"Le motif de base de la résistance était l'indignation. Nous vétérans des mouvements de résistance et des forces combattantes de la France libre, nous appelons les jeunes générations à faire vivre, transmettre, l'héritage de la résistance et ses idéaux. Nous leur disons : prenez le relais, indignez-vous ! Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l'ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l'actuelle dictature des marchés financiers qui menacent la paix et la démocratie.

Je vous souhaite à tous, à chacun d'entre vous d'avoir votre motif d'indignation. C'est précieux."

Stéphane Hessel

lundi 26 février 2024

propositions de l'exécutif sur l'agriculture : une régression inquiétante

Dans une tribune au « Monde », un collectif de de plus de 1000 scientifiques spécialistes des questions d’écologie et de santé, parmi lesquels la Société française d’écologie et d’évolution, l’Office français de la biodiversité et la réserve naturelle nationale du Val de Loire, s’alarme des décisions prises par le gouvernement pour mettre fin aux mobilisations des agriculteurs.

Publié le 26 Février 2024

Indignation, colère. La communauté scientifique qui travaille sur les enjeux environnementaux constate que, malgré l’accumulation de preuves issues de ses travaux, les récentes décisions de l’exécutif pour mettre fin aux manifestations des agriculteurs représentent des reculs manifestes dans la lutte contre la dégradation environnementale et pour la préservation de ses fonctions écologiques. 

Ces reculs n’apportent aucune réponse satisfaisante aux problèmes de qualité de vie des agriculteurs. Au contraire, ils entraînent des risques majeurs sur la santé humaine, en premier lieu celle des agriculteurs, mais également celle de l’ensemble de la population actuelle et future. 

Notre communauté scientifique est solidaire du monde agricole avec lequel elle collabore et interagit étroitement. Nous constatons que de nombreux agriculteurs souffrent : lourdes charges de travail, contraintes économiques et bureaucratiques, notamment liées à un modèle agricole concurrentiel, basé sur la course aux volumes de production. Ces contraintes se traduisent par des revenus insuffisants, une surexposition aux risques professionnels, dont un taux de suicide très élevé et un fort impact environnemental. De nombreuses maladies, dont certains cancers, ont une plus forte prévalence chez les agriculteurs qui sont ainsi les premières victimes de l’exposition aux pesticides et de la dégradation de l’environnement. 

Le problème est profondément enraciné et résulte notamment des règles commerciales internationales et de leur mise en œuvre nationale, ainsi que d’une surreprésentation, au sein des instances de décision, d'organisations qui ne représentent qu'une partie du monde agricole. Cette situation entrave l’adoption nécessaire d’une approche vers une agriculture paysanne soutenable et nourricière qui concilie les impératifs de subsistance de la population et la préservation des écosystèmes. 

Les décisions prises par le gouvernement représentent un recul majeur pour l’environnement et la santé des habitants des zones rurales, ainsi que pour l’ensemble de la population: 

  • “Pause” des inventaires de zones humides, menaçant leur protection, alors que ce sont des zones clés pour le cycle de l’eau et la biodiversité 
  • Remise en cause de l’obligation de dédier des surfaces aux infrastructures agroécologiques (comme les haies) ou les jachères, pourtant éléments clés dans le maillage écologique et social de nos territoires 
  • « Pause » du plan Ecophyto, visant à réduire l’usage de produits phytopharmaceutiques, et ainsi les pollutions aiguës et diffuses associées, et remise en cause du mode de mesure de ces pollutions. 
  • Recul sur le relèvement de la redevance pour pollutions diffuses, appliquée notamment sur certains produits phytopharmaceutiques, alors que le coût associé au traitement de ces pollutions explose. 
  • Recul sur les décisions prises dans le plan Eau sur la stabilisation des prélèvements en eau agricole. 
  • Recul sur l’harmonisation d’une redevance sur l'eau agricole entre bassins versant pour réduire l’écart entre les redevances payées par les usagers. 
  • Stigmatisation et désarmement envisagé de la police environnementale de l’Office français de la biodiversité, limitation du nombre pourtant déjà faible de contrôles, réduisant les possibilités de détecter les pratiques non-conformes, les situations à risque pour la biodiversité, les atteintes à la qualité de l’eau ou les usages de l’eau pouvant conduire à un partage non-équitable. 

Nous tenons à rappeler que les conséquences de la pollution diffuse causée par les intrants de synthèse (fertilisants minéraux, pesticides de synthèse), dont les coûts sont indexés à celui de l’énergie, ainsi que la poursuite de la dégradation des écosystèmes tels que les zones humides, les haies, les sols, les cours d’eau et les nappes, sont unanimement reconnues par la communauté scientifique comme délétères pour la santé humaine et environnementale, la biodiversité et le fonctionnement des agroécosystèmes et des écosystèmes connexes. 

Ces reculs ne font que retarder davantage la bifurcation indispensable vers des activités humaines soutenables, enviables et respectueuses des communs tels que l’eau, les sols, l’air et la biodiversité. En contravention avec l’article L.110-1 du Code de l’environnement qui stipule le principe de non-régression à notre droit positif suivant lequel la protection de l’environnement ne peut faire l’objet que d’une progression constante, ce recul compromet également les actions engagées pour lutter contre le changement climatique et la perte de biodiversité. Les sols peuvent jouer un rôle crucial en tant que réservoirs d’eau, et tout comme la végétation arborée pérenne en tant que puits de carbone. 

Bien que les diagnostics des crises environnementales et de santé publique reposent largement sur les connaissances de la communauté scientifique, les normes qui en découlent peuvent être mal comprises, et perçues comme contre productives lorsqu'elles sont mises en œuvre de manière incompréhensible, tant par les agriculteurs que par les scientifiques. 

Des approches reposant sur la co-construction des savoirs seraient bien plus efficaces pour rendre les normes opérables et acceptables. Ces approches interdisciplinaires permettent de mieux intégrer les aspects sociaux, économiques et politiques de l’agriculture. Elles ne devraient pas servir de prétexte à de nouvelles inerties face à l’urgence de ces crises, mais plutôt être les leviers pour engager les changements indispensables pour les enrayer. 

Nous réaffirmons la nécessité d’une coopération entre les pouvoirs publics, les agriculteurs, les citoyens et les scientifiques pour accélérer la bifurcation vers une agriculture soutenable, pilier de la transition écologique à venir, et rémunératrice des agriculteurs plutôt que l’enfermement dans un modèle destructeur pour l'agriculture, les agriculteurs et l'environnement.

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