Après avoir passé toute sa vie à observer le Cosmos, Hubert Reeves milite aujourd’hui pour l’écologie et la biodiversité. Il est l'actif président d'honneur de l'association "Humanité et Biodiversité" qu'il a présidée de 2001 à 2015. Selon lui, si on ne fait rien, si on laisse aller, si on continue à dilapider et à détériorer la nature, l’humanité tout entière pourrait disparaître...
- L’ECOLOGIE
Comment passe-t-on de la cosmologie à l’écologie ?
Quand on me demande quel est le rapport entre l’astronomie et l’écologie,j’aime bien répondre que ce sont les deux volets d’une même histoire.
L’astronomie, c’est notre passé. Elle décrit les phénomènes stellaires, planétaires, galactiques, physiques, chimiques, etc., qui font que nous sommes tous les deux ici vivants en train de parler ensemble !
L’écologie, c’est notre futur. Elle permet de prendre conscience du fait que notre vie sur la terre pourrait être menacée si nous continuons à détériorer la planète. Ce sont donc deux sciences complémentaires.
- LA MENACE
Vous semblez inquiet. L’humanité est-elle réellement menacée ?
Oui, l’humanité est malheureusement menacée. Il faut vraiment être aveugle pour en douter : le réchauffement climatique, l’acidification des océans, la pollution, l’érosion de la biodiversité… Nous avons profondément transformé notre planète par nos activités.
Comment en sommes-nous arrivés là ?
Il y a environ 10 millions d’années une espèce animale a reçu sur la terre un cadeau magnifique : une super intelligence ! Pourquoi ? Comment ? On ne le sait pas très bien. Ce que l’on sait, c’est que cette super intelligence a permis à nos ancêtres de survivre dans des conditions très difficiles. Ils n’avaient pas de grandes dents, pas de carapaces, ne couraient pas très vite. Grâce à cette super intelligence ils ont su fabriquer des pièges et des frondes pour se défendre et se nourrir. Mais plus tard les hommes ont imaginé des armes plus sophistiquées : des fusils, des canons et même des bombes atomiques qui auraient pu éliminer l’humanité toute entière pendant la guerre froide !
D’autre part, nous sommes une espèce très fragile qui a besoin de beaucoup de conditions pour survivre. Or nous avons détérioré notre environnement.
Je vous donne un exemple. Aujourd’hui nous avons des bateaux de pêche qui prennent des quantités énormes de poissons en un rien de temps. Résultat, nous pêchons deux fois plus de poissons qu’il ne s’en reproduit. Là, vous avez toute l’histoire en résumé ! Nous sommes une espèce très saccageuse.
Il faut bien comprendre que la Terre n’est pas infinie, que les réserves ne sont pas infinies.
Comment s’en sortir ?
Il ne s’agit pas de sauver la terre ! La terre va très bien. Elle tourne toujours autour du soleil ! Non, il s’agit plutôt de gérer notre intelligence. C’est à dire, évitez que nos propres créations nous éliminent, changer notre rapport avec la nature, cesser de la détériorer et de la dilapider.
Vous savez, les espèces qui durent sur la planète sont celles comme les tortues, depuis plus de 200 millions d’années, vivent en harmonie avec la nature.
- LE MESSAGE
Quel est votre message Hubert Reeves ? Qu’avez-vous envie de dire aux politiques ?
D’abord les mettre au courant de la gravité de la situation. Ensuite ne pas les désespérer. Je crois qu’il faut envoyer ces deux messages en simultané.
On peut agir. Il faut agir ! En écologie, il se fait d’ailleurs des choses depuis longtemps. Par exemple, il y a 150 ans, aux Etats-Unis, en Californie, est né le Sierra Club, le premier club où des gens se mettent ensemble pour protéger la nature, pour que l’on arrête de couper des séquoias par milliers et d’exterminer tous les bisons et toutes les baleines.
Ce groupe a une influence politique, a insisté pour avoir des législations. Ce sont des précurseurs.
Aujourd’hui nous sommes dans une situation conflictuelle entre deux grandes forces : la détérioration de la nature et la restauration. Personne ne sait aujourd’hui qui en sortira vainqueur. L’avenir est inconnu. Nous ne savons pas à quoi ressemblera cette planète dans 50 ans !
Mais si on ne fait rien, si laisse aller, nous les humains, tôt ou tard, serons éliminés.
Et que diriez-vous à un enfant d’aujourd’hui ?
Pour les enfants, l’important ça n’est pas « dire » mais le « faire ». Ils n’ont pas besoin de conférences savantes ; ils ont besoin qu’on leur montre l’exemple. Les professeurs et les parents qui ont une attitude écologique, par des gestes simples que l’on connaît, les impressionnent bien davantage. Et cela qui compte.
- LA COP 21
Que faut-il en attendre, en espérer ?
C’est une conférence très importante. Les décisions prises auront une influence sur des siècles et des siècles. En pratique, il faut essayer de ne pas dépasser 2 degrés de température et, pour cela, réduire considérablement les émissions de gaz carbonique.
Il y a des éléments positifs, notamment l’implication de la Chine et des Etats-Unis. Ils ont fait des propositions concrètes de réduction d’émission de gaz carbonique. Ça ne sera vraisemblablement pas suffisant mais ce sera un premier pas….
L’un des rôles de cette conférence comme celles qui lui ont précédée est aussi d’éveiller les consciences. Depuis la conférence de RIO, le mot écologie est entré dans le vocabulaire mondial et dans tous les foyers, en partie grâce aux journalistes présents et venus de tous les pays. De plus, les tempêtes auxquelles nous avons assisté récemment aux Etats-Unis ou aux Philippines font que de plus en plus de personnes s’éveillent sur ce sujet.
On a un peu le sentiment de passer un examen de passage ?
Absolument ! Nous sommes au défi, à un moment charnière, comme si la nature nous disait : je vous ai fait un beau cadeau mais maintenant débrouillez-vous ! Prouvez que l’intelligence n’est pas un cadeau empoisonné ! »
Cette question se pose d’ailleurs pour toutes les planètes où il y aurait une vie analogue. On peut parfaitement imaginer qu’ailleurs se joue ou se soit joué le même scénario. Comment coexister avec son intelligence ?
- DES RAISONS D’ESPERER ?
Les humains n’ont pas fait que des bêtises. Ils ont créé des choses qu’aucune autre espèce n’a jamais faite. Je pense à l’art, à la musique (Mozart, Beethoven), aux sciences… Et aussi à la compassion. Imaginez un nid d’oiseau où il y a un oisillon malade et un autre bien portant. Les parents nourrissent l’oisillon qui se porte bien et laisse mourir l’autre. C’est cruel, mais c’est comme ça. Pour l’avenir de la lignée, il vaut mieux soigner des oisillons en santé.
Voici maintenant une famille humaine avec un enfant en santé et un enfant malade. Les parents s’occupent de l’enfant malade. Peut-être même davantage que de l’autre. Pourquoi ? Parce que nous sommes capables de compassion ! Nous supportons mal la vue de quelqu’un qui souffre. Nous éprouvons de l’empathie. Le résultat, c’est la Croix rouge, Amnesty international...
Ces trois éléments : art, science, compassion sont des éléments que les humains ont apporté sur la Terre et qui justifient qu’on cherche à préserver leur existence.
La vie a t-elle un sens ?
Y’a-t-il un sens à la vie ? Ou n’y en a-t-il pas ? Je ne sais pas. C’est écrit nulle part dans le ciel !
Comme disait Aragon : « de temps en temps, la terre tremble ». Oui, la vie humaine est difficile. Nous sommes dans une humanité souffrante, avec beaucoup de malheurs. Mais je pense que s’il y a un seul sens à donner à la vie, à sa vie… C’est de l’embellir ! De l’embellir dans l’espace et le temps qui nous sont donnés. D’user de nos facultés et de nos talents pour agir positivement sur le monde qui en a bien besoin.
Qu’est-ce qui vous touche le plus Hubert Reeves aujourd’hui ?
C’est la nature ! J’adore la nature. J’ai une maison de campagne avec des plantes et des arbres où je passe du temps. Et puis j’aime aussi la musique. J’en écoute très souvent et je trouve formidable de pouvoir suivre aujourd’hui des concerts à la télévision partout dans le monde, car alors, je peux voir les visages des musiciens. Pour moi, un orchestre qui joue, c’est l’humanité à son meilleur !
Si vous aviez une baguette magique, quel serait votre souhait pour la planète ?
J’aimerais réduire la fraction des gens qui souffrent, permettre à tous d’avoir une vie convenable et de pouvoir développer ses capacités.
On dit qu’il y a 30 millions de personnes aujourd’hui dans les camps de réfugiés. Il n’y a pas d’avenir dans un camp de réfugiés. Il n’y a pas d’école. Mettez-vous à leur place ? Ils mangent, ils sont vêtus, mais ils n’ont aucune possibilité d’évoluer ni de prouver ce dont ils sont capables.
Dans le futur, les riches s’en sortiront toujours, mais je ne voudrais pas qu’un petit groupe d’êtres humains soit à l’abri des dangers et tous les autres dans la misère.
Pour continuer à évoluer, l’humanité ne doit surtout pas rester fermée sur elle-même ni sur ses privilèges.
Propos recueillis par Caroline de Juglart
Photo : M6info/Caroline de Juglart - Septembre 2015
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