"Le motif de base de la résistance était l'indignation. Nous vétérans des mouvements de résistance et des forces combattantes de la France libre, nous appelons les jeunes générations à faire vivre, transmettre, l'héritage de la résistance et ses idéaux. Nous leur disons : prenez le relais, indignez-vous ! Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l'ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l'actuelle dictature des marchés financiers qui menacent la paix et la démocratie.

Je vous souhaite à tous, à chacun d'entre vous d'avoir votre motif d'indignation. C'est précieux."

Stéphane Hessel

dimanche 8 janvier 2017

Des intérêts de la dette publique : pour un financement public des services publics

« Mon ennemi, c’est la finance ».
F. Hollande, Le Bourget, 22 janvier 2012


Constat

Depuis la loi n° 73-7 du 3 janvier 1973, l’Etat Français ne peut plus emprunter auprès de la Banque de France. Cette interdiction a été reprise à l’article 104 du Traité sur l’Union européenne (TUE), qui fait interdiction aux Etats membres de l’UE d’emprunter directement auprès de la BCE ou de leurs banques centrales. En revanche, les marchés financiers peuvent quant à eux se financer directement auprès de la banque centrale.

Depuis 1973, la France doit donc se tourner vers les marchés financiers pour couvrir son déficit public.

De cette situation naît un paradoxe : pour payer les intérêts de sa dette, la France s’endette donc au prix fort(1)  auprès de banques/organismes financiers qui eux se refinancent pour partie à un taux quasi nul auprès des banques centrales(2).

L’intervention de la BCE ne sert donc qu’à créer, mécaniquement, une marge de profit auprès des banques.

Relativement indolore sur les premières années, l’effet « boule de neige » des intérêts constitue aujourd’hui la majorité de notre dette publique, comme le montre le graphique ci-après (cumul à fin 2009, il n’a pas été trouvé de statistiques plus récentes, le cumul des intérêts n’étant pas un indicatif exploité par l’INSEE) :


On constate donc que, sans la loi de 1973 et l’article 104 du TUE, si la France avait pu emprunter directement à un taux quasi nul (dont bénéficient les banques) auprès de la Banque de France, puis de la BCE(3), sa dette publique serait aujourd’hui d’environ 10 % du PIB, au lieu de 100 %.

Les 90 % de la dette constitués par les intérêts supportés depuis 1980 ont donc alimenté la sphère financière, dont on connaît le poids aujourd’hui colossal par rapport à l’économie réelle (rapport de 1 à 100).

Quoi que l’on puisse dire de la gestion de la France par les gouvernements successifs depuis 1980, on constate donc que la dette publique, sans la loi de 1973 et l’article 104 du TUE, devrait être de 10 % du PIB. Sans la ponction opérée année après année par les marchés financiers, les débats politiques de ces dernières années auraient pu se focaliser sur un abaissement de l’âge de départ à la retraite ou un recrutement de plus de fonctionnaires.

Compte tenu de son importance économique et politique, le sujet apparaît donc primordial et doit être débattu sérieusement. Il peut constituer le levier majeur d’un redressement économique du pays sans qu’il soit porté atteinte à notre modèle social.

Proposition : permettre aux Etats d’emprunter directement auprès de la BCE dans la limite de 3% du déficit public

On comprend difficilement l’intérêt économique qu’il y a à aller se financer sur les marchés plutôt qu’auprès de la banque centrale, tout au moins pour les premiers % de déficit, quand on peut considérer que ceux-ci, comme en France, servent pour l’essentiel à couvrir la charge de la dette (approximativement 2,5 points de PIB sur un déficit d’un peu plus de 3 %). En effet, l’Etat emprunte donc essentiellement pour payer les intérêts de la dette, alors que rien ne l’y obligeait.

Si l’on autorisait les Etats membres à emprunter auprès de la BCE (ou de leur banque centrale dans le cadre d’un retour à la monnaie nationale, mais là n’est pas le débat) à un taux quasi nul dans une limite de 3 % maximum de déficit (pour retenir le taux de déficit acceptable défini par le pacte de stabilité), la marge de profit des banques/marchés serait réattribuée de facto aux Etats pour réduire leur dette.

Cela réduirait d’autant le taux moyen d’intérêt réel et gommerait logiquement tout effet boule de neige.

D’un point de vue macroéconomique, cette solution ne présente a priori pas de risque ; il faut relever ici que les deux principaux arguments que l’on peut opposer à un recours direct des Etats auprès de la Banque centrale consistent :

  • en un risque d’inflation, évoqué comme un corollaire classique de la « planche à billets » (traumatisme allemand des années 20)
  • en un risque de laxisme des Etats, qui disposeraient d’emprunts « gratuits » et ne seraient plus incités à veiller à une gestion saine des finances publiques :

Or, ces arguments, présentés comme frappés au coin du bon sens, ne résistent pas à l’examen :

  • il n’y aurait pas plus de création monétaire qu’à l’heure actuelle, puisque le déficit public de l’Etat est aujourd’hui bien couvert par emprunt, donc par création monétaire, et il n’y aurait donc aucun impact sur l’inflation(4)  ; le mécanisme proposé aurait même théoriquement l’effet inverse puisque la création monétaire sera diminuée du montant de la charge de la dette(5)  ;
  • il n’y aurait pas d’encouragement au laxisme puisque les Etats auraient tout intérêt à contenir leur déficit dans la tranche maximale de recours direct auprès de la BCE, que l’on propose de fixer à 3%, dans la mesure où au-delà de 3 % ils seraient livrés, comme c’est le cas aujourd’hui dès le premier euro de déficit, à l’arbitrage des marchés financiers ;

On relèvera d’autant plus l’aberration du système actuel que la BCE, pour faire face à la crise des dettes souveraines, s’est résolue, pour contourner l’interdiction de l’article 104 du TUE, à monétiser les dettes publiques en rachetant des obligations d’Etat sur le marché secondaire émises à des taux très élevés : la BCE n’intervient donc que pour garantir la marge de profit des marchés ; au lieu de prêter directement aux Etats à un taux quasi nul, elle prête aux banques une première fois pour financer indirectement les emprunts consentis aux Etats à des taux largement supérieurs à celui du refinancement, puis rachète les obligations émises majorées des intérêts perçus par les banques.

Christophe Onadis - Courriel du 6 janvier 2017
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1) Moins élevé depuis 2-3 ans, reconnaissons-le, mais sans que cela ait diminué sensiblement la charge de la dette et en s’exposant à une remontée des taux qui feraient exploser cette dernière.
2) Le refinancement ayant également lieu sur le marché interbancaire.
3) Notons que le débat porte ici sur le mécanisme de recours aux banques centrales, ce qui est sans incidence directe sur un débat euro/franc.
4) Si tant est que la première ait réellement des effets sur la seconde, ce qui est discuté dans les milieux autorisés ; à noter par exemple que les très fortes émissions de monnaie par la BCE ces dernières années se conjuguent à un taux d’inflation qui reste très faible.
5) 40 à 45 milliards d’euros sur les dernières années ; ce poste, qui fut pendant un certain temps le premier des dépenses de l’Etat, se situant aujourd’hui à la quatrième place compte tenu des faibles taux d’intérêts de ces dernières années.

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