"Le motif de base de la résistance était l'indignation. Nous vétérans des mouvements de résistance et des forces combattantes de la France libre, nous appelons les jeunes générations à faire vivre, transmettre, l'héritage de la résistance et ses idéaux. Nous leur disons : prenez le relais, indignez-vous ! Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l'ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l'actuelle dictature des marchés financiers qui menacent la paix et la démocratie.

Je vous souhaite à tous, à chacun d'entre vous d'avoir votre motif d'indignation. C'est précieux."

Stéphane Hessel

mercredi 23 mai 2012

Le réchauffement climatique a déjà des conséquences irréversibles sur la nature

Dans son dernier rapport, publié le 8 mai sous l'égide du Professeur Jorgen Randers et intitulé " Prévision globale pour les quarante prochaines années" (Voir The Club of Rome) ,le célèbre Club de Rome confirme que la hausse attendue des émissions humaines de CO2 devrait bien provoquer une augmentation de 2°C de la température mondiale d'ici 2050 et de 2,8°C d'ici 2080 et cela même en tenant compte des facteurs de pondération que sont la décélération démographique (8 milliards d'habitants prévus en 2040 et la stabilisation de la croissance économique dans les pays développés).

Cette étude rappelle que l'homme émet à présent, en incluant la déforestation, prés de 10 milliards de tonnes de carbone par an (10 fois plus qu'en 1940), soit plus de deux fois la quantité que peut absorber la Terre dans ses sols, ses océans et ses forêts. Or, compte tenu de l'inertie des systèmes et processus de décisions et même si un nouveau traité international ambitieux prend la suite des accords de Kyoto, il faudra au moins 20 ans pour que nos émissions de gaz à effet de serre commencent à baisser au niveau mondial.

C'est dans ce contexte alarmant qu'il est intéressant de mettre en relation plusieurs études scientifiques internationales qui montrent que le réchauffement climatique accéléré (augmentation des températures moyennes mondiales de 0,8°C depuis un siècle et de 0,2°C par décennie depuis trente ans) a déjà des conséquences majeures et irréversibles sur la nature et l'ensemble du vivant.

Réalisée en 2005, la première étude concerne l'impact en Europe des canicules à répétition sur les plantes et plus généralement sur le cycle global du carbone. Cette étude montre que les canicules répétées ont entraîné une profonde modification des échanges gazeux et une diminution d'un tiers de la productivité végétale et agricole au cours du dernier siècle. Concrètement, les sols et forêts européennes ont émis plus de 500 millions de tonnes de CO2 en 2003, ce qui correspond à quatre ans de stockage de carbone par le milieu naturel européen.

Face à l'augmentation annoncée du rythme des fortes chaleurs et canicules, cela signifie que notre continent risque de devenir rapidement une source d'émission de carbone, ce qui ne ferait qu'aggraver encore le réchauffement général de la planète.

Une autre étude publiée dans la revue "Science" en 2009 montre que l'immense forêt tropicale d'Amazonie a stocké deux milliards de tonnes de CO2 par an en moyenne depuis 30 ans mais a émis trois milliards de tonnes de CO2 au cours de l'année 2005, particulièrement chaude et sèche. Au final, le bilan fait apparaître un solde négatif de cinq milliards de tonnes de CO2 relachées dans l’atmosphère, ce qui correspond à environ 15 % de l'ensemble des émissions humaines annuelles de CO2 en 2010 ou encore à l'ensemble des émissions annuelles européennes et russes de CO2.

Cette étude confirme les derniers travaux du GIEC (Groupe Intergouvernemental d’Etude sur le Climat) qui montrent que le réchauffement accéléré du climat risque de provoquer sur à peine un demi-siècle le remplacement des forêts tropicales par de la savane dans tout l'est de l'Amazonie, ce qui se traduira par une augmentation très sensible des émissions de gaz à effet de serre qui viendra en retour aggraver le réchauffement climatique.

Une autre étude, publiée dans "Science" en juin 2008 par des chercheurs de l’INRA et du CNRS a porté sur l'adaptation de 171 espèces des plantes au changement climatique depuis un siècle. Elle montre que les espèces végétales sont remontées, en moyenne, de 30 mètres tous les 10 ans pour tenter de s'adapter aux nouvelles conditions thermiques et climatiques (Science). Cette étude montre que si certaines espèces parviennent à s'adapter tant bien que mal à ce changement climatique, d'autres ont beaucoup plus de mal à survivre et sont globalement menacées dans leur existence.

Un article publié en octobre 2011 dans la revue Nature Climate Change montre que le réchauffement climatique est en train de provoquer une réduction sensible de la taille d'une grande quantité d'espèces animales et végétales. Il semble que la raréfaction de l'eau et des éléments dont se nourrissent les plantes soit à l'origine de ce phénomène de rétrécissement des végétaux.

Dans le milieu marin, l'acidification des océans provoquée par l'augmentation de la concentration de CO2 est également en train d'entraîner une réduction de la taille des espèces marines, comme le confirme une étude publiée en 2009 par le biologiste Martin Daufresne.

Enfin, une récente étude publiée dans la revue Nature confirme les conséquences biologiques majeures du changement climatique sur les espèces végétales (Voir Etude). Cette étude qui porte sur 1 600 espèces de plantes montre notamment que les plantes fleurissent beaucoup plus rapidement que les modèles de prévisions admis par les scientifiques. L'étude montre que la floraison et l'apparition des feuilles se déroulent en moyenne cinq jours plus tôt par degré d’augmentation de température. Dans l'est des Etats-Unis, on observe par exemple que les cerisiers fleurissent une semaine plus tôt qu'en 1970 !

Cette évolution rapide peut sembler anodine, il n'en est rien. Elle risque en effet d'avoir des conséquences très dommageables sur l'ensemble du biotope car dans la biosphère, tout se tient : l'alimentation et la reproduction des espèces animales sont étroitement liées aux cycles de floraison des plantes.

Notre planète forme un système vivant d'une prodigieuse complexité et possède d'extraordinaires capacités d'adaptation face aux grandes ruptures climatiques, comme le montre sa longue histoire. Mais cette fois, la mutation environnementale à laquelle nous sommes confrontés est inédite par son ampleur et sa rapidité et personne n'est en mesure de prévoir comment la nature va réagir à ce bouleversement majeur et irréversible. Ce qui est certain, c'est que le cadre et les conditions de vie de notre espèce vont être affectés bien plus gravement et durablement qu'on ne l'imaginait jusqu'à présent car nous avons sous-estimé l'effet des interactions entre les multiples facteurs et composantes modifiés par le changement climatique. Nous devons également nous rappeler que l'homme fait partie intégrante de la nature et que la technologie, aussi puissante soit-elle, ne pourra pas à elle seul tout résoudre.

Sous l'effet de cette mutation violente de l'environnement, des tensions redoutables pourraient notamment apparaître dans ces prochaines décennies en matière de productions alimentaires car les capacités d'adaptation des milieux naturels et des sociétés humaines ont leurs limites et il y aura deux milliards de bouches supplémentaires à nourrir dans moins de quarante ans, c'est-à-dire l'équivalent des populations de l'Afrique et de l'Inde réunies ! Ces tensions potentiellement porteuses de conflits risquent de s'accompagner de mouvements de population d'une ampleur sans précédent dans l'histoire de l'humanité. Parviendrons-nous à gérer l'accueil de ces centaines de millions de réfugiés climatiques sans faire "exploser" nos sociétés ?

On se rappelle de la célèbre phrase de Levi-Strauss : "La vie a commencé sans l'homme et finira sans lui". Effectivement la vie sur Terre s'adaptera d'une façon ou d'une autre, au changement climatique actuel mais si notre civilisation veut survivre et préserver des conditions de vie supportables pour les générations futures, elle doit prendre toute la mesure du défi climatique et environnemental que nous venons de rappeler et en faire l'enjeu politique et économique majeur de ce siècle.

René TRÉGOUËT
Sénateur Honoraire

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