"Le motif de base de la résistance était l'indignation. Nous vétérans des mouvements de résistance et des forces combattantes de la France libre, nous appelons les jeunes générations à faire vivre, transmettre, l'héritage de la résistance et ses idéaux. Nous leur disons : prenez le relais, indignez-vous ! Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l'ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l'actuelle dictature des marchés financiers qui menacent la paix et la démocratie.

Je vous souhaite à tous, à chacun d'entre vous d'avoir votre motif d'indignation. C'est précieux."

Stéphane Hessel

mercredi 1 octobre 2025

Nous sommes tous et toutes atteint.e.s du syndrome de Diogène

Imaginez un appartement dont chaque pièce déborde de déchets. Les couloirs sont encombrés de sacs plastiques, les fenêtres obstruées par des montagnes d’objets inutiles, l’air est irrespirable, saturé de poussière et de moisissures. Le sol craque sous le poids des accumulations, les murs suintent l’humidité, et pourtant, le locataire refuse de jeter quoi que ce soit. Il reste là, à vivre dans son propre cloaque incapable d’agir pour retrouver un logement sain. 

Maintenant, agrandissez cette image à l’échelle de la planète : Bienvenue chez nous ! 

Nous vivons aujourd’hui sur terre littéralement au milieu de nos déchets. Les produits chimiques suintent dans nos sols et polluent les eaux, les pesticides imprègnent nos assiettes, les microplastiques et métaux lourds s’accumulent dans nos foies, reins et cerveaux, les PFAS circulent dans notre sang, les suies des mégafeux noircissent nos poumons, les dioxines corrodent nos cellules, les perturbateurs endocriniens sabotent nos hormones. Chaque bouffée d’air est un cocktail toxique, chaque gorgée d’eau un mélange de résidus industriels, chaque bouchée de nourriture un concentré de nos propres poisons. Nous sommes devenus les cobayes d’une expérience monstrueuse : celle d’une civilisation qui, jour après jour, s’empoisonne elle-même ainsi que le reste du vivant. 

Le syndrome de Diogène, c’est nous. Comme le malade qui s’accroche à ses ordures, nous nous cramponnons à ce qui nous détruit. Nos "trésors" à nous, ce sont les énergies fossiles qui réchauffent notre atmosphère, l’agriculture intensive qui stérilise nos sols et pollue les eaux, la surconsommation qui remplit nos décharges. Nous préférons l’enfer connu de notre modèle toxique à l’effort d’un changement. Nous tergiversons, nous débattons, nous reportons, comme un malade qui tripatouille ses déchets plutôt que de se prendre en main, alors que son logement pourrit autour de lui. 

Les scientifiques ont identifié des lignes rouges : neuf limites planétaires, les seuils à ne pas franchir pour que la Terre reste habitable. Nous en avons déjà pulvérisé sept. Le climat se dérègle, la biodiversité s’effondre, les sols se transforment en poussière, les océans deviennent des soupes acides, l’air irrite nos poumons… Nous vivons en surrégime, comme un Diogène qui continue à entasser des ordures dans un studio déjà saturé, jusqu’à ce que le plafond s’effondre. 

Les conséquences ? Elles crèvent les yeux. Des maladies qui explosent, des canicules qui tuent, des sécheresses qui transforment les terres fertiles en déserts, des inondations qui noient nos villes, des forêts aux arbres malades et des campagnes sans vie. Pourtant, nous faisons semblant de ne pas voir. Nous parlons de Mars, de colonies spatiales, de terres promises ailleurs dans l’univers. Mensonge ! Aucune planète de rechange ne nous attend. Aucune arche spatiale ne viendra nous sauver. Nous sommes destinés à vivre ici, dans cette maison qui fut si belle et que nous souillons méthodiquement, comme un malade qui s’évertue à pourrir son propre appartement devenu insalubre. 

Les limites planétaires ne sont pas des théories. Ce sont les murs de notre maison qui aujourd’hui se fissurent et qui s’effondrent 

Nous aimons nous croire indépendants, maîtres de notre destin. Illusion ! Quand les forêts canadiennes brûlent, ce sont nos poumons en Europe qui suffoquent. Quand les plastiques envahissent le Pacifique, ils finissent dans nos estomacs. Quand les pesticides exterminent les abeilles, nos assiettes se vident. Nos choix ont des répercussions en cascade. Les gaz à effet de serre que nous crachons ne restent pas au-dessus de nos têtes : ils voyagent, s’accumulent, réchauffent la planète, font monter les océans, déclenchent des catastrophes à des milliers de kilomètres. 

Nous ne sommes pas des îles, tout est interdépendant ; nous sommes une sous-partie d’un seul organisme planétaire aujourd’hui intoxiqué, asphyxié, au bord de l’effondrement. Notre bien-être est indissociable de celui de la Terre. Nous vivrons sainement seulement dans un environnement sain, et misérablement dans un environnement misérable. Mais apparemment nous sommes tous enchaînés à ce système délétère que nous avons créé, comme les chaînes d’un Diogène qui l’attachent à ses déchets. 

Nous avons bâti une civilisation sur une illusion : celle d’une planète toujours capable d’absorber les fruits pourris de notre mode de vie moderne. Or, la physique et la chimie, elles, ne plaisantent pas. Elles ne se soucient ni de nos beaux discours, ni de nos promesses électorales, ni de nos tergiversations, ni de nos espérances. Elles agissent, implacables. Et leurs effets sont déjà là : effondrement des écosystèmes, multiplication des catastrophes, empoisonnement généralisé. 

Il n’y a pas de négociation possible. Soit nous changeons, soit nous disparaissons. Soit nous nous soignons de notre syndrome généralisé de Diogène, soit nous serons ensevelis sous nos propres immondices, étouffés dans notre maison transformée en décharge géante. 

 Christophe BOMBLED