Olivier répond, ci-après, à une demande que je lui avais faite, lors d'une campagne océanographique en Bretagne, et qui consistait à me relater ses impressions, lors de sa participation, au premier tribunal international pour la justice climatique afin que je puisse les publier sur mon blog. Il a eu la gentillesse de le faire, après avoir transmis au journal Pachamama la primeur de ses écrits. Tribunal Climatique à l'instar du projet du procureur argentin Antonio Gustavo Gomez qui défend la création d'une cours pénale internationale de l'environnement. Pourquoi ne pas mixer les deux et l'installer à Venise qui a déjà accepté de libérer un bâtiment pour accueillir la future entité du Tribunal de l'Environnement ?
Tribunal climatique ?!?! Tribunal de l'environnement ?!?!
J'entends déjà mes opposants commencer à nous traiter de Khmer-Verts, de totalitaristes de l'écologie, d'obscurantistes de l'environnement. Je les entends déjà, bien blottis chez eux, au chaud et confortablement installés dans leurs douillettes maisons, me dire que nous allons trop loin et qu'ensuite nous établirons une inquisition de l'environnement. Je demanderais juste à ces gens là de me dire la même chose mais en regardant dans les yeux les esclaves modernes qui triment et meurent pour que nous ayons tout (pétrole, gaz, minerais rares, précieux ou utilitaires, fruits et légumes, agro-carburants) et tout le temps, comme n'importe quel gosse de riche qui ne regarde pas le pillage et la misère qu'il engendre avec ses besoins gargantuesques.
Je dirais à ceux que l'idée de traduire devant la justice les responsables des dégradations environnementales, choque, de regarder, en face, ces Kenyans qui accourent pour travailler dans les serres qui servent à produire la rose du Kenya et qui sont devenues les premières fournisseuses de ces fleurs pour l'Europe. Ce nouvel eldorado apparaissait alors comme une opportunité unique d'échapper à la misère, mais cette chance comporte aussi ses revers (toujours les mêmes quelque soit les exemples) pour nombre d'employés entassés dans les bidonvilles autour des serres : Conditions de travail décriées, faibles salaires, impacts, d'une production industrielle et chimique, sur l'environnement, les réserves en eau et la santé, dénoncés.
Dans la même veine, pour fournir à l'Europe, un ananas élaboré exclusivement pour nos petits palais délicats (le sweet), l'Américain, Del Monte, a introduit l'ananas doux au milieu des années 90 au Costa Rica. Aujourd'hui, dans ce pays la situation semble encore pire que dans la production de banane : salaires misérables, absence de protections contre les produits chimiques, la liste des droits élémentaires bafoués est longue. Depuis la production n'a cessé de croître, mais ce formidable essor a son prix, celui que paye la population et l'environnement en ayant vu, en bonne partie, la forêt tropicale éliminée, en ayant vu les eaux contaminées par une multitude de pesticides, en ayant vu également l'érosion des sols et leur contamination favorisées et surtout la contamination des travailleurs obligés de vivre, respirer, manger au sein des pulvérisations de pesticides.
Je dirais également à mes opposants de se souvenir du film "Le cauchemar de Darwin" qui a révélé au grand public l'amère expérience environnementale puis humaine de l'introduction, dans le lac victoria, de la perche du Nil. Ce poisson, à la "mode" dans les années 90 en Europe, est certes un véritable désastre écologique, mais pas seulement. En effet les pêcheurs, du lac Victoria, sont de plus en plus nombreux à s'entasser dans de sordides bidonvilles tout droit sortis des plus sombres romans de Zola, où les familles ne peuvent plus que se nourrir des carcasses de perches dont les filets ont été retirés pour être exportés en Europe, où l'environnement est complètement détruit, l'eau corrompue et où les violences faites aux enfants et aux femmes sont quotidiennes.
Enfin je rappellerais au bon souvenir de la conscience de mes compatriotes les plus tranquilles dans leur certitudes, les bidonvilles de Lagos (photo ci-dessus) au Nigeria où vivent, pire que des cafards, des familles démunies de tout, dans des lieux improbables où l’environnement est dans un état de dégradation extrême (hangars de gares de triage, ponts d'autoroutes, lagunes croupies…). Et comme si cela ne suffisait pas, ces populations pourraient bien être obligées de quitter "leur maisons" à cause de l’augmentation du niveau de la mer dans les cinquante prochaines années.
Nous pourrions multiplier les exemples à l'infini de situations de dégradations de l'environnement qui amènent misères et désolation chez les plus fragiles de nos frères. Mais la démarche de ce billet n'est pas de faire un inventaire exhaustif de nos responsabilités collectives, qui sont grandes, mais de dire que la démarche de lancer la première pierre d'un tribunal climatique et, pourquoi pas, environnemental est, non seulement pertinente mais aussi légitime que la cours pénale internationale de la Haye pour crime contre l'humanité. Puis enfin, au delà de tous ces exemples sordides la réponse à faire à nos opposants, comme me le suggère dans un mail, Olivier, c'est que lorsque l'on parle d'un tribunal, on ne parle pas d'un simili de justice. On parle de droit tout simplement. Et un vrai droit, avec de vrais jurés, de vrais avocats, de vrais juges, bref de vrais tribunaux avec de vraies sanctions, c'est la base de la démocratie au contraire ! On y juge les criminels ! Dès lors, je pense que lorsque ce tribunal aura très officiellement vu le jour, beaucoup de responsables politiques et industriels auront des cheveux blancs à se faire.
Bonne lecture.
Bruno
-------------------------------------------
"Bonjour,
Je reviens de Bolivie où j’ai eu la chance de "rencontrer" la Pachamama. J’en suis revenu impressionné et probablement, renforcé dans certaines convictions. Je ne suis pas journaliste mais je vais essayer de vous rendre compte de ce que j’y ai vu.
C’est à Cochabamba, que s’est tenu le premier tribunal international pour la justice climatique. L’essence même de ce tribunal, tient dans la dimension éthique du changement climatique. Les pays développés sont responsables de 80 % des émissions passées de CO2, alors que les premières conséquences du changement climatique induit par ces émissions se font déjà ressentir pour les populations les plus vulnérables, essentiellement situées dans l’hémisphère sud.
C’est une plateforme Bolivienne qui est à l’origine de ce tribunal. Elle regroupe, d’un côté des organisations et mouvements sociaux (syndicats, jeunesses, femmes…) et de l’autre, des ONG, tant environnementales que sociales. L’idée a été proposée pendant le Forum Social de Belem (Brésil) en janvier 2009. Elle a été entérinée officiellement à Puno (Pérou) pendant le 4ème somment continental des peuples indigènes de Abya Yala (mai 2009). Le lieu choisi pour ce tribunal est très symbolique : c’est à Cochabamba en effet, que les mouvements sociaux Boliviens ont remporté une première importante victoire contre une multinationale lors de la "guerre de l’eau", en 2000. D’une façon plus générale, la Bolivie d’Evo Morales est très en pointe dans la lutte des pays du Sud pour une justice climatique, et la reconnaissance d’une dette climatique des pays du Nord sur laquelle je reviens par ailleurs.
Pendant deux jours, les 13 et 14 octobre 2009, sept cas différents, en lien direct avec le changement climatique, ont été présentés devant un jury composé d’universitaires, d’experts climatiques, de membres d’ONG environnementales et sociales (Les Amis de la Terre International, Jubile South…). Bien entendu, ce tribunal était plus politique, éthique, que réellement juridique. Il y a eu présentation des faits, réquisitoire contre un certain nombre d’accusés (gouvernements, multinationales…), demande de réparations. Mais pas de défense et encore moins de juges et de sanctions. L’objectif était donc d’attirer l’attention sur la dimension éthique du changement climatique, trop souvent oubliée. Avant peut-être, dans les années à venir, de constituer un véritable tribunal, avec un cadre juridique à construire probablement.
Différents gouvernements et entreprises ont donc été accusés devant le tribunal pour avoir porté atteinte aux droits de l’homme, des peuples et de la nature. Soit pour contribution directe à l’émission de gaz à effet de serre, soit pour avoir encouragé la mise en place de ce qui est appelé des "fausses solutions", qui conduisent à de la destruction d’écosystèmes, ou à l’expropriation de gens pour remplacer les cultures vivrières par des plantations d’arbres (compensation carbone) ou des agro-carburants. Je voudrais simplement illustrer trois cas qui ont été particulièrement bien présentés.
Le premier cas présenté l’a été par des représentants de la Communauté Khapi, qui vit à une soixantaine de kilomètres de La Paz, au pied du glacier Chacaltaya. Le retrait de ce glacier, que les populations observent depuis plus d’une décennie, met en péril la disponibilité en eau de cette communauté. Les implications pour la vie quotidienne de ces populations sont multiples (potabilité, cuisson, pâturages pour les animaux, cultures...), les amenant aujourd’hui à s’interroger sur leur capacité à demeurer dans leur habitat. Dans un cas comme celui-ci, la cause du problème étant bien identifiée, c’est l’ensemble des pays ayant contribué à l’effet de serre qui sont accusés et qui devraient aider ces populations à s’adapter au changement climatique en cours, qui les affecte directement.
Les deux autres cas que j’aimerais évoquer ont trait aux "fausses solutions", ils sont des conséquences indirectes du changement climatique et ont pour but de démontrer qu’on ne peut pas faire n’importe quoi, au seul prétexte qu’il y a un problème majeur à résoudre.
En Equateur, autre pays en pointe dans la lutte pour la préservation de biens publics mondiaux (Yasuni), le cas présenté concernait une entreprise Hollandaise, la Fondation FACE, qui a lancé un programme de plantation d’arbres, sur 150 000 hectares, dans ce pays, comme en Afrique, pour compenser ses émissions de CO2. Ce cas a parfaitement illustré la formule "on plante du carbone, on récolte la misère". Misère des populations qui ont été expropriées et chassées vers les villes. Misère de la terre et des écosystèmes, les nouvelles plantations affectant la qualité des sols, la biodiversité, la ressource en eau… Le cas Colombien était très proche, dans sa philosophie. Cette fois-ci cependant, la réquisition de terres était motivée par l’extension des champs de canne à sucre, qui permet depuis 2005 de produire de l’éthanol. Il s’agit de contribuer à la production d’agro-carburants (loi 693 de 2001), avec des conditions de travail qui, pour le moins, laissent à désirer.
Dans ces deux cas, toute une série de droits de l’homme ont été bafoués, et les présentateurs se sont appuyés sur nombre de conventions internationales pour étayer leur argumentation. Ce ne sont pas seulement les pays développés qui ont été accusés. Mais également, les entreprises qui se lancent aveuglément dans la production d’agro-carburants ou dans le marché du carbone, volontaire ou non, le plus souvent dans les pays du sud, sans se préoccuper des droits les plus élémentaires des populations locales. Et les gouvernements de ces pays également, qui permettent ce type d’activités. L’arrêt de ces pratiques et la restitution des terres à leurs véritables propriétaires font partie des premières demandes de réparations qui ont été formulées.
Lors de la dernière demi-journée, tandis que les jurés délibéraient, un forum s’est tenu, qui a permis à de nombreux orateurs qui n’avaient pu défendre leur cas dans le strict cadre du tribunal, de s’exprimer. Des représentants d’organisations sociales également : les paysans, les femmes, les jeunes… Tous sont venus exprimer leur colère, parfois de façon très prenante. Au cours de ces deux journées, tous sont venus raconter leur expérience déjà sensible du changement climatique. De ses impacts sur les populations. De ses impacts surtout, sur la Pachamama, cette terre-mère dont ils sont encore très proches. C’est ce rapport à la nature qui m’a beaucoup impressionné, parce qu’on l’a oublié depuis longtemps dans nos sociétés, me semble t-il.
Le tribunal s’était ouvert par un rituel dédié à la Pachamama, pour lui demander que tout se passe bien et que justice soit rendue. Pour moi, il s’est terminé sur ces impressions très fortes, de ces gens en colère. C’est un joli nom que vous avez choisi pour cette revue, j’espère qu’il nous fera réfléchir. Et surtout agir."
Olivier Ragueneau.
Directeur de recherches au CNRS
Tribunal climatique ?!?! Tribunal de l'environnement ?!?!
J'entends déjà mes opposants commencer à nous traiter de Khmer-Verts, de totalitaristes de l'écologie, d'obscurantistes de l'environnement. Je les entends déjà, bien blottis chez eux, au chaud et confortablement installés dans leurs douillettes maisons, me dire que nous allons trop loin et qu'ensuite nous établirons une inquisition de l'environnement. Je demanderais juste à ces gens là de me dire la même chose mais en regardant dans les yeux les esclaves modernes qui triment et meurent pour que nous ayons tout (pétrole, gaz, minerais rares, précieux ou utilitaires, fruits et légumes, agro-carburants) et tout le temps, comme n'importe quel gosse de riche qui ne regarde pas le pillage et la misère qu'il engendre avec ses besoins gargantuesques.
Je dirais à ceux que l'idée de traduire devant la justice les responsables des dégradations environnementales, choque, de regarder, en face, ces Kenyans qui accourent pour travailler dans les serres qui servent à produire la rose du Kenya et qui sont devenues les premières fournisseuses de ces fleurs pour l'Europe. Ce nouvel eldorado apparaissait alors comme une opportunité unique d'échapper à la misère, mais cette chance comporte aussi ses revers (toujours les mêmes quelque soit les exemples) pour nombre d'employés entassés dans les bidonvilles autour des serres : Conditions de travail décriées, faibles salaires, impacts, d'une production industrielle et chimique, sur l'environnement, les réserves en eau et la santé, dénoncés.
Dans la même veine, pour fournir à l'Europe, un ananas élaboré exclusivement pour nos petits palais délicats (le sweet), l'Américain, Del Monte, a introduit l'ananas doux au milieu des années 90 au Costa Rica. Aujourd'hui, dans ce pays la situation semble encore pire que dans la production de banane : salaires misérables, absence de protections contre les produits chimiques, la liste des droits élémentaires bafoués est longue. Depuis la production n'a cessé de croître, mais ce formidable essor a son prix, celui que paye la population et l'environnement en ayant vu, en bonne partie, la forêt tropicale éliminée, en ayant vu les eaux contaminées par une multitude de pesticides, en ayant vu également l'érosion des sols et leur contamination favorisées et surtout la contamination des travailleurs obligés de vivre, respirer, manger au sein des pulvérisations de pesticides.
Je dirais également à mes opposants de se souvenir du film "Le cauchemar de Darwin" qui a révélé au grand public l'amère expérience environnementale puis humaine de l'introduction, dans le lac victoria, de la perche du Nil. Ce poisson, à la "mode" dans les années 90 en Europe, est certes un véritable désastre écologique, mais pas seulement. En effet les pêcheurs, du lac Victoria, sont de plus en plus nombreux à s'entasser dans de sordides bidonvilles tout droit sortis des plus sombres romans de Zola, où les familles ne peuvent plus que se nourrir des carcasses de perches dont les filets ont été retirés pour être exportés en Europe, où l'environnement est complètement détruit, l'eau corrompue et où les violences faites aux enfants et aux femmes sont quotidiennes.
Enfin je rappellerais au bon souvenir de la conscience de mes compatriotes les plus tranquilles dans leur certitudes, les bidonvilles de Lagos (photo ci-dessus) au Nigeria où vivent, pire que des cafards, des familles démunies de tout, dans des lieux improbables où l’environnement est dans un état de dégradation extrême (hangars de gares de triage, ponts d'autoroutes, lagunes croupies…). Et comme si cela ne suffisait pas, ces populations pourraient bien être obligées de quitter "leur maisons" à cause de l’augmentation du niveau de la mer dans les cinquante prochaines années.
Nous pourrions multiplier les exemples à l'infini de situations de dégradations de l'environnement qui amènent misères et désolation chez les plus fragiles de nos frères. Mais la démarche de ce billet n'est pas de faire un inventaire exhaustif de nos responsabilités collectives, qui sont grandes, mais de dire que la démarche de lancer la première pierre d'un tribunal climatique et, pourquoi pas, environnemental est, non seulement pertinente mais aussi légitime que la cours pénale internationale de la Haye pour crime contre l'humanité. Puis enfin, au delà de tous ces exemples sordides la réponse à faire à nos opposants, comme me le suggère dans un mail, Olivier, c'est que lorsque l'on parle d'un tribunal, on ne parle pas d'un simili de justice. On parle de droit tout simplement. Et un vrai droit, avec de vrais jurés, de vrais avocats, de vrais juges, bref de vrais tribunaux avec de vraies sanctions, c'est la base de la démocratie au contraire ! On y juge les criminels ! Dès lors, je pense que lorsque ce tribunal aura très officiellement vu le jour, beaucoup de responsables politiques et industriels auront des cheveux blancs à se faire.
Bonne lecture.
Bruno
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"Bonjour,
Je reviens de Bolivie où j’ai eu la chance de "rencontrer" la Pachamama. J’en suis revenu impressionné et probablement, renforcé dans certaines convictions. Je ne suis pas journaliste mais je vais essayer de vous rendre compte de ce que j’y ai vu.
C’est à Cochabamba, que s’est tenu le premier tribunal international pour la justice climatique. L’essence même de ce tribunal, tient dans la dimension éthique du changement climatique. Les pays développés sont responsables de 80 % des émissions passées de CO2, alors que les premières conséquences du changement climatique induit par ces émissions se font déjà ressentir pour les populations les plus vulnérables, essentiellement situées dans l’hémisphère sud.
C’est une plateforme Bolivienne qui est à l’origine de ce tribunal. Elle regroupe, d’un côté des organisations et mouvements sociaux (syndicats, jeunesses, femmes…) et de l’autre, des ONG, tant environnementales que sociales. L’idée a été proposée pendant le Forum Social de Belem (Brésil) en janvier 2009. Elle a été entérinée officiellement à Puno (Pérou) pendant le 4ème somment continental des peuples indigènes de Abya Yala (mai 2009). Le lieu choisi pour ce tribunal est très symbolique : c’est à Cochabamba en effet, que les mouvements sociaux Boliviens ont remporté une première importante victoire contre une multinationale lors de la "guerre de l’eau", en 2000. D’une façon plus générale, la Bolivie d’Evo Morales est très en pointe dans la lutte des pays du Sud pour une justice climatique, et la reconnaissance d’une dette climatique des pays du Nord sur laquelle je reviens par ailleurs.
Pendant deux jours, les 13 et 14 octobre 2009, sept cas différents, en lien direct avec le changement climatique, ont été présentés devant un jury composé d’universitaires, d’experts climatiques, de membres d’ONG environnementales et sociales (Les Amis de la Terre International, Jubile South…). Bien entendu, ce tribunal était plus politique, éthique, que réellement juridique. Il y a eu présentation des faits, réquisitoire contre un certain nombre d’accusés (gouvernements, multinationales…), demande de réparations. Mais pas de défense et encore moins de juges et de sanctions. L’objectif était donc d’attirer l’attention sur la dimension éthique du changement climatique, trop souvent oubliée. Avant peut-être, dans les années à venir, de constituer un véritable tribunal, avec un cadre juridique à construire probablement.
Différents gouvernements et entreprises ont donc été accusés devant le tribunal pour avoir porté atteinte aux droits de l’homme, des peuples et de la nature. Soit pour contribution directe à l’émission de gaz à effet de serre, soit pour avoir encouragé la mise en place de ce qui est appelé des "fausses solutions", qui conduisent à de la destruction d’écosystèmes, ou à l’expropriation de gens pour remplacer les cultures vivrières par des plantations d’arbres (compensation carbone) ou des agro-carburants. Je voudrais simplement illustrer trois cas qui ont été particulièrement bien présentés.
Le premier cas présenté l’a été par des représentants de la Communauté Khapi, qui vit à une soixantaine de kilomètres de La Paz, au pied du glacier Chacaltaya. Le retrait de ce glacier, que les populations observent depuis plus d’une décennie, met en péril la disponibilité en eau de cette communauté. Les implications pour la vie quotidienne de ces populations sont multiples (potabilité, cuisson, pâturages pour les animaux, cultures...), les amenant aujourd’hui à s’interroger sur leur capacité à demeurer dans leur habitat. Dans un cas comme celui-ci, la cause du problème étant bien identifiée, c’est l’ensemble des pays ayant contribué à l’effet de serre qui sont accusés et qui devraient aider ces populations à s’adapter au changement climatique en cours, qui les affecte directement.
Les deux autres cas que j’aimerais évoquer ont trait aux "fausses solutions", ils sont des conséquences indirectes du changement climatique et ont pour but de démontrer qu’on ne peut pas faire n’importe quoi, au seul prétexte qu’il y a un problème majeur à résoudre.
En Equateur, autre pays en pointe dans la lutte pour la préservation de biens publics mondiaux (Yasuni), le cas présenté concernait une entreprise Hollandaise, la Fondation FACE, qui a lancé un programme de plantation d’arbres, sur 150 000 hectares, dans ce pays, comme en Afrique, pour compenser ses émissions de CO2. Ce cas a parfaitement illustré la formule "on plante du carbone, on récolte la misère". Misère des populations qui ont été expropriées et chassées vers les villes. Misère de la terre et des écosystèmes, les nouvelles plantations affectant la qualité des sols, la biodiversité, la ressource en eau… Le cas Colombien était très proche, dans sa philosophie. Cette fois-ci cependant, la réquisition de terres était motivée par l’extension des champs de canne à sucre, qui permet depuis 2005 de produire de l’éthanol. Il s’agit de contribuer à la production d’agro-carburants (loi 693 de 2001), avec des conditions de travail qui, pour le moins, laissent à désirer.
Dans ces deux cas, toute une série de droits de l’homme ont été bafoués, et les présentateurs se sont appuyés sur nombre de conventions internationales pour étayer leur argumentation. Ce ne sont pas seulement les pays développés qui ont été accusés. Mais également, les entreprises qui se lancent aveuglément dans la production d’agro-carburants ou dans le marché du carbone, volontaire ou non, le plus souvent dans les pays du sud, sans se préoccuper des droits les plus élémentaires des populations locales. Et les gouvernements de ces pays également, qui permettent ce type d’activités. L’arrêt de ces pratiques et la restitution des terres à leurs véritables propriétaires font partie des premières demandes de réparations qui ont été formulées.
Lors de la dernière demi-journée, tandis que les jurés délibéraient, un forum s’est tenu, qui a permis à de nombreux orateurs qui n’avaient pu défendre leur cas dans le strict cadre du tribunal, de s’exprimer. Des représentants d’organisations sociales également : les paysans, les femmes, les jeunes… Tous sont venus exprimer leur colère, parfois de façon très prenante. Au cours de ces deux journées, tous sont venus raconter leur expérience déjà sensible du changement climatique. De ses impacts sur les populations. De ses impacts surtout, sur la Pachamama, cette terre-mère dont ils sont encore très proches. C’est ce rapport à la nature qui m’a beaucoup impressionné, parce qu’on l’a oublié depuis longtemps dans nos sociétés, me semble t-il.
Le tribunal s’était ouvert par un rituel dédié à la Pachamama, pour lui demander que tout se passe bien et que justice soit rendue. Pour moi, il s’est terminé sur ces impressions très fortes, de ces gens en colère. C’est un joli nom que vous avez choisi pour cette revue, j’espère qu’il nous fera réfléchir. Et surtout agir."
Olivier Ragueneau.
Directeur de recherches au CNRS
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