Yves Paccalet normalien et philosophe, spécialisé en biologie, botanique et zoologie a publié en 1997 une magnifique biographie de Jacques-Yves Cousteau : "Jacques-Yves Cousteau, dans l'océan de la vie" aux éditions JC Lattès. "J'ai rencontré Jacques-Yves Cousteau voici vingt-cinq ans. Pendant plus de quinze ans, j'ai été l'écrivain de son équipe. Je l'ai accompagné dans sa quête. Je l'ai vu vivre. J'ai appris de lui. J'ai voulu retracer son destin sans égal. Comprendre ce qui a fait d'un simple marin un homme universel. Je me suis employé à restituer ce caractère énergique et séducteur, à la fois réaliste et visionnaire. Je l'ai peint sans omettre ses défauts, ses impatiences, ses fameux accès de mauvaise foi. J'ai tenu à offrir une biographie complète, qui rassemble en une même perspective sa vie personnelle et son ahurissante carrière. On s'apercevra vite que la vie et l'oeuvre du Pacha de la Calypso se comparent à celles du capitaine Cook ou de Bougainville. Un océan d'innovations, d'images et d'idées. Il nous a offert une nouvelle vision du monde. Presque une philosophie." nous dit Yves Paccalet. Je vous livre, ici, cinq passages de son précieux livre, qui m’ont paru forts, symboliques et toujours tristement d’actualité, tant l’Homme n’append rien.
Page 241, les boucs émissaires :
Page 350, l’effondrement des sociétés :
Pages 354-355, révélation du grand saccage :
"Nous reprenons nos études, poursuit le pacha. Et tout devient clair. La pollution (les pollutions), dont on parle sans cesse, n'est que la deuxième cause de la diminution des populations végétales et animales. La première, c'est la destruction mécanique directe. Je regroupe sous cette expression, la pêche industrielle qui ravage les fonds ; la pêche à la dynamite ou à la lampe ; et, surtout, les grands travaux de rectification des côtes. Chaque fois que l'on creuse un nouveau port de commerce ou de plaisance, qu'on bâtit un immeuble "pied dans l'eau" ou qu'on agrandit un aéroport côtier, on détruit la portion la plus riche du corps de la mer : l'herbier littoral. [...] Ces végétaux constituent à la fois le poumon, le garde manger et la pouponnière de la mer. [...] ravager cette prairie c'est tuer la mer ..."
J'ai (l'auteur) été témoin, et un peu l'acteur, de la naissance de cette idée force. L'expression "destruction mécanique" est juste, mais peu médiatique. [...] Au bout du compte, c'est le terme "saccage" que nous choisissons. Pendant 20 ans nous montrerons que le "saccage" incarne bien l’ennemi numéro un de la mer, partout dans le monde. Nous prouverons que l'océan constitue, dans sa grande masse, un désert : il ne produit pas plus de matière vivante par unité de superficie que le Sahara. Mais il recèle des oasis d'une prodigieuse générosité : la prairie littorale d'herbes (en Méditerranée ou aux Caraïbes) ou d'algues (dans les grands océans) ; les récifs de coraux ; les estuaires ; les marais littoraux ; les mangroves tropicales ; les zones de rencontres de courants ; et celles de remontées d'eaux profondes. Or l'Homme investit chacun de ces lieux de vie. Il les détruit par sa grande pêche ou son mur de béton. A coté de ces agressions définitives, les pollutions semblent presque innocentes. Même les consternantes marées noires. Pendant vingt ans, nous lancerons ce slogan : "luttons contre le saccage !" sans succès. Trop d’intérêts en jeu. Pas de bouc émissaire facile à désigner. Même le renom de Jacques-Yves Cousteau n'y suffira pas. Chaque fois, les journalistes reviendront nous demander ce que nous pensons de l'état de la mer menacée par "la" pollution [...]".
Bruno BOMBLED - Aujourd'hui encore, quand nous sommes à quai, et que les badauds nous abordent pour savoir ce que nous faisons à bord de notre navire, la seule question qui leur vient en tête est "est-ce que la mer est polluée ?". Cette constatation du grand saccage, jamais personne ne l'aborde, pourtant ce n'est pas faute de le dénoncer (regardez NDDL pour ne pas le nommer) encore et toujours. Mais accepter, pour le commun des mortels, que son train de vie est la cause directe du grand saccage, serait trop violent et reviendrait à accepter de changer et de renoncer. Alors on préfère accuser (pas complètement à tord) "La" pollution, cela est plus collectif et face aux grandes industries, notre part semble plus dérisoire, plus diluée. Pourtant nous sommes collectivement et individuellement pleinement coupables de l'effondrement de la vie. C'est désagréable à reconnaître mais telle est la vérité qui pique.
Pages 409-410, Mission Amazone - 1983 :
"[…]Les sociétés internationales […] ne respectent que leur profit. Elles saccagent. Routes béantes, mines à ciel ouvert, déchets abandonnés … Au sud de l’Amazonie, dans l’état de Rondônia, près de la ville de Porto Velho, une équipe Cousteau filme l’arrivée massive de colons auxquels le gouvernement brésilien attribue des arpents de forêt à défricher. Les immigrants, venus pour la plupart de la province du Nordeste, quasi désertique, ou de l’énorme banlieue de Sao Paulo, apportent avec eux tous ce qu’ils possèdent. Ils débarquent en train, en voiture brinquebalante, en charrette à cheval. Ils incendient la forêt, labourent, se ruinent en achat de graines et de provisions pour subsister jusqu’à la récolte. La première moisson est abondante, les suivantes de plus en plus médiocres. Sur ces sols tropicaux, la couche d’humus est très fine ; lessivée par les pluies dès que les arbres ne la protège plus. Les sol se transforme en latérites rouge, dure, stérile. Les paysans doivent partir plus loin. Raser et brûler d’autres pans de sylve. Et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus que le désert…. […] ".
Bruno BOMBLED - C'était en 1983, rien n’indique que le saccage se soit arrêté, bien au contraire. D'ailleurs la petite fille de Cousteau, Céline Cousteau, est en train de finir un documentaire là dessus, Tribes on The Edge. Elle dresse un constat alarmant qui, en substance, nous dit que si rien ne change, les tribus gardiennes de la forêt vont disparaître et la forêt avec.
Pages 525-527, Rio, sommet de la Terre :
"[...] Juin 1992. Sommet de la Terre. Rio de Janeiro. Jacques-Yves Cousteau […] rayonne. "Un vent d'espoir se lève, me dit-il. Jamais je n'aurais cru à ce point à l'intelligence des hommes. Ils réalisent enfin !". Le pacha a l'impression que tout ce qui l'a bâti en 50 ans prend son sens et se concrétise. Que son ardeur à défendre la vie paye. 116 chefs d'État l’assurent de leur souci de préserver les écosystèmes du globe et de respecter les "fluides de la vie" - l'air et l'eau … "Cette grand-messe de l'écologie, ajoute le pacha, donne aux humains un sentiment d'urgence et de solidarité face aux périls du 21e siècle : mitage la couche d'ozone, risque climatique, montée des eaux, effondrement de la biodiversité, saccage et pollution des terres et des mers, excès de croissance chez les riches, surpopulation chez les pauvres … chacun prend conscience de l'absolue nécessité de réduire les inégalités entre le Nord et le Sud. Et d'offrir aux enfants du Sud la plus indispensables nourriture : l'éducation." le 7 juin pour la cérémonie d'ouverture Maurice Strong, président de la Conférence présente "Captain Planet" aux délégations. Jacques-Yves Cousteau reçoit les applaudissements du monde […] Jamais, peut-être, un homme n'éprouva un tel sentiment de reconnaissance planétaire. On le salut. On le remercie. On l’encense. […] Quand il revient de Rio, nous avons une longue conversation. Il est persuadé qu'il a remporté, sinon la victoire (il est tout sauf naïf), du moins une bataille. Je suis convaincu du contraire. Je lui dis : "JYC, ce sommet de la terre c'est du pipeau. Il n'en sortira rien. Rendez-vous dans 5 ans. Les promesses seront oubliées. Le réalisme politique, financier et industriel l'emportera sur le souci du bien commun." Je désespère un instant le pacha. Il m'a toujours trouvé trop pessimiste. Il me le reproche une fois encore. Puis il éclate de rire. Au fond il est d'accord. Il me remercie pour ma franchise. J'aime ce Cousteau-là. Lucide. Amoureux de la vie parce que – précisément - la mort rôde. Il a mis en chantier, depuis au moins 15 ans, son "livre de philosophie". […] L'ouvrage paraîtra post mortem […] En le lisant, je m’apercevrai - avec le plaisir des philosophes – que, malgré la griserie de Rio, Jacques-Yves Cousteau est resté un authentique, donc précieux pessimiste. Doté de ce regard tragique qui convient à la situation objective des hommes et de leurs terres."
Bruno BOMBLED - L’histoire donnera tristement raison à Yves Paccalet et cette même histoire se répétera, comme une triste farce, à chaque grande messe de l’environnement (conférences environnementales en France, Grenelle de l’environnement de Sarkozy, COP 21, agendas 21 des villes et régions …). L’environnement, pour beaucoup, et un attrape-mouches et un pot de ripolin vert, mais jamais une conviction que les crises écologiques, climatique, énergétique et métallique sont à prendre à bras le corps. Mais ce n’est pas comme si l’effondrement (cf le club de Rome) nous menaçait vers 2030. Pffff !!!!
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