Le Covid-19 est le dernier exemple en date de maladies qui explosent à la faveur de la pression accrue des hommes sur leur environnement. Et qui se diffusent d’autant mieux que leur environnement est dégradé.
L’origine du coronavirus ? Il a été créé par les Américains pour affaiblir la Chine. Pas du tout ! Un grand labo a déposé un brevet dessus avant de le laisser s’échapper en vue d’encaisser les chèques du vaccin qu’il est en train de mettre au point…
Les démentis et les clarifications, comme ceux de l’Institut Pasteur ou les travaux de journalistes, comme cet article du Huffington Post, peinent à endiguer la dissémination de fake news complotistes. Elle est d’autant plus nourrie qu’il existe à Wuhan, capitale de la province du Hubei et épicentre de l’épidémie, un laboratoire de recherche biologique ultrasécurisé travaillant sur les virus les plus dangereux de la planète et construit en partenariat avec les Occidentaux, la France en particulier.
Le pangolin et la chauve-souris
Le Covid-19 est bien parti de Wuhan et des hommes en sont bien à l’origine. Mais la cause est plus triviale que dans les romans. Plus bêtement, un ou des contacts entre des animaux sauvages infectés par le Sars-CoV2 et des individus parmi ceux qui les ont capturés, transportés, vendus ou achetés.
Wuhan, comme d’autres sites en Chine, accueille un gigantesque marché – aujourd’hui fermé – où l’on trouve toutes les bestioles possibles pour satisfaire tous les goûts alimentaires possibles : serpents, chiens, civettes, pangolins… Dans le cas présent, le coupable serait ce petit mammifère à écailles très prisé des Asiatiques, l’une des espèces les plus braconnées au monde et en voie d’extinction.
Pour vivre, un virus a besoin d’un hôte pouvant l’héberger sans se faire tuer. On l’appelle réservoir. Dans le cas du coronavirus, mais aussi du virus Ebola et d’autres pathogènes, le réservoir le plus évident est la chauve-souris. Ce mammifère est très doué pour cohabiter avec toutes sortes d’organismes nuisibles pour d’autres… et vit souvent à proximité des hommes.
Cependant, les caractéristiques génétiques du virus porté par la chauve-souris sont telles que sa transmission à l’homme est impossible. Elle s’est donc faite via un animal intermédiaire auquel le virus a pu s’adapter. En 2002, une première épidémie de Sras (syndrome respiratoire aigu sévère) ou Sars, en anglais, avait émergé en Chine, avant de s’étendre l’année suivante dans le reste du monde. L’agent responsable était là encore un coronavirus, baptisé Sars-Cov1. Et là encore les marchés aux animaux de Chine continentale étaient derrière cette épidémie de pneumonie virale. A l’époque, la civette avait été identifiée comme le chaînon entre le réservoir naturel du virus et l’homme.
Un enjeu croissant de santé publique
Hier les civettes, aujourd’hui les pangolins… Mais peu importe au fond par qui le malheur arrive : on parle d’une seule et même réalité, celle de maladies dites zoonotiques (transmises à l’homme par un animal) qui se multiplient depuis plusieurs décennies à la suite de contacts plus ou moins directs avec des animaux sauvages normalement porteurs de pathogènes. Sida, Ebola, Sras sont des célébrités, mais il y en a beaucoup d’autres.
Les maladies infectieuses émergentes, c’est-à-dire qui apparaissent pour la première fois ou réapparaissent alors qu’elles avaient disparu depuis longtemps, sont devenues un enjeu majeur de santé publique et mobilisent de plus en plus la communauté scientifique et médicale internationale. En 1995, le site spécialisé PubMed référençait une centaine de publications sur ce sujet, un chiffre passé à près de 2800 en 2017. Toute cette littérature souligne la place prépondérante des zoonoses dans ces maladies nouvelles.
En 2008, un article de la revue Nature avait dénombré plus de 330 maladies ayant « émergé » depuis 1940, à un rythme quatre fois plus rapide à la fin du XXe siècle qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. La majorité (60 % selon cet article, mais beaucoup avancent des chiffres supérieurs) étaient des zoonoses et, parmi celles-ci, 72 % étaient issues du la faune sauvage. L’essor des élevages industriels, avec un contrôle et une hygiène qui peuvent faire défaut, avec des animaux stressés, confinés, astreints à des régimes alimentaires simplifiés, dont les défenses immunitaires sont par conséquent affaiblies ou artificiellement dressées par l’usage massif d’antibiotiques – qui en retour posent de redoutables problème de résistance des agresseurs –, n’est donc pas seul en cause.
Un monde hyper connecté
Mais pourquoi le monde sauvage – ou celui qui subsiste dans les zones tropicales – se rappelle-t-il ainsi au bon souvenir d’une humanité qui n’a fait que s’en éloigner ? Ces maladies véhiculées par les animaux de la forêt ou de la savane n’ont-elles pas toujours existé ? N’ont-elles pas toujours été contractées par des chasseurs accidentellement mordus, griffés, blessés ?
« Autrefois, un chasseur pouvait ramener une maladie au village, il y avait des morts, mais le virus ne se serait probablement pas déplacé beaucoup plus loin, explique Rodolphe Gozlan, directeur de recherches à l’institut de recherche pour le développement (IRD). Aujourd’hui, on est immédiatement confronté à l’épidémie parce que la connexion entre les gens est infiniment plus importante. Dans les zones tropicales, la pression sur l’environnement est de plus en plus forte, de plus en plus régulière. Et on ramène des maladies non plus dans des villages mais dans des villes dont la population a explosé, et qui sont de plus en plus en contact avec le reste d’un monde hyperconnecté. » En outre, ajoute le chercheur, les systèmes immunitaires de beaucoup d’habitants de ces zones de contact sont souvent affaiblis, du fait de la pauvreté ou de la pollution de l’air (comme à Wuhan), ce qui facilite l’expression des pathogènes et donc leur transmission.
La pression humaine sur la faune sauvage ne se résume pas à des fantaisies gastronomiques ou à des croyances dans des vertus érotiques qui désignent les classes moyennes et aisées asiatiques comme les coupables habituels. Selon le rapport mondial sur la biodiversité publié en mai dernier par l’IPBES, l’alimentation de 350 millions de personnes à faibles revenus dans les pays en développement dépend des produits issus de la forêt. Sous les tropiques, ce seraient six millions de tonnes d’animaux sauvages qui seraient ainsi abattus chaque année. La consommation de « viande de brousse » n’est pas qu’un fait culturel, c’est aussi une source de protéines qui contribue à la sécurité alimentaire de populations toujours plus nombreuses, particulièrement en Afrique, foyer également de nombreuses zoonoses.
Le rôle du déboisement
Les prélèvements de faune sauvage représentent, selon l’IPBES, le deuxième facteur de perte de biodiversité terrestre après la destruction des habitats naturels. Cette destruction, due pour l’essentiel aux déboisements pour étendre les surfaces agricoles, est également un facteur de dissémination des pathogènes. Rodolphe Gozlan : « Quand on déforeste, on ne fait pas juste qu’abattre des arbres. On modifie un habitat dans lequel vivaient des animaux porteurs. Cette faune se redistribue dans des zones auxquelles l’homme va accéder beaucoup plus facilement, ce qui crée des fronts de contact beaucoup plus importants et ce qui va donc permettre de ramener vers les villes ces réservoirs viraux et bactériens. »
De nombreuses recherches établissent des liens entre la fragmentation et la destruction des forêts et la diffusion de maladies, zoonotiques ou non : maladie de Lyme en Amérique du Nord, leishmaniose au Costa-Rica, paludisme dans les zones tropicales (les moustiques appréciant les espaces humides ouverts aux rayons du soleil)... « Il ne s’agit pas de protéger ces forêts uniquement parce qu’il y a de beaux papillons. Ce sont aussi des barrières sanitaires pour les populations », souligne Rodolphe Gozlan, qui écrit dans The Conversation : « dans les îles de Sumatra, la migration des chauves-souris fruitières causée par la déforestation dû aux incendies de forêt a conduit à l’émergence de la maladie de Nipah chez les éleveurs et les personnels des abattoirs en Malaisie. »
D’une façon générale, les perturbations des écosystèmes, qu’elles soient liées à des changements d’usages des sols ou aux conditions climatiques, tendent à modifier la distribution des organismes pathogènes et leur hôtes. On sait que de nombreuses épidémies (malaria, fièvre de la vallée du Rift, dengue…) sont favorisées par des événements climatiques dont la fréquence pourrait croître avec le réchauffement global.
Déjà, « l’augmentation des températures moyennes aurait eu un effet significatif sur l’incidence de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo, causée par un virus transmis par les tiques, ainsi que sur la durabilité du virus Zika, transmis par les moustiques dans les régions subtropicales et tempérées », écrit encore Rodolphe Gozlan. Des pathologies pourraient ainsi s’étendre au-delà des zones tropicales avec l’élévation des températures et les modifications des précipitations. Dans les zones septentrionales, la fonte des sols gelés en permanence pourrait de même libérer des pathogènes disparus, dont l’anthrax.
Retour de manivelle
Le coronavirus, comme la plupart des autres maladies émergentes, c’est le retour de manivelle de la nature. Qui peut inversement protéger les humains si on sait la protéger. La recherche a mis en évidence le rôle joué par la diversité des espèces pour freiner la transmission des pathogènes. Exemple, la maladie de Lyme aux Etats-Unis, qui circule grâce aux tiques transportés par des souris : on en trouve beaucoup moins là où il existe d’autres animaux porteurs mais capables de s’en débarrasser, comme l’opossum de Virginie. Ou encore, la bilharziose : « la transmission à l’homme de cette maladie parasitaire, qui affecte 200 000 personnes dans le monde, peut être largement réduite par la présence de certaines espèces d’escargots qui sont des hôtes pour ce parasite, mais qui sont très incompétents pour le transmettre », indique le chercheur de l’IRD. Une plus grande biodiversité favorise ainsi cet « effet de dilution » des pathogènes chez des hôtes qui n’infecteront pas l’homme.
« Le jour d’après, quand nous aurons gagné, ce ne sera pas un retour au jour d’avant. Nous aurons appris et je saurai aussi avec vous en tirer les conséquences, toutes les conséquences », a solennellement déclaré Emmanuel Macron dans son discours aux Français le 16 mars dernier. Aurons-nous appris que cette crise est fondamentalement une crise écologique globale ? Et en tirerons-nous les conséquences, toutes les conséquences ?
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