L’hiver était calme à la ZAD, cette zone prévue pour l’aéroport contesté devenue la « zone à défendre » pour les opposants. Ses habitants, les « zadistes » ont vécu relativement en paix. Des gendarmes mobiles sont certes toujours sur place, mais les expulsions ont cessé pendant les travaux de la commission de dialogue installée par le Premier ministre en novembre dernier.
Les conclusions de la commission sont attendues dans les prochains jours, et les expulsions pourraient alors reprendre. Les « zadistes » sont parés à toute éventualité : ils ont érigé des barricades avec des tracteurs et de grosses machines agricoles devant la ferme de Bellevue. Ce site de résistance est gardé par un collectif d’agriculteurs qui dorment sur place à tour de rôle, et qui y élèvent des vaches, des cochons et des poules. Pour Cyril Bouligand, l’un de ces agriculteurs, cette présence est primordiale : « Le but est d’être présent pour empêcher l’irréversible. Aujourd’hui, si on n’était pas à Bellevue ou à la Châtaigne, ou dans tous les lieux de la ZAD, ils auraient continué à défricher et à démolir des maisons. C’était donc notre rôle pendant tout l’hiver de protéger ces maisons là, tant que la commission de dialogue fasse son travail. Pour tout vous dire, on ne s’attend pas à ce que le projet soit abandonné du jour au lendemain. »
Bientôt la reprise des expulsions ?
Si les tentatives d’expulsion devaient reprendre, les « zadistes » misent sur leurs barricades : les forces de l’ordre auraient le pus grand mal à enlever les tracteurs et machines agricoles, disent-ils. A l’intérieur de la ZAD, d’autres barricades, plus artisanales, se multiplient : des entassements de bottes de foin, branches, pneus, tôles ondulées et grillages.
La Châtaigne, hameau d’une dizaine de cabanes en bois, se trouve bien protégé par ces monticules. Et les jeunes occupants de cette zone sont plus motivés que jamais à défendre leur territoire. La destruction de leur habitat par les forces de l’ordre en novembre dernier a encore renforcé leur détermination, explique Camille, une jeune « zadiste » : « On est déjà motivés à la base, mais quand on nous a détruit tout ce que nous avions construit, ça nous a mis en colère ! Et cette colère nous a donné beaucoup de force ».
La Châtaigne, lieu fort symbolique
Ce hameau de cabanes a été construit à toute vitesse lors d’une gigantesque manifestation, suite à des violents heurts avec les forces de l’ordre le 17 novembre dernier. Plusieurs dizaines de milliers de personnes sont venues montrer leur soutien, beaucoup ont apporté des matériaux, voire des cabanes en kit et ont aidé à la construction. Pour Camille, la Châtaigne est le symbole d’une première défaite du gouvernement : « Quand le gouvernement a décidé de nous expulser, il pensait que ça allait être réglé en trois semaines, et qu’on ne serait plus là. Et quand ils ont vu qu’ils s’embourbaient littéralement, parce que c’était l’hiver, parce que la nuit tombait vite, parce qu’il y a de la boue et parce qu’on n’a jamais laissé tomber, là, ils ont compris qu’ils se sont engouffrés dans quelque chose qui allait leur prendre beaucoup de temps. En fait, il y a plus de cabanes aujourd’hui qu’avant : ça a fait en sorte de mobiliser un maximum de personnes. Je pense, que c’est une grosse défaite pour le gouvernement. Ils ont créé un symbole, même si ce n’est pas ça qu’on voulait, mais de fait, ils ont créé un symbole de résistance ».
Pour Philippe, un autre « zadiste », résister est une action de tous les jours, face aux gendarmes qui surveillent toujours les abords de la zone : « Depuis quatre mois, l’occupation policière n’a pas cessé. C’est une occupation qui nous bride dans nos mouvements mais qui ne nous empêche pas d’évoluer. Mais c’est pesant. Suivant l’humeur des gendarmes vous pouvez soit passer tranquillement devant eux, soit vous prendre une heure de contrôle à l’aller et au retour. Et ça tous les jours. C’est usant. Mais on ne va pas lâcher l’affaire pour autant. Ce n’est pas parce qu’ils ont décidé de nous embêter qu’on va partir pour autant. »
Les perspectives suite aux travaux de la commission de dialogue
Pour les opposants, la commission de dialogue c’est « de la poudre aux yeux », mise en place uniquement pour faire accepter le projet d’aéroport: En effet, l’option de l'abandon du projet ne figure pas dans la feuille de route de cette commission. « Zadistes » et agriculteurs ont donc refusé d’y participer. En revanche, d’autres opposants ont été auditionnés : Françoise Verchère, conseillère générale front de gauche et co-présidente du collectif CéDpa (Collectif des élus doutant de la pertinence de l'aéroport), a jugé important de défendre les arguments des opposants devant la commission.
Maintenant elle s’attend à des demandes d’enquêtes supplémentaires et à un report du projet. Un passage en force du gouvernement lui parait improbable : « Je ne vois vraiment pas comment ils peuvent aujourd’hui décider d’aller jusqu’au bout. Pour des tas de raisons : Ils sont sous la menace de contentieux que nous allons porter dès que les arrêtés "loi sur l’eau" seront pris. Aujourd’hui, on ne peut pas attaquer au titre de la loi sur l’eau parce qu’il n’y a pas encore d’arrêtés. Et surtout, la mobilisation n’a jamais été aussi importante. Il y a probablement deux à trois fois plus de cabanes à détruire aujourd’hui. Il y a une ferme occupée par des paysans déterminés et soutenus par toute une population. Il y a dans la France entière 200 comités de soutien qui sont prêts au premier coup de pelleteuse ou à la première arrivée des forces de l’ordre à manifester localement partout. Je ne vois pas comment le gouvernement, sauf à entrer dans une spirale de violence, qu’il faudra assumer, peut aujourd’hui décider de continuer. »
Julien Durand, porte-parole de l’association des opposants Acipa et agriculteur à la retraite, abonde dans le même sens : « La conscience citoyenne est là. Quand on lui donne l’occasion de s’exprimer et qu’on ne la bâillonne pas, on obtient ce qui se passe à Notre Dame des Landes. Si le pouvoir politique veut rester en place, il faut qu’il en tienne compte quoi qu’il puisse nous en coûter ».
Et enfin, depuis mars, l’Europe est officiellement saisie par les opposants : la Commission européenne demande des comptes à l’Etat français concernant des manquements en matière de droit environnemental européen.
Alors, une mise en garde de l’Europe pourrait permettre au gouvernement de se défaire de ce projet par une sortie honorable, espèrent maintenant les opposants, qui commenceront dès le 13 avril, à semer, lors de l’opération «
Sème ta ZAD » de nombreux légumes dans la ZAD pour montrer qu’ils ont des projets concrets de maraichage et d’élevage pour cette zone.
Par
Christine Siebert