Les ouvrages qui pourfendent "l'intégrisme vert" fleurissent depuis trois ans, l'essai de Pascal Bruckner en est le dernier exemple. La plupart de ces livres utilisent pourtant des arguments mensongers.
C'est bien connu, les écologistes sont des génocidaires, des meurtriers de masse et leurs lubies d'enfants gâtés tuent chaque année, indirectement, des millions d'enfants africains. C'est ce que semble nous dire P. Bruckner, en page 175 de son livre "Le fanatisme de l'apocalypse" : "La prohibition du DDT, sous la pression des groupes environnementaux des pays riches, dans les années 1970, a provoqué une recrudescence du paludisme dans le sud, c'est-à-dire des millions de morts". A l'évocation de "l'argument DDT" les écologistes regardent leurs pieds, préférant tirer un voile pudique sur cette déplorable affaire pendant que leurs adversaires boivent du petit lait en dénonçant victorieusement, l'intégrisme vert. Un cadeau du ciel pour eux, leur permettant de clore, pour de bon, une conversation enflammée sur la place de l'homme dans la nature. Pascal Bruckner n'est pas le seul à rappeler les exactions des écologistes, ainsi le politologue B. Tertrais, dans son essai, "l'apocalypse n'est pas pour demain", le dégaine en page 50 et sur la blogosphère, l'argument DDT est partout. A noter également que, dans cette même veine, l'agence américaine pour le développement international (Usaid) aurait refusé, sous la pression du "politiquement correct vert", de financer des programmes de lutte contre le paludisme pour cause d'utilisation de DDT.
Cette affirmation est désormais omniprésente sur internet, tellement présente, sur la blogosphère, aux liens hypertextes érigés en preuves indémontables, qu'elle s'impose désormais comme la version officielle de l'histoire.
Et pourtant … et pourtant cette histoire est complètement imaginaire. Au moins les lecteurs de ce texte seront-ils désormais informés. Complètement imaginaire car, pour ses usages de contrôle des moustiques, vecteurs de maladies comme le paludisme, le DDT n'a jamais été interdit ni en Afrique, ni nulle part ailleurs. Histoire complètement imaginaire mais tellement prégnante, que l'Usaid a été obligée de publier, sur son site internet, en 2005, une mise au point spécifiant qu'aucun financement de projet n'avait jamais été rejeté au motif d'utilisation de DDT. Enfin et pour finir, le seul texte international qui réglemente l'usage du fameux DDT est la convention de Stockholm qui précise explicitement, dans son annexe B, que tout usage du DDT, à des fins de contrôle des vecteurs de maladies est ... autorisé.
Toutefois si l'on devait trouver une trace de vérité dans cette légende urbaine, car cela en est une, on pourrait dire qu'il est vrai que le DDT est beaucoup moins utilisé, dans le monde, et cela principalement pour des raisons de résistances apparues dans les populations de moustiques (OMS 1970) dans certains pays tropicaux, justifiant l'abandon de l'insecticide miracle. Question de bon sens ... "l’intégrisme vert" n'y apparaît donc pas pour grand-chose.
D'autres rumeurs écolophobes sont venues polluer le paysage du monde scientifique ces dernières années, relayées par la publication d'une abondante littérature au désagréable goût de désinformation. Il en est ainsi de tous ces ouvrages consacrés à la remise en cause du changement climatique destinés à mettre en pièce "l'intégrisme vert". Mais très souvent, les chevilles argumentaires proposées par les écolophobes sont de grossières torsions de faits pourtant bien établis et qui font l'objet de larges consensus chez les scientifiques compétents (Cf. "Climat. Le vrai et la faux" V. Masson-Delmotte. Le Pommier Ed, 2011). L'augmentation des Gaz à Effet de Serre qui réchauffe le climat, les CFC qui détruisent la couche d'ozone, les effluents agricoles responsables des marées vertes, l'amiante cancérigène sont systématiquement relativisés ou réfutés par les écolophobes, alors que ces affirmations sont étayées par des centaines d'études publiées, après expertises, dans des revues scientifiques à comité de lecture. Plus subtile encore consiste à citer, sur un domaine précis, une étude marginale et réfutée de longue date … en omettant, bien sûr, de préciser qu'elle a, finalement, été rejetée* par les spécialistes de la discipline.
Alors, qui au final se retrouve dans ce mouvement de dépréciation du travail scientifique relayé par les écologistes ? L'activisme en ligne des thinck tanks américains ultra-conservateurs ou libertariens a transformé la Toile en un réservoir inépuisable d'arguments repris, traduits, enrichis et repris encore ... même quand ils ont été réfutés et démontés par les chercheurs compétents. Ainsi le "Mythe climatique" reprend très fidèlement ce que l'on peut lire dans la blogosphère américaine. Actuellement la rumeur la plus puissamment véhiculée est celle, selon laquelle le Groupe International d'Experts sur l’Évolution du Climat (GIEC) serait infiltré par les écologistes. Ainsi Luc Ferry de déclarer : "Le GIEC, c'est un groupe où sont cooptés des patrons d'associations qui sont souvent des idéologues écologistes". Pourtant, le GIEC est structurellement conçu pour produire des rapports très conservateurs en présentant une synthèse consensuelle de la littérature scientifique, rédigée par plusieurs centaines de chercheurs et expertisée par des milliers d'autres. Ainsi donc en France, cette ecolophobie est portée par certains intellectuels qui s'engouffrent dans la voie de la facilité et du sensationnalisme et participent, de fait et sans esprit critique, à colporter des concepts faux. Il est toujours décevant de devoir dénoncer le manque d’honnêteté de certains intellectuels français qui devraient pourtant se sentir les héritiers des lumières.
Et quelles sont les motivations de ces écolophobes ? Difficile de répondre tant elles sont potentiellement multiples. Concernant Allègre on pourrait penser que certains, l'âge venu, ont du mal à passer la main et sont en manque de reconnaissance publique. L'écolophobie américaine quand à elle, est surtout motivée par la défense de la liberté économique. Les questions environnementales sont vues, outre atlantique, comme des entraves à la liberté d'entreprendre – un avatar du communisme. En France cela serait plutôt notre rapport au progrès. Progrès que nous associons généralement à la technique. Beaucoup tiennent énormément à l'idée qu'elle permet et permettra de régler tous les problèmes. Progrès et techniques sont, chez nous, étroitement associés au culte de la consommation que l'écologie remet en cause.
Ainsi donc, à l'instar du débat qui a été mis en avant, concernant la question climatique, et qui n'a porté que sur la réalité ou les causes principales du changement climatique- alors qu'il y avait consensus au sein de la communauté scientifique - et qui aurait dû porter sur la manière dont nous devrons nous adapter et nous préparer au changement climatique, nous devrions résister et ne pas nous laisser entrainer - tout en les dénonçant - sur de faux débats superficiels, servis par des groupes conservateurs et malintentionnés, afin de nous concentrer sur la manière de créer un monde humainement durable en équilibre avec son seul vaisseau spatial. Dommage que des intérêts à court termes et égoïstes viennent polluer le débat.
Bruno BOMBLED, largement inspiré de Stéphane Foucart (Le Monde. 5 Novembre 2011)
* La science est le royaume du doute et de la remise en cause des idées, en effet l'un de ses principes de fonctionnement est d’émettre des hypothèses pour ensuite les éliminer quand elles sont prouvées comme étant finalement fausses.
1 commentaire:
Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose...c'est semble-t-il toujours d'actualité, malheureusement.
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