"Le motif de base de la résistance était l'indignation. Nous vétérans des mouvements de résistance et des forces combattantes de la France libre, nous appelons les jeunes générations à faire vivre, transmettre, l'héritage de la résistance et ses idéaux. Nous leur disons : prenez le relais, indignez-vous ! Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l'ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l'actuelle dictature des marchés financiers qui menacent la paix et la démocratie.

Je vous souhaite à tous, à chacun d'entre vous d'avoir votre motif d'indignation. C'est précieux."

Stéphane Hessel

mercredi 18 mai 2016

Le projet économique de Juppé est une régression. C'est un programme de lutte des classes

Les candidats à la primaire de la droite et du centre précisent leurs intentions en matière économique. Comme la plupart de ses adversaires, Alain Juppé, qui vient de présenter son projet, opte pour des mesures radicales résolument libérales. Une erreur, pour Henri Sterdyniak, co-animateur des Économistes atterrés. Car "cette politique a montré qu'elle ne fonctionnait pas", explique-t-il.

Édité par Sébastien Billard


S’appuyant sur l’échec du quinquennat de François Hollande, la droite propose aujourd’hui un programme profondément réactionnaire, un retour en arrière par la mise en cause méthodique de l’État social, tant par la baisse des dépenses publiques et de la redistribution que par l’affaiblissement du droit du travail et le renoncement à la transition écologique.

Nous souffrons toujours des suites de la crise financière

Les difficultés de la France viennent-elles, comme les économistes bien en cour et les sociologues de médias le prétendent, de trop de socialisme ou d’étatisme ?

C’est oublier d’abord que tous les pays développés souffrent encore des suites de la crise financière, que cette crise n’était pas due à trop de socialisme, mais à l’avidité, à l’aveuglement des marchés financiers.

C’est oublier que le capitalisme financier d’aujourd’hui génère des déséquilibres profonds dont souffrent toutes les économies développées : la victoire du capital sur le travail permise par la mondialisation, la recherche effrénée de compétitivité, la hausse des inégalités de revenu induisent un déficit global de demande dont témoignent les bas taux d’intérêt et d’inflation, la demande doit être soutenue par des bulles financières ou des hausses insoutenables de l’endettement privé ou public ; la dégradation de la situation de l’emploi permet aux entreprises de faire pression sur les salaires et les conditions de travail des salariés, le travail précaire se développe, la cohésion sociale est mise à mal.

Enfin, le refus d’intégrer sérieusement les contraintes écologiques entraîne la planète vers la catastrophe écologique. Faut-il que la France se donne l’objectif de se caler sur le modèle libéral-productiviste ? Faut-il sauter dans un train qui court à la catastrophe ?

Hollande a pratiqué une politique libérale, sans résultat

François Hollande n’a pas été capable d’impulser un nouveau modèle de croissance. Il n’a pas voulu rompre avec une politique européenne qui reposait sur le diptyque "austérité budgétaire/réformes libérales". Aussi a-t-il constamment pratiqué une politique budgétaire restrictive qui a certes réduit le déficit public, mais en brisant la croissance.

Il n’a pas tenté une politique industrielle novatrice reposant sur une impulsion publique forte pour engager la transition écologique, sur la participation des salariés et des citoyens aux décisions des entreprises, sur une réorientation de l’activité des banques hors des marchés financiers vers le crédit aux activités productrices.

Il s’est lancé dans une stratégie de complaisance vis-à-vis des revendications du patronat, oubliant la responsabilité de celui-ci dans la désindustrialisation et la financiarisation de l’économie, prétendant reconstituer leurs marges par des baisses d’impôts financées par des baisses de dépenses publiques, acceptant leur discours : "c’est le droit du travail qui est responsable du chômage".

Cela pour un résultat médiocre. Et le patronat en demande toujours plus.

Il s'agit de prolonger la politique de Hollande-Valls-Macron

Les candidats de la droite refusent de reconnaître la responsabilité du libéralisme dans la crise financière, économique et sociale. Ils retournent à un mythe éculé : supprimons les réglementations, faisons baisser les coûts salariaux, augmentons la durée du travail, diminuons la protection sociale et les impôts, et l’économie livrée à elle-même connaîtra une croissance équilibrée, juste et efficace.

Ils oublient que c’est l’instabilité, l’inefficacité et l’injustice du libéralisme qui ont rendu nécessaire l’intervention publique. Comme les émigrés de retour de Coblence en 1815, ils n’ont rien appris.

Il s’agit donc de rivaliser de propositions libérales, en rien novatrices, celles qui traînent depuis toujours au Medef, chez les hauts fonctionnaires de Bercy, au club Le siècle et autres dîners parisiens. Il s’agit de prolonger la politique de Hollande-Valls-Macron, en en faisant simplement davantage.

Prenons l’exemple du programme "modéré" d’Alain Juppé. Que propose-t-il ?

1. Supprimer l'ISF

Supprimer l’ISF, qui nuirait à l’investissement, bien qu’il ne frappe pas les biens professionnels de sorte que les dirigeants d’entreprises y échappent. N’est-il pas juste que ceux qui ont un patrimoine important, qui bénéficient ainsi fortement des dépenses publiques en supportent (un peu) les coûts de fonctionnement ?

Faut-il céder au chantage et ne pas faire payer d’impôt à ceux qui peuvent se réfugier à l’étranger ? Ne faut-il pas au contraire se battre en Europe et dans le monde pour augmenter la taxation sur les plus riches ? Ne faudrait-il pas priver du droit de vote les Français qui se réfugient à l’étranger pour échapper à l’impôt ?

2. Réduire la taxation des revenus de capital

Il entend réduire fortement la taxation des revenus du capital comme s’il n’était pas normal que les revenus du capital contribuent comme ceux du travail aux dépenses publiques et sociales, comme s’il fallait augmenter les inégalités de revenu.

3. Plafonner les prestations de solidarité

En sens inverse, plafonner les prestations de solidarité, avec l’argument mensonger et maintes fois démenti qu’elles sont plus élevées que les revenus du travail. Créer une allocation sociale unique, comme le propose l’IFRAP, avec une baisse de revenu importante pour les familles, de l’ordre de 20% pour une famille au RSA.

La France doit-elle se donner comme objectif de plonger encore davantage d’enfants dans la pauvreté ? En sens inverse, le plafond du quotient familial serait augmenté. Bref, prendre aux pauvres pour donner aux riches.

4. Accepter toutes les exigences du patronat

Peut-on prétendre favoriser le dialogue social dans les entreprises tout en affaiblissant les syndicats, en augmentant les seuils sociaux, en permettant aux chefs d’entreprises de modifier la réglementation du travail sans consulter les syndicats mais simplement un salarié désigné par ses collègues, laissant le champ libre aux pressions du chef d’entreprise ?

5. Passer aux 39 heures

La durée légale du travail passerait à 39 heures, ce qui veut dire une baisse de salaire de 2,5% pour ceux qui travaillent déjà à cet horaire. Cela veut dire aussi que les entreprises seraient incitées à faire travailler plus longtemps leurs salariés au lieu d’embaucher.

6. Assouplir les conditions de licenciement

Le CDI serait sécurisé (pour les entreprises) : les entreprises pourraient prévoir dans le contrat de travail des conditions de licenciement que les salariés pourraient (librement) accepter (sous la menace de ne pas être embauché). Il suffirait que ces conditions soient suffisamment larges pour que le CDI soit totalement insécurisé pour les travailleurs.

7. Plafonner les indemnités aux prud'hommes

Les indemnités aux prud’hommes seraient plafonnées, comme le souhaitait Macron, même si le débat a bien prouvé que le recours aux prud’hommes à la suite d’un licenciement économique était peu fréquent et que les indemnités n’étaient pas élevées, sauf cas très particulier.

8. Rétablir la dégressivité des allocations chômage

La dégressivité des allocations chômage serait rétablie bien que les partenaires sociaux l’aient supprimée, vu son impact nul sur le retour à l’emploi. Est-ce une mesure de justice quand le taux de chômage est élevé, que ce n’est pas le désir de travailler de chômeurs qui fait défaut, mais bien les emplois offerts ?

9. Porter l'âge de le retraite à 65 ans

L’âge de la retraite serait rapidement porté à 65 ans, sans tenir compte de la situation de l’emploi (des jeunes et des seniors), ni de la longueur et de la pénibilité de la carrière.

Certes, le taux d’activité des seniors a fortement augmenté depuis 2008, malgré la crise, mais le report de l’âge de la retraite s’est traduit aussi par une baisse de l’emploi des jeunes et une hausse du chômage des seniors. Faut-il en faire plus quand les emplois disponibles ne sont pas là ?

10. Réductions d’impôts sur les entreprises, hausse de la TVA

Les politiques qui n’ont guère fonctionné seront poursuivies et amplifiées : nouvelles baisses de cotisations sur les bas salaires (pour inciter les entreprises à offrir des emplois précaires sans perspectives de carrière), nouvelles réductions d’impôts sur les entreprises (26 milliards après les 40 milliards de Hollande) et hausse de la TVA (pour faire payer cette hausse par les ménages, et surtout par les plus pauvres).

11. Réduire les dépenses publiques de 85 milliards

Baisse de 85 milliards des dépenses publiques (mieux que Hollande cette fois qui n’aura fait qu’une baisse de 50 milliards), avec des baisses fortes mais non explicitées en matière de nombres de fonctionnaires (sauf éducation, justice, police, défense, nous dit Juppé, que reste-t-il ? Réduire le nombre de fonctionnaires qui luttent contre la fraude fiscale, ceux de l’Inspection du travail, ceux de la Culture, etc. ?).

Sachant que la France a besoin de 2 millions d’emplois supplémentaires, faut-il commencer par en supprimer 250.000 ? Et ne faut-il pas se poser la question : les emplois dans la culture, la santé, l’éducation, la garde d’enfant ne sont-ils pas plus utiles que beaucoup d’emplois privés (publicitaires, traders, communicants, vendeurs d’assurances ou de complémentaires santé, etc.).

12. Privilégier une politique budgétaire restrictive

Globalement cette politique serait dépressive. L’effet des 85 milliards de baisse des dépenses publiques l’emporterait sur celui des 28 milliards de baisse d’impôt, soit un choc négatif de 2,5% du PIB si cette baisse des dépenses publiques était mise en œuvre.

C'est à peu près le même effet dépressif que celui du programme que Hollande annonçait en 2012 et le même aveuglement : annoncer une politique budgétaire restrictive sans évaluer son impact sur la croissance.

Un programme de lutte des classes

Juppé doit donc compter sur un miracle. La joie des riches qui n’auront plus à payer l’ISF, qui auront de fortes baisses de l’impôt sur le revenu de leur patrimoine ; le soulagement des chefs d’entreprises qui seront les maîtres chez eux permettraient de relancer la production malgré l’insécurité ainsi créée pour les salariés, les pertes de pouvoir d’achat pour les plus pauvres, et aux pertes de possibilités d’emplois pour les jeunes et les chômeurs.

Oui, c’est bien un programme de lutte des classes que Juppé nous propose.

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