Nicolas Hulot vient d’être nommé «envoyé spécial pour la protection de la planète» par not’ bon président François Hollande. Le titre fait de l’effet. Nous avons donc un missi dominici des écosystèmes. Reste à savoir ce que l’ancien globe-trotter médiatique de TF1 pourra accomplir à ce poste. Reste à se demander comment le candidat malheureux à la candidature Europe-Écologie-les-Verts utilisera cette nomination pour préserver notre vaisseau spatial.
J’aime bien Nicolas Hulot, je le connais depuis des décennies. Je suis parti avec lui faire l’idiot à l’œil émerveillé parmi les volcans et les ours bruns du Kamtchatka. Nous avons cherché, dans des mares bouillonnantes et acides, des bactéries voisines de celles qui ont incarné l’origine de la vie. Je me suis souvent retrouvé à son côté dans des conférences ou des débats, pour les enfants et les plus grands, à l’école comme à la radio ou dans les étranges lucarnes.
Le boulot dont il vient d’hériter a des aspects sympathiques. La tâche sera bénévole et, nous dit-on, «bénéficiera de l’appui des ministères compétents». Elle aura pour ambition de «sensibiliser, informer et mobiliser» le grand public : parfait ! Il s’agira d’«une mission internationale diplomatique» qui s’inscrira «dans la tradition universaliste de la France», afin d’«entretenir un dialogue régulier sur les enjeux du long terme, climatiques et planétaires» : j’adhère ! Bien entendu, et comme tout le monde, j’ignore comment, dans ce schéma, Nicolas Hulot abordera les dossiers écologiquement incorrects de Notre-Dame des Landes, du Lyon-Turin, [...].
L’«envoyé spécial pour la protection de la planète», affirme-t-il, gardera son «entière liberté de parole». Je le crois. Le problème ne réside pas dans sa sincérité ou dans sa capacité à conserver son jugement. La difficulté gît dans les caractéristiques mêmes de sa fonction. Que peut espérer un ambassadeur des climats et de la biodiversité ? Dans quels coins de la planète doit-il aller batailler ? Quels succès peut-il espérer ?
J’ai une certaine expérience dans ce domaine : mes vingt années de travail comme « bras droit » du commandant Cousteau.
Jacques-Yves Cousteau, c’était Nicolas Hulot, mais en beaucoup plus célèbre. Il avait eu la palme d’Or à Cannes pour Le Monde du silence (avec Louis Malle). Il avait coiffé son bonnet rouge dans plus de cent vingt films de télévision, diffusés dans plus de cent vingt pays du globe. Au meilleur de son histoire, la Fondation Cousteau (dont j’ai été l’un des créateurs, en 1981) ne comptait pas quelques milliers de membres, comme la Fondation Nicolas Hulot, mais près de cent mille en France et plus de deux cent cinquante mille aux États-Unis. Cousteau n’était pas l’ambassadeur écolo d’un président de la République française : le monde entier l’appelait « Captain Planet ». Lors de la conférence mondiale de Rio de Janeiro, en 1992 (nous y fûmes !), il a été présenté à la tribune en premier, avant le président du pays organisateur (le Brésil), avant le président américain George Bush, avant François Mitterrand, avant tous les autres chefs d’État.
Jacques-Yves Cousteau, c’était Nicolas Hulot, mais célèbre au fin fond de l’Ouganda, de la Papouasie, du Sahara ou de la Mongolie intérieure. Je l’ai vu maintes fois décrocher son téléphone et obtenir, dans la minute suivante, le dirigeant du monde dont il avait besoin. Cependant, fort de cette aura, en ayant pour arme cette réputation universelle du « Captain Planet », qu’avons-nous obtenu en écologie ? Je suis triste de devoir l’écrire : peu de chose. Nous avons hurlé contre les marées noires, et obtenu quelques aménagements dans la construction des pétroliers et les règles de navigation. Nous avons bataillé contre la chasse à la baleine, et fait adopter, en 1986, le moratoire qui protège les grands cétacés ; ce qui n’empêche pas le Japon et quelques autres de continuer à massacrer ces espèces. Nous avons (avec l’aide de Michel Rocard et du premier ministre australien de l’époque) remporté une victoire mémorable et essentielle contre les firmes minières et pétrolières qui voulaient exploiter le grand continent du Sud : nous avons fait prolonger de cinquante ans le Traité de l’Antarctique.
Hormis ces succès, quoi ? Pas grand chose de durable. Des mesures de protection locales, pour quelques récifs de coraux, quelques hectares de forêt vierge, quelques sites exceptionnels… Globalement, bien davantage de déceptions que de joies. Nous avons alerté le monde entier sur l’effondrement des ressources vivantes de la mer : aucun effet ! Le drame est consommé : l’océan est un désert. Nous nous sommes battus (il y a bientôt trente ans) pour éviter le réchauffement climatique : la situation est bien pire aujourd’hui qu’alors. Nous avons tenté – en vain, là aussi – de faire adopter par l’assemblée générale de l’ONU la « Déclaration universelle des droits des générations futures » : c’était un texte capital, qui aurait pu changer bien des lois et bien des pratiques. Nous n’y sommes pas parvenus…
Quand je vois des magazines titrer sur la « dictature verte » ou la « tyrannie des écolos », je me gondole. Les écologistes ont perdu quasiment tous leurs combats depuis qu’ils ferraillent sur le front du climat, de la biodiversité, des pollutions et des saccages, autrement dit de la bêtise humaine.
Lorsque je regarde Nicolas Hulot partir au combat avec son nouvel uniforme d’« envoyé spécial » du président Hollande, je ne puis m’empêcher d’éprouver deux sentiments aussi puissants que contradictoires.
Le premier : la solidarité. Vas-y, Nicolas, je suis avec toi, déterminé à continuer le combat ! Ton nouveau boulot, c’est celui de Sisyphe : nous autres, écolos, nous le connaissons bien et nous sommes prêts à nous y coller tant qu’il le faudra.
Le deuxième : le fatalisme. Je l’exprime dans mes livres avec ce que je puis y ajouter d’humour noir : « L’humanité disparaîtra, bon débarras ! » Même Cousteau , même Hulot n’y changeront pas grand chose. Cela ne devrait plus prendre beaucoup de temps !
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