Colbert et le " peak wood " du XVIIe siècle
Un seul moment dans l'histoire de l'humanité est comparable à ce qui s'annonce. À partir du milieu du XVIIe siècle se profile une crise énergétique grave en Europe occidentale, notamment en Angleterre et en France. La source d'énergie principale est le bois, la déforestation pour l'agriculture et la surexploitation le rendent de plus en plus rare et cher.
Les forêts du Nouveau Monde sont à portée de main, mais construire des bateaux en bois pour aller chercher du bois n'est pas physiquement rentable (il faudrait mettre plus d'une unité pour récupérer une unité... comme pour une partie du pétrole non conventionnel !).
Le "peak wood" est là ! L'Europe s'en sortira grâce à la mise en place de réglementations fortes (restrictions étatiques, plans de gestion) et une double révolution technologique. En France, Colbert établit en 1669 l'ordonnance relative à la création et à l'entretien des bois et forêts. Il replante massivement pour préparer l'avenir (en tant qu'ancien ministre de la Marine, il sait qu'il faut 3 000 chênes centenaires pour construire un bateau de guerre). Nous lui devons une bonne partie de nos forêts.
La double révolution technologique viendra d'Angleterre. Vers 1700-1710, Thomas Savery invente la pompe à vapeur, Thomas Newcomen la machine à vapeur. La combinaison des deux permettra l'exploitation des mines de charbon souterraines, en pompant les nappes phréatiques. La révolution industrielle pouvait démarrer.
Aujourd'hui ...
Aujourd'hui, aux limites des réserves fossiles, sans alternative d'envergure suffisante, la production mondiale d'énergie finira par entrer en décroissance. À moins d'une très hypothétique révolution technologique, il nous faudra faire face à une pénurie sans précédent, qui inversera les tendances actuelles avec la réduction des transports, la relocalisation de l'économie, la réapparition du réutilisable et du réparable, et la fin de la culture de l'obsolescence programmée.
Aux limites des réserves fossiles,
comment augmenter les réserves ?
Découvrir de nouveaux champs ? S'il reste de nouvelles réserves à découvrir (les géologues s'accordent souvent sur environ 150 milliards de tep), l'offshore trouvera bientôt ses limites, puisque au-delà de 3 000 m d'eau on quitte le plateau continental et ses dépôts sédimentaires. Et depuis la fin des années quatre-vingt, on découvre moins de pétrole qu'on n'en consomme (1 baril découvert pour 4 consommés actuellement). La production repose largement sur une soixantaine de champs "supergéants" (plus de 700 millions de tep), qui représentent 40 % des réserves. 70 % à 80 % de la production d'Arabie Saoudite, d'Irak et du Koweït reposent sur 8 champs découverts avant 1970.
Mieux récupérer ? Le taux de récupération est actuellement d'environ 35 % mais les propriétés physiques des roches-mères et des hydrocarbures ne permettent pas d'envisager beaucoup plus. Augmenter les prix ? Revoir les évaluations en augmenter "virtuellement" les réserves ?
En pratique, le phénomène du "peak oil" intervient. Schématiquement, une fois la moitié des réserves sorties de terre, la production va passer par un maximum puis décliner (plus ou moins vite, ce qui permet d'appeler le pic " plafond " ou " plateau "). Le pic est déjà là pour le pétrole (hier selon l'Energy Watch Group, 2010 selon l'ASPO, avant 2020 selon Total) : 33 des 48 pays producteurs y sont déjà passés. Il interviendra dans quelques années pour le gaz, à peine quelques décennies pour le charbon, selon l'usage que nous en ferons.
Ainsi pourrons nous vivre sans énergies fossiles
sans changement de comportements ?
Confronté à cette augmentation de la demande et aux réserves limitées d'énergies fossiles, le réflexe naturel est de rechercher des sources d'énergies alternatives.
Séduisant sur le papier jamais, en l'état, nous ne remplacerons une énergie si concentrée et si facilement transportable, qu'est le pétrole, par d'autres source sans renoncer. Jamais et même combinées l'hydrogène, l'hydroélectricité, le solaire, l'éolien, la géothermie, les biocarburants, le biogaz, la biomasse, le nucléaire, les gaz et huile de schiste, les vagues, les courants marins, la fusion ou le biocarburants de nouvelle génération ne parviendront, sans baisse de la consommation mondiale, à remplacer, un pour un, les énergies fossiles.
Une décroissance inexorable
Lâchons le mot : à moyen terme, la production mondiale d'énergie va donc entrer en décroissance. La consommation mondiale devra s'y adapter. Nous ne parlons pas nécessairement de choc pétrolier ou énergétique. Mais dans un mécanisme de marché, le prix va inexorablement monter pour ajuster la demande à l'offre contrainte. Nous aurons également des problèmes liés à la pénurie pour les applications non énergétiques des ressources fossiles (matériaux, lubrifiants, engrais...). À partir de ce constat simple, nous pouvons dresser quelques conséquences probables pour les entreprises, et d'abord les changements de paradigme que vivront sans doute les générations actuelles ou futures : Relocaliser, Stocker et moins transporter (le juste à temps est très consommateur d'énergie car c'est du stock sur la route ou dans les airs), réparer et réutilisé, faire durer et conserver, mettre à la culture de l'obsolescence programmée ...
Ainsi ...
Ainsi ceux qui se prépareront à temps à ces changements, en termes d'innovation produits et services, de réflexion sur la conception, la fabrication, la distribution et la fin de vie de leurs produits, de positionnement marketing, de gestion du risque, seront les gagnants de cette mutation énergétique mondiale. Bien entendu tous les secteurs ne seront pas logés à la même enseigne, entre la capacité plus ou moins grande à sortir de "l'oléodépendance" et la perception, par des clients tendus sous ambiance inflationniste, de l'utilité réelle des biens et services rendus. Mais c'est d'abord la capacité à regarder la réalité en face et l'anticipation qui feront les gagnants et les perdants de demain.
Faut-il continuer sur notre lancée en attendant un improbable successeur de Colbert et une hypothétique révolution technologique ? Il paraît plus réaliste d'intégrer d'ores et déjà dans nos comportements, mais aussi dans l'évolution de l'économie et des entreprises, la nécessaire baisse de la consommation d'énergie et les conséquences pour les entreprises aussi bien en termes d'offre et de modèle économique qu'en termes de choix opérationnels.
Très largement inspiré de : La revue de la communauté polytechnicienne. Merci à Jean-Marc Jancovici, via Facebook, de nous fournir ces articles de référence.
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