thémis, Prométhée et Epiméthée) dans le fleuve Tartare. Zeus garda le ciel pour lui et donna la mer à un de ses frères, Poséidon, et les Enfers à l’autre, Hadès. Là encore, tout est dit. 

Puisse ce fait divers (dont je ne peux que deviner l’issue vraisemblablement tragique à l’heure où j’écris) nous servir de leçon. 

Et si l’issue n’est pas tragique, mettons en œuvre au plus vite les mêmes moyens pour sauver l’espèce humaine.

Jacques Attali 

Image : Scène du film “Titanic”, de James Cameron (1997). © Crédit photo : 20th Century Fox.

jeudi 22 juin 2023

Le Titan ou l'allégorie de l'arrogance

 

Cette recherche de sous-marin en perdition autour de l'épave du Titanic mise en parallèle avec le dernier naufrage meurtrier en Méditerranée, met en lumière l'inégalité écœurante des vies que vous soyez puissant.e ou misérable. 

Que l'on ne se méprenne pas, je souhaite ardemment que l'on retrouve vivants les cinq passagers du sous-marin. Aussi stupides soient ces gens riches qui se croient tout permis parce qu'ils en ont les moyens, personne ne mérite de mourir au fond de l'océan. 

Mourir en mer c'est, pour moi qui suis un gens de mer, un cauchemar. 

Ceci étant dit, c'est une fois de plus la démonstration que la vie humaine n'a pas la même valeur suivant que tu sois riche ou pauvre. Si tu es riche on déploiera des moyens fous pour te venir en aide en revanche, si tu es pauvre et réfugié.e sur une misérable épave flottante, on souhaitera presque que tu ne coules avec tes compagnons d'infortune. 

Il y a clairement deux poids, deux mesures. 

C'est une triste allégorie de notre monde. 

Le Titan ou l'allégorie de l'effondrement. 

Ces stupides gens riches qui sont en perdition dans le sous-marin au dessus du Titanic et qui s'arrogent le droit de le faire parce qu'ils peuvent le faire, parce qu'ils ont les moyens de le faire, c'est une image de notre monde de gens riches, dont nous sommes. 

Nous sommes toutes et tous dans le sous-marin dans les abysses des crises écologiques, climatiques, de biodiversité, énergétiques et métalliques qui menacent notre durabilité. 

Nous sommes dans ce sous-marin, jouissant de la possibilité de naviguer en eaux profondes sans en saisir le danger, jouant même avec le danger. 

Nous sommes stupides de poursuivre la descente alors qu'en surface, si nous cessons l'expérience, notre survie est assurée. 

Et pourtant nous continuons la descente. 

Pire !!! Nous, gens riches, à refuser de renoncer à la jouissance de la toute puissance, nous entraînons, dans le sous-marin le reste de l'humanité et les générations futures. 

Nous sommes ces stupides gens riches dans ce sous-marin en perdition et nous attendons que le monde entier, à notre service parce que nous sommes riches, vienne nous sauver. Nous sommes ces stupides gens riches dans ce sous-marin en perdition, mais personne ne pourra nous sauver malgré la technologie déployée. 

Le Titan ou l'allégorie de l'arrogance


 

dimanche 11 juin 2023

Paris-Saclay, Ligne 18 un obstacle écologique et agricole

 

ZPNAF. Le plateau de Saclay constitue une zone à vocation agricole au sud de Paris et bénéficie, de part sa configuration géologique et géographique, de terres exceptionnellement fertiles et tolérantes à la sécheresse. En 2008-2010, la conjonction de l’Opération d’Intérêt National Paris-Saclay et du projet du Grand Paris annoncent une forte urbanisation du Plateau de Saclay. Les mobilisations de la société civile et d’élus locaux aboutissent à la création d’une zone de protection naturelle, agricole et forestière (ZPNAF) à Paris-Saclay dans le cadre de la Loi du Grand Paris. Cette zone (4115 ha) rend non urbanisables les espaces naturels et agricoles qui la composent. 

 https://epa-paris-saclay.fr/le-territoire/tout-savoir-sur-la-zpnaf/ 

Ligne 18. L’utilité publique de la ligne 18 a été confirmée par le conseil d’État en juin 2018. La ligne 18 relie Orly à Versailles et comporte initialement une section souterraine (Orly-Palaiseau) et une section aérienne en viaduc (Palaiseau-Versailles). En novembre 2020, la Société du Grand Paris (SGP) a décidé de « mettre au sol » une section de 5.1 km entre Saclay et Châteaufort, pour des raisons «à la fois paysagères et budgétaires». Ces 5km au sol coupent en deux la zone de protection naturelle, agricole et forestière (ZPNAF). Une étude d’impact est réalisée par la SGP (SGP juin 2021, mars 2022). Les mesures de réduction des impacts consistent à mettre en place des zones de passages pour la faune pour préserver les continuités écologiques et un tunnel pour la traversée de la Ligne 18 par des engins agricoles. 

Zaclay. Le collectif contre la Ligne 18 (https://nonalaligne18.fr/) s’installe le 22 mai 2021 sur des champs agricoles du Plateau de Saclay, prêtés par des agriculteurs du plateau. Le collectif défend, entre autre, l’abandon du tronçon Massy-Versailles de la Ligne 18 : un transport inadapté aux besoins de la population et surdimensionné. Cette revendication est confirmée (au moins sur la partie Saclay-Versailles) par la publication récente, par la SGP, des prévisions de trafic de voyageurs. La soutenabilité financière du tronçon Saclay-Versailles est questionnée par de nombreuses associations. 

Une proposition alternative au tronçon au sol. Une enquête publique est ouverte du 28 juin au 30 juillet 2021, concernant, notamment, la modification du projet Ligne 18 avec le passage au sol de la Ligne 18 sur le tronçon Saclay-Châteaufort. Le 12 octobre 2021, la commission d’enquête publique remet son rapport. Elle souligne les impacts négatifs de ce passage au sol et propose une solution alternative dont voici un extrait : "Ainsi, il apparaît à la commission d’enquête judicieux d’apporter un correctif au projet modifié présenté en prolongeant en tranchée ouverte avec un passage en tranchée couverte sous la RD938. La ligne 18 pourrait être à la même profondeur entre la zone des Graviers et le rond-point de Châteaufort.

(https://www.prefectures-regions.gouv.fr/ile-de-france/content/download/87795/564358/file/2021-10-12_Conclusions_L18DUPmodif2.pdf). 

Terre & Cité. L’association Terre & Cité (créée dès 2001 pour préserver les terres agricoles du plateau de Saclay, https://terreetcite.org/) et sa présidente Caroline Doucerain (maire des Loges en Josas) tentent de négocier avec la SGP et la préfecture de l’Essonne pour défendre la solution de la tranchée ouverte. La préservation des fonctionnalités agricoles de la ZPNAF inclue la facilitation des circulations agricoles, qui sont menacées par le passage au sol de la Ligne 18. Les plans fournis à l’association par la SGP concernant le passage des engins agricoles sous la Ligne 18 ne sont pas convaincants. De façon générale, chaque nouvel élément d’urbanisation du plateau de Saclay réduit la facilité des circulations agricoles. Une lettre ouverte est adressée par les agriculteurs et les élus locaux du plateau à la Première Ministre le 1er décembre 2022. 

Continuités écologiques. Le 6 juin 2023, une étude menée par des scientifiques de l’Institut Diversité, Ecologie, Evolution du Vivant (IDEEV) sous la direction de Paul Leadley montre que le passage au sol de la Ligne 18 sur le tronçon Saclay-Châteaufort menace les continuités écologiques du plateau. Elle est disponible sur le lien : 

https://moulon.inrae.fr/news/2023/06/continuit%C3%A9s-%C3%A9cologiques-du-plateau-de-saclay/ 

Conclusions. Les agriculteurs du plateau, les élus, des collectifs citoyens et des scientifiques de l’IDEEV s’accordent pour s’inquiéter des impacts négatifs du passage au sol de la ligne 18 sur le tronçon Saclay-Châteaufort. Le rapport de Paul Leadley pose un regard nouveau sur la question des continuités écologiques. Les négociations entre l’association Terre & Cité et la SGP, qui ne prend pas en compte les recommandations de la commission d’enquête publique pour des questions budgétaires, sont plus que difficiles. Quel est le prix de la préservation de la biodiversité sur le Plateau de Saclay ? 

Par Christine Dillmann, professeure à l’Université Paris-Saclay et dirige l’UMR GQE-Le Moulon, membre fondateur de l’Institut Diversité, Ecologie, Evolution du Vivant (IDEEV). Elle est depuis janvier 2019 responsable du domaine agricole expérimental de l’unité de recherche. A ce titre, elle fait partie du collège agriculteurs de l’association Terre & Cité.