"Le motif de base de la résistance était l'indignation. Nous vétérans des mouvements de résistance et des forces combattantes de la France libre, nous appelons les jeunes générations à faire vivre, transmettre, l'héritage de la résistance et ses idéaux. Nous leur disons : prenez le relais, indignez-vous ! Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l'ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l'actuelle dictature des marchés financiers qui menacent la paix et la démocratie.

Je vous souhaite à tous, à chacun d'entre vous d'avoir votre motif d'indignation. C'est précieux."

Stéphane Hessel

dimanche 5 avril 2009

Semaine du Developpement Durable



Entretient en 5 parties
avec Jean JOUZEL,

Directeur de recherche au CEA, vice-président du groupe scientifique du GIEC (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat.) Prix Nobel de la Paix 2007



1. Climat : le diagnostic est clair

Le problème dont je vais vous entretenir tout au long de cette semaine - celui du réchauffement climatique lié aux activités humaines, de ses causes, de ses impacts, des solutions à mettre en oeuvre pour le maîtriser et de la nécessité de s’y adapter - sera au coeur du développement de nos sociétés au cours du XXIe siècle et au-delà.

En la matière, notre communauté scientifique a des certitudes. Depuis le début de l’ère industrielle, les quantités de gaz carbonique dans l’atmosphère ont augmenté de plus de 35 % ; elles ont progressé de près de 20 % pour le dioxyde d’azote et plus que doublé pour le méthane. Utilisation des combustibles fossiles, pétrole, gaz naturel, charbon, et modifications des pratiques agricoles, incluant la déforestation, en sont largement à l’origine.

Ces modifications de composés dits à « effet de serre » conduisent à une augmentation notable de la quantité de chaleur dans les basses couches de l’atmosphère. Certes, elles ne sont pas les seules à influencer notre climat, mais ce chauffage supplémentaire a pris le pas sur les autres causes de variations, qu’elles soient naturelles, telles les éruptions volcaniques et l’activité solaire, ou liées à la pollution par divers aérosols, qui ont plutôt tendance à refroidir.

Et qui dit chauffage supplémentaire, dit accroissement de la température. D’autant qu’existent des mécanismes d’amplification. Ainsi, la quantité de vapeur d’eau atmosphérique, elle-même gaz à effet de serre, augmente avec la température. Le réchauffement en est amplifié. Avec pour résultat un diagnostic clair : d’après le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat, le réchauffement est sans équivoque. L’attribuer aux activités humaines n’est pas une mince affaire. Mais de nouveau, c’est une certitude que nous réserve l’avenir, celle d’un climat plus chaud. Le réchauffement dépend de ce que nous allons émettre dans le futur et de la façon dont va réagir notre climat. Mais si nous continuons comme si de rien n’était, sa valeur moyenne pourrait atteindre 3 ºC, voire plus. Avec des réchauffements un peu plus importants dans nos régions, beaucoup plus en Arctique.

De nombreuses incertitudes subsistent sur l’ampleur future du réchauffement climatique, sur ses caractéristiques régionales, sur l’évolution des précipitations, des événements extrêmes, sur le risque de surprise, et bien entendu sur ses multiples conséquences. Cependant, il nous faut accepter une évidence : le réchauffement climatique est inéluctable. Et avoir à l’esprit sa rapidité : de par le monde, de nombreux écoliers et lycéens d’aujourd’hui entreront dans le prochain siècle… Mais nous pouvons encore agir pour en limiter l’importance et les conséquences les plus néfastes.

(*) Dernier ouvrage publié (avec Claude Lorius et Dominique Raynaud) : Planète blanche, Éditions Odile Jacob, 2008.

2. Une lenteur exaspérante

Comme beaucoup d’autres, je me suis investi, plein d’enthousiasme, dans le Grenelle de l’environnement. J’en ai apprécié l’état d’esprit constructif qui a permis d’aboutir à un ensemble solide de propositions. Ainsi, celles mises en avant par notre groupe climat-énergie me semblent de nature à mettre notre pays sur les rails de l’objectif qu’il a, en 2005, inscrit dans une loi : la division par quatre ou cinq des émissions des pays développés d’ici à 2050.

Cela va dans le bon sens. Les pays développés se doivent d’avoir des objectifs plus ambitieux que les pays émergents ou en voie de développement. Mais nous sommes loin du compte. Avec une division par deux des émissions mondiales, objectif rappelé dans cette loi, l’ambition louable affichée par l’Europe - réchauffement ne dépassant jamais 2 ºC par rapport au climat préindustriel - n’a que très peu de chances d’être atteinte. C’est une division par trois qu’il faudrait viser pour préserver cet objectif. Et cela n’évitera pas des conséquences déjà très dommageables dans beaucoup de régions.

Le message que nous, scientifiques, avons du mal à faire passer est celui de l’urgence. Nos émissions sont liées à la production d’énergie, aux infrastructures de transport, à la forme de nos villes, aux pratiques agricoles, toutes choses qui ne se modifient pas en quelques années. Et une division des émissions par trois d’ici à 2050, ou même par deux, requiert que celles-ci arrêtent d’augmenter d’ici à 2015. Au risque, sinon, de laisser aux jeunes un monde auquel ils ne pourront pas s’adapter. Immense défi, d’autant que les émissions ont augmenté très rapidement au cours des dernières années. Dans ce contexte, la lenteur de la mise en oeuvre des mesures prônées par le Grenelle est exaspérante, même si certaines - bonus-malus, prêt à taux zéro - ont vu le jour. Et puis, nombre de nos propositions sont pour le moins édulcorées. Inutile aussi de redire l’importance de la réunion que tiendra la convention climat à Copenhague. Il faudrait qu’elle aboutisse à un accord extrêmement ambitieux, mais les négociateurs ne semblent pas en prendre le chemin. Malgré une administration américaine désormais consciente du problème climatique et des vertus d’une société sobre en carbone.

C’est pourtant dans cette voie porteuse de développements technologiques, de créations d’emplois, et de changement de nos comportements, que nous devrions nous engouffrer. Les pays qui ne feront pas ce choix le regretteront dans une dizaine d’années. De plus en plus de voix s’élèvent : pour sortir de la crise économique, il faut parier sur un développement écologique. Je suis pleinement de cet avis.

3. Effet de serre : les défis de la décroissance

Face au réchauffement climatique, c’est une attitude de bon sens qu’ont eue, assez tôt, les hommes politiques. Si nous continuons à accumuler de la chaleur dans les basses couches de l’atmosphère, il est vain d’espérer que notre climat n’en soit pas affecté. Ceux qui nous gouvernent l’ont compris : dès 1992, à Rio, ils ont de façon quasi unanime signé la convention climat, dont l’objectif ultime est de stabiliser l’effet de serre. Peut-être n’ont-ils pas pris la mesure l’immense défi que cet objectif représente ? En tout cas, ils n’ont pas encore réussi à passer de la déclaration de principe de Rio à une politique crédible de lutte contre l’effet de serre. Le protocole de Kyoto - que n’ont pas ratifié les États-Unis - n’étant qu’un pas timide dans cette direction. En effet, le gaz carbonique contribue actuellement pour les trois quarts à l’augmentation de l’effet de serre. À long terme, la stabilisation de la température passe par celle de ce gaz dans l’atmosphère, même si, dans un premier temps, il est efficace et tout aussi impératif de jouer sur le méthane, redoutable par son effet de serre et qui en est éliminé beaucoup plus rapidement. Cela implique qu’à l’avenir nous n’émettions pas plus de gaz carbonique que végétation et océan ne sont capables d’en absorber ; là aussi, c’est du simple bon sens. Nous sommes loin du compte puisque, chaque année, les quantités absorbées sont à peine supérieures à la moitié de ce qui est émis. Et il ne faut pas espérer un miracle de Mère Nature. Au contraire, tout porte à croire que la capacité d’absorption, aussi bien de la végétation que de l’océan, sera plus faible dans un climat plus chaud.

L’effet de serre continuant à augmenter, le réchauffement est devenu inéluctable, d’autant qu’il se poursuivra pour quelques dixièmes de degré une fois celui-ci stabilisé. Et à l’évidence plus le réchauffement sera rapide et important, plus il sera difficile de s’y adapter. Voire impossible lorsque l’on réalise que certaines régions du globe sont déjà vulnérables au réchauffement tout juste naissant.

Un réchauffement qui ne dépasserait jamais 2 ºC par rapport au climat d’il y a deux cents ans devrait largement préserver les capacités d’adaptation des générations à venir. Pour avoir des chances sérieuses d’atteindre cet objectif, il faut qu’en 2050 les émissions de gaz à effet de serre soient divisées par trois par rapport à celles de 1990 et qu’elles continuent à diminuer par la suite. Oui, le double défi au niveau des émissions et de l’indispensable adaptation est immense. Et pourtant, certains scientifiques - tel Jim Hansen, qui en a convaincu Al Gore - pensent qu’il est loin d’être assez ambitieux. Probablement à juste titre, si l’on voulait éviter toute conséquence néfaste à long terme.

4. L’inéluctable montée des eaux

Il y a 125 000 ans, la Terre était quelque degré plus chaude qu’aujourd’hui, mais le niveau de la mer, de quatre à six mètres plus élevé. Pour une large part, cette montée des eaux est attribuée à une diminution du volume des calottes glaciaires.

Deux phénomènes contribuent à l’élévation du niveau de la mer, la dilatation des océans en réponse à leur réchauffement certes lent et irrégulier mais inexorable à mesure que l’atmosphère se réchauffe, et la fonte partielle des glaciers observée dans la plupart des régions montagneuses et, récemment, au Groenland et en Antarctique de l’Ouest. Le GIEC table sur une montée des eaux inférieure à soixante centimètres d’ici la fin du siècle. Mais, faute d’une évaluation fiable, ce chiffre ne prend que partiellement en compte le rôle potentiel des calottes glaciaires. Alors que certaines études indiquent qu’elles pourraient avoir une contribution importante conduisant à des élévations maximales du niveau de la mer proches de 2 mètres en 2100. Le débat est loin d’être clos, mais la différence est énorme si l’on songe qu’une élévation même limitée à 40 centimètres, valeur moyenne avancée par le GIEC, conduirait au moins cent millions de personnes à déménager de l’endroit où elles vivent. Autant de réfugiés climatiques supplémentaires.

Quelle que soit l’issue de ce débat, nous sommes certains que la montée des eaux se poursuivra de manière irréversible au cours des prochains siècles. Dans un climat plus chaud, la dilatation des océans est inéluctable et continue, une fois la température de l’atmosphère stabilisée. Le passé est là pour nous rappeler que la fonte des calottes glaciaires est extrêmement sensible à des réchauffements de quelques degrés. Il sera difficile d’échapper à une montée des eaux de plusieurs mètres d’ici quelques siècles et ces effets à long terme, catastrophiques, de nos activités d’aujourd’hui, sont de ceux qui m’inquiètent le plus.

Le réchauffement climatique aura beaucoup d’autres conséquences, négatives pour l’essentiel. Elles seront d’autant plus néfastes que ce réchauffement sera rapide et important, et qu’évolueront les extrêmes climatiques qui contribuent fortement aux dommages. Même s’il est difficile de prédire où et comment ces conséquences se réaliseront, on en connaît les grandes lignes : inondations dans certaines régions, sécheresse et accès à l’eau plus difficile dans d’autres, vagues de chaleur à répétition, risques de cyclones plus intenses, fonte de glaciers de montagne, accélération de la perte de la biodiversité, diminution des rendements agricoles au-delà d’un certain seuil de réchauffement, acidification de l’océan avec des risques accrus pour les massifs coralliens, conséquences sur la santé… Pour limiter ces impacts, c’est tout de suite qu’il faut agir.

5. Bouleversement d’échelle

Le scepticisme est légitime, y compris lorsqu’il s’agit d’un phénomène, celui du réchauffement climatique, dont l’analyse fait l’objet d’un très large consensus au sein de la communauté scientifique concernée. C’est à ceux persuadés que nous faisons face à un problème susceptible de remettre en cause le développement de nos sociétés – j’en fais partie – de convaincre. Pourquoi se préoccuper du réchauffement actuel puisque le climat a toujours changé ? Cet argument est souvent avancé par les sceptiques avec comme icône cette période autour de l’an mille dont le climat clément serait à l’origine de l’implantation des Vikings au Groenland. Ce rappel historique vise à rendre crédible l’idée que le réchauffement des dernières décennies serait d’origine naturelle, et non pas dû à l’homme… Pourtant les seules variations liées au soleil et aux volcans sont clairement incapables de l’expliquer. Ajoutons que si les fluctuations de l’activité solaire en étaient la seule cause nous devrions aussi l’observer dans les hautes couches de l’atmosphère. Or celles-ci se refroidissent comme l’on s’y attend si c’est l’effet de serre qui est à l’oeuvre. En fait, ce réchauffement récent ne s’explique que si l’on tient compte de l’augmentation de l’effet de serre liée aux activités humaines. Les arguments avancés pour conclure qu’il est, pour l’essentiel, lié à nos activités nous apparaissent fort bien étayés. Indéniablement, le passé est riche d’informations pertinentes pour l’évolution future de notre climat. Glaciologue, j’ai eu la chance de vivre, avec des collègues français et étrangers dont Claude Lorius et Dominique Raynaud, l’exaltante aventure des grands forages polaires. En Antarctique, l’analyse de glaces vieilles de jusqu’à 800 000 ans et des bulles d’air qui y sont piégées nous apprend que les variations de l’effet de serre ont participé aux grands changements climatiques du passé. Et qu’en raison de nos activités, cet effet de serre est aujourd’hui plus élevé qu’il ne l’a jamais été sur cette période. De leur côté, les glaces du Groenland mettent en évidence des variations climatiques importantes qui peuvent survenir en quelques années. Cette rapidité met en évidence la fragilité de notre climat et nous interpelle sur le risque de surprise climatique. Et puis les climats du passé mettent en lumière l’importance et la rapidité du réchauffement envisageable d’ici à la fin du siècle. Depuis le moment le plus froid de la dernière période glaciaire, il y a 20 000 ans, notre planète ne s’est réchauffée que de 5 à 6 degrés. Alors qu’il a fallu des milliers d’années pour sortir de manière naturelle de cette glaciation, l’homme est en passe d’imposer la moitié d’un tel changement en seulement cent ans. Cela fait froid dans le dos.

L'Humanité – Avril 2009
http://www.humanite.fr/

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