Pendant que le gouvernement chinois autorise, après vingt-cinq ans d’interdiction, l’usage des os de tigre et des cornes de rhinocéros en médecine traditionnelle, le WWF annonce qu'entre 1970 et 2014, les populations de vertébrés sauvages ont chuté de 60 % au niveau mondial. Tout va bien ! Je vais bien ! "Agriculture intensive, dégradation des sols, surpêche, dérèglement climatique, pollution plastique…" L'ONG est catégorique : "Les principales menaces qui pèsent aujourd’hui sur la biodiversité sont liées aux activités humaines." La disparition massive des espèces d'animaux sauvages est même directement liée à la "grande accélération", explique WWF. C'est ainsi que des scientifiques nomment la croissance rapide de la demande d'énergie, de terres et d'eau, observée depuis les années 1950. De cette extinction massive dépends la survie ... ou non, de l'humanité mais pourtant, pour l'heure, il semble, qu'en France, l'urgence soit de pouvoir rouler pour pas cher.
« L’homme contemporain, nous dit Gwenaël, est prompt à s’indigner contre les taxes sur l’essence, les péages urbains, le prix de l’autoroute, la limitation des vitesses à 80 à l’heure, la multiplication des radars, la réduction des parkings et le prix de son heure, l’étroitesse et le mauvais état de la chaussée, ses virages prononcés et son encombrement par les piétons et les cyclistes, les tracteurs et les camions poubelles. […] Et le voilà vomissant sa colère sur l’internet, avec tous les fachos de France, menaçant de bloquer le pays, brandissant sa liberté de circuler en voiture comme le plus fondamental des droits. »
Et pourtant, poursuit Carol Galand « si notre objectif est de limiter drastiquement le réchauffement climatique dans les plus brefs délais, comment penser que les changements conséquents que cela impliquera se feront sans heurt ? Oui, les défis qui nous attendent impliqueront d’effectuer des changements colossaux, et de remettre en question ce qu’a été notre vie jusque-là. Alors encore oui, cela va être difficile. Non, cela ne va pas se faire sans efforts individuels et collectifs. Et oui, nous pouvons relever le challenge. Nous le devons, et il va falloir s’y faire. » Depuis des décennies les écologistes demandent une adaptation douce et progressive pour que la transition soit moins douloureuse, les citoyens n'en ont jamais voulu. Le résultat c'est qu'aujourd'hui nous sommes au pied du mur et que la marche est immense et donc choquante, mais les citoyens ne peuvent s'en prendre qu'à eux-mêmes.
« Ne descendons pas dans les rues pour râler contre la hausse du carburant, termine Carol Galand. C’est un leurre. Le problème n’est pas le prix du carburant. Le problème, C’EST le carburant. Le problème, c’est Total, ses incursions inadmissibles dans les rares lieux de nature encore préservés, sa stratégie d’investissement coûteuse en émissions de gaz à effet de serre… Le problème, c’est Total mais aussi les autres compagnies pétrolières, guère plus vertueuses. […] Le problème, c’est eux. Et puis c’est Danone, c’est Nestlé. C’est le système. Alors ne nous trompons pas de combat.»
Oui ne nous trompons pas de combats, c’est une évidence. Et pourtant, je m'étonnerais, encore et toujours, de voir un certain nombre de personnes fustiger le soi-disant appétit de l'état pour l'argent et ne pas voir ces mêmes personnes s'élever contre la voracité des actionnaires qui, au détriment des salariés et de l'environnement, se gavent de dividendes. D'un côté l'état qui ne capitalise pas mais qui redistribue, de l'autre des entreprises privées qui exploitent, détruisent, saccagent et s'accaparent. Je m'étonnerais toujours de voir un certain nombre de personnes refuser de participer à la solidarité nationale et à la marche de la nation, par l'impôt, mais soutenir, par leur pouvoir d'achats et leur refus de les condamner, des multinationales qui, elles, pour le coup, thésaurisent pour le bénéfice d'un petit nombre. Je m'étonnerais toujours de voir que beaucoup se trompent encore et toujours de combats.
Mais maintenant que l’on a dit cela, il est une évidence à ne pas oublier (même si je ne doute pas un seul instant que le Gouvernement jupitérien n’en fera rien), c’est que l’argent récolté, au nom de la transition écologique, doit y être affecté à 100 % et non à renflouer un budget « d’injustices fiscales imposées par le président Macron, au service des plus riches » comme le dit fort justement François Ruffin. Si tel n’était pas le cas, alors oui, en effet, la colère citoyenne serait légitime. Ces hausses du prix de l’essence ne doivent pas être à l’image de la taxe carbone que dénonce Kevin Puisieux, de la Fondation pour la Nature et l'Homme : « Sur les 9 ou 10 milliards de taxe carbone perçus en 2018, 1,8 milliard est destiné aux énergies renouvelables. Au-delà, plus grand-chose à voir avec la transition écologique. Trois milliards vont au Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), et pour le reste les ressources vont au budget général - un budget marqué en 2018 par le trou créé, entre autres, par la suppression de l'ISF et de ses 4 milliards d'euros de recettes. Mettez-vous dans la peau de nos concitoyens qui, à chaque fois qu'ils vont faire le plein, se disent qu'ils sont là pour renflouer des caisses vidées par des avantages consentis aux ménages les plus fortunés. Ce n'est ni logique, ni cohérent ! Et cela abîme la légitimité populaire de la taxe carbone, qui ne doit pas servir à boucher les trous d'un budget mal ficelé ! ». Mais pour l’heure, la colère citoyenne ne réclame pas de reconversion écologique, ne réclame pas de transports en commun, ni d'aide au rapprochement domicile-travail, ni le rapprochement des services publiques, ni la réouverture des petites lignes SNCF, ni multiplier les pistes cyclables, ni faciliter le transport des vélos dans les transports en commun, ni rien d'autre, juste le droit de rouler, rouler et rouler encore à bord de pickup défiscalisés.
Ainsi donc, en ce qui me concerne, non je ne participerai pas au mouvement du 17 novembre qui souhaite protester contre la hausse des carburants, je ne participerai d'autant moins que si l'on souhaite vraiment rentrer dans un monde décarboné il faut, puisque l'on ne peut compter sur le volontarisme de chacun, rendre les hydrocarbures prohibitifs pour les avions au kérosène actuellement détaxé, les cargos et les porte-containers au fuel lourd également détaxé, le chauffage ... mais aussi pour les voitures personnelles. Après des années de pédagogie ... pour rien, force est de constater que la sobriété devra passer par la contrainte. Oui il faut taxer car il n'y a que cela que les citoyens comprennent. C’est triste comme constat. Quel aveu d’échec pour tous. Mais c’est la triste réalité de notre humanité. Puis selon le principe des abolitionnistes de la prostitution, pour éradiquer un problème, ne faut-il pas pénaliser ceux qui en sont la cause ? Ainsi, selon ce principe puissant, s'il n'y a pas de voyageurs, il n'y aura plus d'avions, plus de paquebots de croisières, etc ...
Définitivement la transition passera par un changement, de préférence volontaire, de comportements et notamment par une autre vision de la mobilité. Quant à la durabilité elle ne pourra pas passer par le « continuons comme avant ... mais sans paille en plastique ». Il est temps de s'interroger sur nos choix (souvent de confort) car c'est bien la masse des habitudes des citoyens qui provoque les problèmes environnementaux actuels dont l’un des marqueurs est cette chute des populations des vertébrés sauvages révélée aujourd’hui par le WWF. Encore une fois les voyants sont au rouge. Encore une fois les voyants sont au rouge et l'humanité regarde ailleurs.
L'humanité ne court pas à sa perte, elle y va en bagnole.