"Le motif de base de la résistance était l'indignation. Nous vétérans des mouvements de résistance et des forces combattantes de la France libre, nous appelons les jeunes générations à faire vivre, transmettre, l'héritage de la résistance et ses idéaux. Nous leur disons : prenez le relais, indignez-vous ! Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l'ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l'actuelle dictature des marchés financiers qui menacent la paix et la démocratie.

Je vous souhaite à tous, à chacun d'entre vous d'avoir votre motif d'indignation. C'est précieux."

Stéphane Hessel

mardi 15 juillet 2025

Quand Bellman et Bouddha se rencontrent

Mon père, grand penseur et vulgarisateur de la complexité, il y a déjà longtemps m'a fait un très beau cadeau en m'expliquant un théorème simple et pourtant puissant : le théorème de Bellman. 

Ce théorème pose le principe que « pour optimiser un système, il faut savoir désoptimiser les sous-systèmes qui le composent ». Qu'est ce que cela veut dire ? Prenons un exemple du quotidien pour illustrer ce propos, par exemple la voiture. 

Pour faire une voiture (système) performante, un constructeur mal avisé pourrait être tenté d’optimiser chaque sous-système qui la compose comme par exemple mettre le moteur le plus puissant (sous-système 1), la carrosserie la plus légère (sous-système 2), des pneus les plus fins (sous-système 3), etc. En optimisant chaque sous-système, on pourrait penser que ce constructeur va obtenir la voiture la plus optimisée, mais en fait cela va être en réalité une mauvaise voiture parce que son moteur va trop consommer, provoquer des vibrations de carrosserie inconfortables et l’usure prématurée des soudures et des pneus. Pour faire une bonne voiture, autrement dit un bon système, le constructeur va donc désoptimiser le moteur (sous-système 1) en réduisant sa puissance, la carrosserie (sous-système 2) en la faisant plus épaisse et donc plus résistante car plus lourde, les pneus (sous-système 3) en rajoutant du caoutchouc, etc. 

Le problème est que si le constructeur désoptimise trop ces sous-systèmes il aura aussi une mauvaise voiture au résultat. 

Tout l’art de l’ingénieur, c’est de savoir où placer le curseur de la désoptimisation des sous-systèmes. 

Fort de la connaissance de ce théorème, on peut l'appliquer à à peu près tous les domaines car tout est système. Ainsi pour prendre une illustration, dans le domaine agricole, on comprend bien que si chaque consommateur français (sous système) cherche à s'optimiser en achetant des fruits et légumes à bas coût mais venant d'Espagne, l'économie française (système) va se désoptimiser en produisant disparition des agriculteurs français, augmentation du chômage et du désert français, suppression des services publics dans les campagnes, augmentation du mal être des populations habitant encore les campagnes, etc... 

Je pense qu'il en est de même pour le système terre (climat tempéré actuel, biodiversité, qualité des eaux douces et marines,...) qui se désoptimise actuellement, c'est à dire se dégrade, car un de ses sous-systèmes, le sous-système humain cherche à s'optimiser à tous les niveaux à travers une consommation exponentielle suffisamment documentée par ailleurs, des émissions incontrôlées de gaz à effet de serre, un usage déraisonné des pesticides et insecticides, la déforestation massive, la pollution des eaux et l'étalement humain. 

Tant que l'humanité, et d'abord sa partie la plus riche, n'aura pas en tête ce théorème de bellman, il y a fort à parier que la dégradation délétère de l'environnement ne fera que continuer nous entraînant collectivement vers le gouffre. 

Cette propension à vouloir s'optimiser pour chaque humain doit, me semble-t-il, répondre à une règle biologique qui veut que chaque être vivant essaye de tirer un maximum de bénéfices du biotope dans lequel il s'inscrit. Le problème est que l'humanité n'a plus de prédateur naturel pour réguler ses ardeurs. Comment se fait-il que l'être humain, qui n'est pas tout à fait un animal comme les autres dans la mesure où il est doté d'une conscience et d'une intelligence particulièrement développées, continue-t-il d'agir à un niveau collectif comme si tout allait bien et que les choses pouvaient durer ainsi éternellement ? Pourquoi n'agissons nous pas pour redresser la situation ? 

Tout d'abord peut-être parce que l'humanité refuse d'admettre et de prendre en compte les limites planétaires pourtant bien connues aujourd'hui. 

Mais aussi et surtout peut être parce qu'une grande partie de l'humanité a une vision erronée de la réalité. Et là, je ferais appel à un autre de mes grands maîtres à penser, le Bouddha, qui avait notamment bien expliqué que tout est interdépendant mais que l'être humain ne le voit pas. 

L'interdépendance est un concept fondamental qui décrit la nature interconnectée de tous les phénomènes. Selon le Bouddha, rien n'existe de manière indépendante ou isolée. Tout est relié et dépend de causes et de conditions spécifiques pour exister. Cette idée est souvent exprimée par la notion de coproduction conditionnée, qui signifie que chaque phénomène est le résultat d'une multitude de facteurs interdépendants. 

L'interdépendance implique que tout est en constante transformation et que rien n'a d'existence propre ou permanente. 

Ainsi, dans un écosystème, chaque élément dépend des autres pour survivre. Par exemple, les plantes dépendent du soleil, de l'eau et du sol pour pousser. Les animaux dépendent des plantes pour se nourrir, et les plantes dépendent des animaux pour la pollinisation et la dispersion des graines. Si un élément de cet écosystème est perturbé, cela affecte tous les autres éléments. 

L'être humain, au niveau individuel, et l'humanité, au niveau collectif, du fait de leur vision erronée de la réalité agissent comme s'ils étaient des entités séparées et indépendantes de l'écosystème terre dans lequel ils s'inscrivent. Or ce n'est pas le cas et ce faisant en détruisant l'environnement, l'humanité se condamne à terme. 

Est-ce là ce que nous voulons ? N'est il pas temps de suivre les bons conseils de Bouddha et de monsieur Bellman si nous voulons, en tant qu'espèce avoir quelques chances de perdurer sans entraîner de souffrances majeures pour elle ?

Christophe BOMBLED

Image : Erik Johansson