Je ne me suis pas exprimé, sur ce blog, sur les événements qui se passent en ce moment aux Antilles car j'ai préféré rester observateur attentif d'un mouvement essentiel qui marque un tournant capital dans notre société française. J'ai observé avec admiration l'unité et la force, de mes compatriotes d'outre-mer, pour maintenir, dans la durée et de manière populaire, un mouvement social, légitime, contre les profitations. Mais, à l'heure où les principales revendications semblent avoir été prisent en compte en Guadeloupe, j'observe que ce mouvement a également rouvert le débat sur une blessure qui n'avait jamais vraiment cicatrisée depuis l'abolition de l'esclavage et qui fausse, depuis, les relations entre blancs et noirs.
Vous ne voyez pas où je veux en venir ? Alors laissez moi vous raconter cette petite histoire qui m'est arrivé. Cette petite histoire, je n'arrête pas de la raconter dès que je le peux, car je pense qu'elle est significative des mécanismes qui sont en œuvre en France (métropole et DOM-TOM) et qui maintiennent, en filigrane, une ségrégation sournoise dans notre pays.
Voici mon histoire. Mon épouse et moi-même avons créé ce qu'il est de bon ton d'appeler un couple mixte Guadeloupe-Métrople. Aussi, chez nous, nous regardions beaucoup RFO avant que cela ne devienne la triste "France ô". J'ai, de plus, été élevé (ainsi que mon frère et ma soeur de sang) dans le milieu des "cathos de gauche" et antiracistes. J'ai eu deux frères accueillis, l'un venait (il est décédé maintenant) d'Algérie et qui était musulman, et un autre frère, qui était un réfugié de la guerre du Cambodge, qui est plutôt de culture bouddhiste. Ce petit panorama pour dire que l'on ne peut pas franchement me traiter de raciste. La vie avec d'autres cultures et d'autres couleurs m'est familier et nécessaire. Et bien laissez-moi vous raconter cette petite anecdote. Un soir j'étais en train de regarder les infos sur RFO et il y avait un homme politique, noir, qui disait des choses très sérieuses et très intéressantes. Moi il me faisait marrer ! Tout d'un coup je me suis regardé moi-même et je me suis violement demandé pourquoi je rigolais ?!?! J'ai alors réfléchi et je me suis aperçu - je n'en tire aucune gloire, croyez-le bien ! - qu'il me faisait marrer parce qu'il était noir et qu'il avait un fort accent des îles. Alors quoi ? Moi l'antiraciste j'avais ce genre de pensées : Un noir avec un accent ne pouvait être pris au sérieux ! P'tain, je me suis vraiment déçu. J'étais vraiment abattu. Puis j'ai réfléchi et je me suis rendu compte qu'en France (mais c'est valable pour toute autre civilisation) nous sommes tous clapis de culture collective qui remonte à très loin. Cette culture collective est distillée, en dose homéopathique, dans nos idées, tous les jours, sans que l'on ne s'en rendent vraiment compte (*). Ainsi nous avons eu, entre autres choses peu glorieuses, l'esclavage et le colonialisme. Nous n'avons jamais exorcisé et assumé cela, je veux dire collectivement. Ces périodes restent dans notre tête, encrées comme un pou sur un cheveu, comme un morpion sur un poil pubien. Alors j'ai décidé de faire mon "comming out" du colonialisme et de l'esclavage. J'ai décidé de dire à voix haute, dans un acte volontaire et purgatoire, d'abord pour moi, puis pour tous ceux qui souhaitaient l'entendre, que j'étais l'héritier de cette histoire. Héritier certes, mais avec les mains blanches (au sens propre comme au figuré) et que je ne pouvais rien y changer. En revanche la seule chose que je pouvais faire était d'en être conscient et de refuser, ouvertement, que les fantômes du passé ne pourrissent mon esprit. Je décidais de me libérer de cette culture collective. J'étais libre de choisir ma culture, de choisir ce que je trouvais important ou détestable. Et depuis je vais bien. Je n'ai plus jamais cette petite supériorité blanche qui s'imposait à moi. Je suis libre ! Plus rien ne m'empêche de voir en mon frère, issu d'un ailleurs, un égal à moi-même. Je ne me sens plus petit blanc supérieur … je ne me sens pas non plus complexé d'être blanc, je suis juste l'égal, ni plus ni moins, de tout être humain qui habite cette planète que j'aime tant.
Voila mon histoire. Et depuis, je pense que la France n'a jamais fait son "comming out" et qu'elle devrait le faire. Je pense que reconnaître ouvertement que l'on possède, en nous et malgré nous, ces idées peu glorieuses, peut aider grandement à lutter puis à oeuvrer pour arriver au vrai métissage.
Pour conclure, il est toujours amusant de remarquer que lorsque je raconte cela à mes compatriotes blancs et antiracistes, ils me prennent pour un doux-dingue ... mais ils reviennent tous, quelques jours après, en me disant qu'ils ont réfléchi à ma petite histoire et que celle-ci à fait son chemin et qu'elle leur a ouvert les yeux sur une partie d'eux même qu'ils ne connaissaient pas, et qu'ils ont depuis combattu.
Alors oui je pense que ce qui est en train d'être dit aux Antilles sur cette ségrégation, qui est toujours en place, est une réalité qui dépasse les plages de Guadeloupe et de Martinique pour être aussi dénoncée en Métropole. Je pense que la question est enfin ouvertement posée. Le loup est enfin débusqué et nous nous devons de réfléchir collectivement sur notre passé commun, sur notre vision que nous avons de l'autre, sur nos rancœurs et nos minableries. Nous devons profiter que la blessure est enfin à jour pour accepter notre passé, notre couleur afin de dépasser tout cela pour enfin vivre, suivant notre devise nationale, libre, égaux et fraternels. J'attends donc avec impatience et plein d'espoir les états généraux de l'outre-mer en souhaitant des discutions avec de la hauteur, sans tabou ni haine.
(*) : Pour exemple : Mon frère me faisait remarquer, un soir de février 2009, une pub pour Nouvelles Frontières où l'on voit une succession de lieux peuplés d'hommes de couleurs. Cette succession de lieux est liée par un fil rouge. Le message est clair et potentiellement beau, puisqu il semble être dit que l'ensemble de l'humanité, répartie sur l'ensemble de la planète, est lié. Les voyages, révélant ces liens, favoriseraient les échanges culturels, la connaissance de l'autre et donc la paix. Mais comme dans toutes chose, le défit n'est pas de lire ce qui est écrit mais de décrypter ce qui n'est pas dit. Là, en l'occurrence, ce qui n'est pas dit c'est la volonté de maintenir un certain ordre établi, car qu'y voit-on ? On y voit des gens de toutes les couleurs, dans des pays pauvres mais à potentiel touristique, et une séquence de gamins blancs s'ébattant dans une belle piscine (d'hôtel). En bien j'affirme que par ce genre de montage on maintien la ségrégation entre les blancs et les noirs, car qui es-ce qui à le droit au luxe et à l'oisiveté ? C'est une fois de plus les blancs. On pourrait, également, rajouter une réalité qui consiste à remarquer que plus on monte en hiérarchie, dans notre pays (DOM et Métropole), plus la couleur de peau blanchit, pour ne plus former qu'une blanche élite masculine ... sans que cela ne provoque beaucoup de rebellions au sein de notre société. Cela doit sembler normal et dans l'ordre des choses ... On peut multiplier les exemples à l'infini, en citant, par exemple les pubs, en métropole, qui ne montre que des familles bien blanches maintenant l'idée d'une France uniquement blanche.
Vous ne voyez pas où je veux en venir ? Alors laissez moi vous raconter cette petite histoire qui m'est arrivé. Cette petite histoire, je n'arrête pas de la raconter dès que je le peux, car je pense qu'elle est significative des mécanismes qui sont en œuvre en France (métropole et DOM-TOM) et qui maintiennent, en filigrane, une ségrégation sournoise dans notre pays.
Voici mon histoire. Mon épouse et moi-même avons créé ce qu'il est de bon ton d'appeler un couple mixte Guadeloupe-Métrople. Aussi, chez nous, nous regardions beaucoup RFO avant que cela ne devienne la triste "France ô". J'ai, de plus, été élevé (ainsi que mon frère et ma soeur de sang) dans le milieu des "cathos de gauche" et antiracistes. J'ai eu deux frères accueillis, l'un venait (il est décédé maintenant) d'Algérie et qui était musulman, et un autre frère, qui était un réfugié de la guerre du Cambodge, qui est plutôt de culture bouddhiste. Ce petit panorama pour dire que l'on ne peut pas franchement me traiter de raciste. La vie avec d'autres cultures et d'autres couleurs m'est familier et nécessaire. Et bien laissez-moi vous raconter cette petite anecdote. Un soir j'étais en train de regarder les infos sur RFO et il y avait un homme politique, noir, qui disait des choses très sérieuses et très intéressantes. Moi il me faisait marrer ! Tout d'un coup je me suis regardé moi-même et je me suis violement demandé pourquoi je rigolais ?!?! J'ai alors réfléchi et je me suis aperçu - je n'en tire aucune gloire, croyez-le bien ! - qu'il me faisait marrer parce qu'il était noir et qu'il avait un fort accent des îles. Alors quoi ? Moi l'antiraciste j'avais ce genre de pensées : Un noir avec un accent ne pouvait être pris au sérieux ! P'tain, je me suis vraiment déçu. J'étais vraiment abattu. Puis j'ai réfléchi et je me suis rendu compte qu'en France (mais c'est valable pour toute autre civilisation) nous sommes tous clapis de culture collective qui remonte à très loin. Cette culture collective est distillée, en dose homéopathique, dans nos idées, tous les jours, sans que l'on ne s'en rendent vraiment compte (*). Ainsi nous avons eu, entre autres choses peu glorieuses, l'esclavage et le colonialisme. Nous n'avons jamais exorcisé et assumé cela, je veux dire collectivement. Ces périodes restent dans notre tête, encrées comme un pou sur un cheveu, comme un morpion sur un poil pubien. Alors j'ai décidé de faire mon "comming out" du colonialisme et de l'esclavage. J'ai décidé de dire à voix haute, dans un acte volontaire et purgatoire, d'abord pour moi, puis pour tous ceux qui souhaitaient l'entendre, que j'étais l'héritier de cette histoire. Héritier certes, mais avec les mains blanches (au sens propre comme au figuré) et que je ne pouvais rien y changer. En revanche la seule chose que je pouvais faire était d'en être conscient et de refuser, ouvertement, que les fantômes du passé ne pourrissent mon esprit. Je décidais de me libérer de cette culture collective. J'étais libre de choisir ma culture, de choisir ce que je trouvais important ou détestable. Et depuis je vais bien. Je n'ai plus jamais cette petite supériorité blanche qui s'imposait à moi. Je suis libre ! Plus rien ne m'empêche de voir en mon frère, issu d'un ailleurs, un égal à moi-même. Je ne me sens plus petit blanc supérieur … je ne me sens pas non plus complexé d'être blanc, je suis juste l'égal, ni plus ni moins, de tout être humain qui habite cette planète que j'aime tant.
Voila mon histoire. Et depuis, je pense que la France n'a jamais fait son "comming out" et qu'elle devrait le faire. Je pense que reconnaître ouvertement que l'on possède, en nous et malgré nous, ces idées peu glorieuses, peut aider grandement à lutter puis à oeuvrer pour arriver au vrai métissage.
Pour conclure, il est toujours amusant de remarquer que lorsque je raconte cela à mes compatriotes blancs et antiracistes, ils me prennent pour un doux-dingue ... mais ils reviennent tous, quelques jours après, en me disant qu'ils ont réfléchi à ma petite histoire et que celle-ci à fait son chemin et qu'elle leur a ouvert les yeux sur une partie d'eux même qu'ils ne connaissaient pas, et qu'ils ont depuis combattu.
Alors oui je pense que ce qui est en train d'être dit aux Antilles sur cette ségrégation, qui est toujours en place, est une réalité qui dépasse les plages de Guadeloupe et de Martinique pour être aussi dénoncée en Métropole. Je pense que la question est enfin ouvertement posée. Le loup est enfin débusqué et nous nous devons de réfléchir collectivement sur notre passé commun, sur notre vision que nous avons de l'autre, sur nos rancœurs et nos minableries. Nous devons profiter que la blessure est enfin à jour pour accepter notre passé, notre couleur afin de dépasser tout cela pour enfin vivre, suivant notre devise nationale, libre, égaux et fraternels. J'attends donc avec impatience et plein d'espoir les états généraux de l'outre-mer en souhaitant des discutions avec de la hauteur, sans tabou ni haine.
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(*) : Pour exemple : Mon frère me faisait remarquer, un soir de février 2009, une pub pour Nouvelles Frontières où l'on voit une succession de lieux peuplés d'hommes de couleurs. Cette succession de lieux est liée par un fil rouge. Le message est clair et potentiellement beau, puisqu il semble être dit que l'ensemble de l'humanité, répartie sur l'ensemble de la planète, est lié. Les voyages, révélant ces liens, favoriseraient les échanges culturels, la connaissance de l'autre et donc la paix. Mais comme dans toutes chose, le défit n'est pas de lire ce qui est écrit mais de décrypter ce qui n'est pas dit. Là, en l'occurrence, ce qui n'est pas dit c'est la volonté de maintenir un certain ordre établi, car qu'y voit-on ? On y voit des gens de toutes les couleurs, dans des pays pauvres mais à potentiel touristique, et une séquence de gamins blancs s'ébattant dans une belle piscine (d'hôtel). En bien j'affirme que par ce genre de montage on maintien la ségrégation entre les blancs et les noirs, car qui es-ce qui à le droit au luxe et à l'oisiveté ? C'est une fois de plus les blancs. On pourrait, également, rajouter une réalité qui consiste à remarquer que plus on monte en hiérarchie, dans notre pays (DOM et Métropole), plus la couleur de peau blanchit, pour ne plus former qu'une blanche élite masculine ... sans que cela ne provoque beaucoup de rebellions au sein de notre société. Cela doit sembler normal et dans l'ordre des choses ... On peut multiplier les exemples à l'infini, en citant, par exemple les pubs, en métropole, qui ne montre que des familles bien blanches maintenant l'idée d'une France uniquement blanche.
2 commentaires:
Toutes les pubs sont faites de cliche... et on voit bien dans les films, il y a le noir de service ou autre. Il y a aussi dans les films d'action la connasse qui se fait capturer parce qu'elle n'est pas restee cachee la ou on lui avait dit.
Sur l'accent je te rejoins mais il ne faut pas se flageller pour autant. Il est difficile de prendre au serieux des gens qui ont des forts accents. Regarde l'accent Marseillais... ca n'aide pas... ca fait sympa, soleil...
Je ne suis pas sur que cela soit la couleur de peau qui t'ai fait rire mais peut etre juste l'accent.. et peut etre que le mec avait une drole de tete.
Pasqua a un accent marrant et une tete de tortue... il me fait rire sauf quand j'ecoute ce qu'il dit mais c'est une autre histoire.
Il ne faut pas arriver comme aux US ou on ne peut plus faire de blague ou rire de peur de passer pour un raciste (on se le reserve en prive entre blancs bien sur). Sous pretexte que la personne est noire je devrais me sentir coupable de rigoler a son accent et sa tete de tortue ?
Cependant je suis d'accord avec toi sur une certaine condescendance que meme des gens comme nous qui sont clairement anti raciste peuvent avoir.
Je suis marie a une Asiatique et les cliche vont bon train... ce qui m'ennerve c'est surtout la fausse tolerance des gens. Quand ils ne comprennent ou ne cherchent pas a comprendre ils disent (en face) oui ils sont differents.. c'est pas pareil... (mais derriere, t'as vu comment etc...). Le citoyen moyen de tout pays et toute couleur est raciste.
La France n'a jamais ete tres forte pour reconnaitre son histoire. Peut etre qu'un jour on saura vraiment ce qu'il s'est passe pendant la guerre d'Algerie.
Pendant la guerre tout les Francais etait des resistants c'est bien connu.
Et je ne connais personne qui n'a jamais fait reference a des exclaves utilises par des ancetres... ca n'est jamais arrive en France il semblerait.
Alors oui il faut travailler toujours a eviter ces cliches et nos idees preconcues qui insidueusement ont penetrees nos pensees...
Bravo a toi de pouvoir avoir ce recul sur toi meme (t'es sur que c'est pas ta doudou qui t'a mis un coup de noix de coco quand elle t'a vu rigoler ???).
Extrait
TC (N°3482 - mars 2012) : Les idées de Frantz Fanon sont-elle toujours d'actualité ?
Magali Bessone (philosophe) : certains le rejettent, car il a justement pensé la colonisation et non pas la post-colonisation, c'est à dire notre situation actuelle. Ce qu'il a écrit est très ancré dans le contexte des années 1950-1960 : la guerre froide, la guerre d'Algérie, le mouvement des non-alignés avec l'idée de devenir, demain, une troisième force. Cela n'empêche pas ses concepts politiques, idées et engagements d'avoir un écho aujourd'hui. Même s'il n'est pas direct. On trouve toujours des effets d'aliénation et de domination liés à des sociétés coloniales et post-coloniales ; la décolonisation des esprits en particulier n'est pas du tout achevée. Nous gérons encore l'héritage de la colonisation avec ce que cela comporte de racisme social, qui peut œuvrer à des niveaux individuels et collectifs.
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